2.4. Les itinéraires thérapeutiques

Devant la maladie, l’individu a trois attitudes : soit, il va à l’hôpital, soit il va à l’église, soit il va consulter le nganga. Ces trois attitudes caractérisent les trois systèmes de soins. Cependant, étant donné que les systèmes de soins ne sont pas cloisonnés, rares sont les personnes qui obéissent à un de ces systèmes de soins et qui ne sont jamais allés voir le nganga ou le médecin avant d’aller à l’église ou vice-versa. Parfois même, il peut fréquenter deux lieux distincts à la fois. Par exemple, un patient va aller à l’hôpital et consulter le nganga ou encore il va aller à l’hôpital et partir assister aux réunions de prière dans une ou des églises, comme le montre bien l’histoire du cas suivant :

« Mme S.M., d’origine Punu , est âgée de 34 ans et mère de 6 enfants. Sans profession, elle prie dans une église éveillée. Mme S.M. a été hospitalisée en psychiatrie pour agitation psychomotrice, insomnie, logorrhée, discours de persécution, hallucinations auditives et visuelles, amaigrissement, etc.

L’histoire de la maladie de Mme S.M. remonterait à son plus jeune âge lorsqu’elle était au Lycée. Elle présentait un amaigrissement considérable. L’absence de résultats favorables l’avait conduite à consulter les nganga et se faire initier à trois rites (ngondi, mbumba et miroir). En ce moment, il ne s’agissait que de l’amaigrissement. Mais c’est quelques années plus tard que va éclater la première crise. Après un bref tour chez les nganga, Mme S.M. sera conduite en psychiatrie où elle recevra un traitement sédatif. Après sa sortie, elle repartira chez le nganga. Après quelques temps traitement, elle va commencer à fréquenter les églises.

Mais suite à des problèmes de voisinage, Mme S.M. va faire sa deuxième crise et sera conduite à l’église dans laquelle elle priait. Son état s’empirant, elle sera conduite en psychiatrie où elle a été internée pendant environ six mois. Après avoir acquis une certaine stabilité à l’hôpital, Mme S.M. a commencé des sorties d’essai au quartier pendant les week-ends. En vérité, elle passe ses week-ends à l’église et dans la prière . Et cela, sur proposition de sa sœur aînée qui est chrétienne ».

Ce cas montre les différents itinéraires empruntés par les malades. Ainsi, la plupart des malades fréquentent d’abord différents lieux thérapeutiques avant de se retrouver quelque part. C. Moukouta (2000) 36 a pu noter ces différents itinéraires chez les patients Congolais. En effet, pour l’auteur, « il existe un circuit atypique suivi par les malades mentaux. Même si le premier jour le malade est conduit directement à l’hôpital, cela n’empêche pas qu’il pense contacter le guérisseur. Le recours direct à la médecine occidentale n’est que provisoire… » 37 .

De ce fait, la plupart des malades empruntent les mêmes itinéraires thérapeutiques. C’est ce que S. Mbadinga et al (2002) 38 ont appelé « soigner en rond » où l’histoire des soins du patient, disent-ils, se caractérise par un parcours thérapeutique en quête d’un thérapeute idéal. Cette recherche du thérapeute idéal est ponctuée d’« arrêt » ou d’« interruption », des « désinvestissements successifs et continus de prise en charge », constituant ainsi des « thérapies interminables » pour les patients. Et même lorsqu’il y a des succès dans la prise en charge, ils seront liés « à la multiplicité autant qu’à la multiplication des intervenants sur le mode de fonctionnement du clivage » 39 .

Notes
36.

Charlemagne Simplice Moukouta, Représentations de la maladie mentale et thérapies traditionnelles au Congo. Réflexion à partir de l’étude d’itinéraires thérapeutiques. Thèse de doctorat de Psychologie (sous la direction du Professeur Evelyne Pewzner-Apeloig), Université de Picardie Jules Verne, 2000, 385 p.

37.

Charlemagne Moukouta, Op. Cit. pp. 367-368.

38.

Samuel Mbadinga, Georgette Ngabolo, Michel Boussou. Soigner en rond : sur le front du partage de l’espace thérapeutique en Afrique noire. Jacques Philipe Tsala Tsala, Santé mentale, psychothérapies et sociétés. Vienne, The World Council of Psychotherapy, pp. 89-98.

39.

Samuel Mbadinga, Idem, p. 91.