1.2. Les représentations « spirituelles »

L’existence des églises au Gabon a permis le développement de certaines représentations sur la maladie mentale. En effet, de l’ensemble des entretiens menés, il convient de noter que, pour les chrétiens, la maladie mentale en particulier est le résultat du péché. Ces représentations sur la maladie mentale sont dites aussi modernes car de la même façon que la médecine, les responsables de cette approche, à savoir les églises, se sont récemment installés au Gabon. Quelle est l’origine de ces représentations ? Sur quoi reposent-elles ? Quelles relations existe-t-il avec le fonctionnement psychique ?

Pour les Occidentaux, n’est considérée comme religion que le christianisme car ayant un corps constitué et digne d’être enseigné. Et c’est dans ce sens que le christianisme a conquis le monde dans le but d’évangéliser et d’apporter la « civilisation. Arrivant dans les nouveaux mondes (Afrique en particulier), le premier objet était de supplanter toutes les religions traditionnelles existant. Ce qui a eu pour conséquences aujourd’hui, notamment l’effritement et la disparition des religions traditionnelles. Mais comment s’est alors faite cette implantation ?

C’est au IVème siècle que commença la première christianisation de l’Afrique. Mais il faut attendre le XVIème quand les Portugais débarquèrent sur le Golfe de Guinée (particulièrement en Angola) pour christianiser l’Afrique noire. A partir de cette période, il y eut une grande campagne de conversion, notamment celles des élites. L’enjeu de la conversion fut une grande augmentation de la capacité de domination des élites sur le monde paysan. La distance entre élites et dominés (par la langue portugaise) et l’établissement des villes puissantes montrèrent que le christianisme fut un outil de pouvoir. Ce qui incita alors les élites à la conversion.

Au début du XVIII è siècle, quand les Portugais devinrent rares, le christianisme continua sans les missionnaires. Le christianisme devint alors un outil puissant créatif. Certaines personnalités locales l’utilisèrent à leurs fins. En mettant l’accent sur certains éléments de l’Ancien Testament ou des Actes des Apôtres, ils mirent l’accent sur le Saint-Esprit, l’exorcisme, l’imposition des mains, etc. La réceptivité ne fut donc pas passive, mais il y eut un tri, parfois même un contournement et des phénomènes de syncrétisme. Et au nom du christianisme, les missionnaires et les élites converties participèrent à la destruction des croyances traditionnelles.

A partir des années 20 et 30, on voit apparaître une autre forme de christianisme en Afrique qui a des relations avec des croyances traditionnelles. Il s’agit du « messianisme  » africain au Congo. Un peu plus tard, dans les années 40, il y a eu aussi au Congo Brazza, en Côte d’Ivoire ce même syncrétisme. Au Gabon, comme ailleurs en Afrique, c’est dans les années 80 qu’on va noter une émergence des « églises nouvelles » qui seront d’abord considérées comme des « sectes » (selon le langage local), pour ensuite être acceptées.

Les nouvelles églises insistent sur la puissance extraordinaire du Saint-Esprit et la dimension miraculeuse de la religion. Elles se caractérisent par la « diabolisation » du non converti (catholique compris) qui relèverait du diable. Se convertir est alors une « renaissance » impliquant des comportements rigoureux et une vie dans la foi de manière pratique pour vivre la « foi des origines ». Les thèmes majeurs de ces églises nouvelles sont la guérison, l’évangélisation, la prospérité (la pauvreté étant un signe du diable).

Dans cette perspective, la religion joue et continue à jouer un rôle très important au Gabon. Sur les plans socio-économique et relationnel, ces religions ont réussi à mettre en place des systèmes d’entraide, de charité sur la base des cotisations apportées aux églises (dîmes) par les fidèles. Ce qui permet alors parfois d’aider les plus démunis. De même, le système de relations mis en place permet aux fidèles de se sentir « frère et sœur en christ ». A tel point que les relations familiales ou parentales existant ou n’existant plus chez certains ont laissé la place à ces nouvelles relations. Ainsi, il y a une nouvelle parenté qui se créé, à savoir celle basée sur l’appartenance à la même église. Ces relations de parenté sont de plus en plus renforcées quand certains fidèles ont des difficultés (deuil, maladie, accident). Pour cela, ils sont soutenus par toute leur communauté, parfois même pris en charge (matériellement).

En agissant sur ces terrains, ces nouvelles églises, de par leur idéologie, ont favorisé un rapprochement avec la population. C’est le cas dans les demandes de guérison ou certaines phases difficiles de la vie des fidèles. Il s’agit des « églises d’en bas ». Dans cette perspective, les religions traditionnelles considérées comme diaboliques et pratiquant de la magie noire sont délaissées. Cette situation participe à l’érosion et à la disparition des religions traditionnelles, et surtout avec tout ce qu’il y a de folklorique. Ce qui m’amène à me demander si la place laissée par les croyances traditionnelles et qu’occupent les nouvelles églises est liée à la modernité de la société gabonaise ou à l’inefficacité de ces croyances.

Si les missions (sur les plans socio-économique et moral) défendues par ces nouvelles églises sont nobles, cependant, il n’en est pas tout autant sur le plan individuel. Car en effet, la religion, notamment le christianisme repose sur une conception judéo-chrétienne tournant autour du Bien et du mal. Le vécu d’une foi des origines prôné par ces nouvelles églises entraîne un ensemble de comportements très rigoureux dans la pratique. Pour cela, il faut un respect de la « parole de Dieu » (Bible). Tout écart ou non respect de la parole entraînerait le péché, le mal. Or, c’est cette notion de foi qui favorise la guérison. Chaque individu va alors tout faire pour respecter et mettre en pratique cette parole, en toute âme et toute conscience.

Ainsi, l’objectif de ce rappel est de montrer comment l’Eglise aussi a participé à la dégradation des croyances traditionnelles qui existaient dans la société, notamment l’application des principes religieux et surtout par la « diabolisation » de ces croyances dites traditionnelles.

Au-delà des thérapies psychiatriques et spirituelles, il existe un troisième système de thérapies dit traditionnel à laquelle, on va maintenant m’intéresser.