1.1. Les représentations modernes

Dans la société gabonaise, certains individus se représentent la maladie mentale comme le résultat ou la conséquence d’un dysfonctionnement du cerveau, une maladie des nerfs. Ce qui pour conséquences chez le sujet la perte de la raison, de la mémoire ou les problèmes intellectuels rencontrés. En tenant compte du cerveau comme origine de la maladie mentale, ces individus reposent leur explication sur l’aspect organique. Il s’agit du modèle bio-physico-chimique se caractérisant par l’utilisation des psychotropes (neuroleptiques, antidépresseurs, etc.) qui vont sur le système nerveux du patient. Il s’agit du modèle psychiatrique. Ce modèle est dit moderne car il a été introduit récemment dans la société gabonaise. Mais quelle est son origine et son développement ? Comment s’inscrit-elle dans la culture gabonaise ?

Le système importé de l’Occident repose sur les consultations psychiatriques dont il me semble nécessaire de rappeler l’historique du service de psychiatrie, afin de situer le début de l’influence de la psychiatrie occidentale au Gabon. En effet, comme dans la plupart des pays africains, l’origine de la psychiatrie occidentale se situe vers la fin des années 50 16 . A cet effet, à cette époque existait-il déjà dans l’enceinte du Centre Hospitalier de Libreville (C.H.L.) quelques cellules d’isolement qui avaient pour objectif de « caserner » les patients. Par ailleurs, il existait aussi une sorte de « fosse » dans laquelle étaient parqués des patients, fosse qui avait servi de prison à l’époque coloniale. C’était le « cabanon », un endroit où était gardé les « fous ». A ce temps, la santé mentale ou les problèmes psychiatriques étaient traités par un médecin généraliste.

Ce n’est que vers la fin des années 70 (1976) que le « cabanon  » devient le « service de neuro-psychiatrie », un service de la médecine. Ce changement d’appellation est dû à l’arrivée d’un médecin psychiatre français, suivi plus tard de trois infirmiers spécialisés en psychiatrie en provenance de Dakar. Ce qui avait eu aussi un retentissement au niveau des infrastructures. Selon N. Mespoulhes (1979, 181) 17  :

« le service de neuropsychiatrie était toujours situé dans l’enceinte du Centre Hospitalier de Libreville. Il était vu de l’extérieur comme un « blockhaus » : le mur d’enceinte était soigneusement cadenassé. A l’intérieur et au centre, un emplacement contenait des matelas en mousse sur lesquels s’empilaient les fous hospitalisés. Au fond, six cellules individuelles dont cinq recevaient à des fins d’isolement, les plus agités, la sixième de bureau à l’infirmier major ».

Suite à la modernisation, et certainement à l’affluence des malades mentaux, ce service a été détaché, tant du point de vue matériel qu’administratif pour devenir un hôpital spécialisé à part entière, avec des nouveaux locaux.

En 1982, est créé un hôpital psychiatrique, suite à l’aménagement d’un nouveau site et à la construction de nouveaux bâtiments, situé à Mélen, à 13 Km de Libreville. Cet hôpital se situe dans l’enceinte de l’ancien Camp réservé aux réfugiés de la guerre du Biafra (Nigeria), derrière l’hôpital Provincial de l’Estuaire, avec lequel il est délimité par une grande barrière faisant barrage avec l’extérieur. C’est un univers excentré. Sa situation géographique avait été choisie comme facteur de « guérison » dans le calme. Il s’agit plus d’un facteur d’isolement et de mise à l’écart de la société.

Depuis 1997, un grand local qui fait office de bureau administratif a été construit. Malgré les difficultés liées à la gestion de l’établissement (financières, flux migratoire, matérielles, etc.), cet hôpital essaie de s’imposer dans le paysage gabonais. Après quelques années de tâtonnements et de délaissement liés à sa méconnaissance, l’hôpital psychiatrique de Mélen voit, de nos jours, son affluence augmenter. Sa fréquentation est passée d’une dizaine de consultations environ en 1997 à près de 2000 consultations en 2004. Et voit sa capacité d’accueil passer d’une cinquantaine de lits à près d’une centaine.

Un état des lieux permet de rappeler que l’hôpital psychiatrique de Mélen est le seul hôpital du Gabon en matière de santé mentale. Il est le seul endroit où sont évacués tous les malades mentaux provenant de toutes les neuf provinces du Gabon. Dans chaque province, lorsqu’un « fou » est arrêté, il est conduit en prison ou à l’hôpital, selon son caractère agressif et en attendant son évacuation sur Libreville, le seul endroit où il peut subir quelques soins. L’autre endroit où il existe une prise en charge psychiatrique est l’hôpital Schweitzer de Lambaréné. Cet hôpital a un mode de fonctionnement privé lié à une O.N.G. internationale poursuivant l’œuvre laissée par le Docteur Albert Schweitzer qui en fut le créateur.

Un autre itinéraire thérapeutique est emprunté par les malades. Il s’agit des thérapies dites spirituelles véhiculées par l’existence des représentations spirituelles.

Notes
16.

Jacques Alain Bitsi, L’hôpital psychiatrique de Mélen : l’institution morcelée. Libreville, Université Omar Bongo, Rapport de stage de Licence de Psychologie, 1997, 15 p.

17.

Nadine Mespoulhes, Folie et culture : l’exemple du Gabon. Ethnopsychiatrica. Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1979, n° 22, pp. 179-209.