1. Définitions

Le concept de symbolisation est à rattacher à la notion de symbole signifiant, dans son sens étymologique issu de la Grèce Antique, « signe de reconnaissance », où le bris d’une poterie et le partage de ses fragments entre les personnes sur le point de se séparer, peuvent se reconnaître un jour, par la réunion de ce qui représente la permanence de leurs liens en se retrouvant. Et lorsque les différents segments étaient rapprochés l’un de l’autre, ils pouvaient servir de signe de reconnaissance. Mais qu’est-ce que la symbolisation ?

En psychanalyse, les premiers travaux sur la symbolisation remontent à S. Freud. En effet, dans ses travaux sur l’aphasie, S. Freud (1891) 44 met en relation la représentation de mot et la représentation d’objet. En parlant d’aphasie, l’auteur distingue deux formes : verbale et asymbolique. La première est liée à la perturbation des associations entre différents éléments de la représentation de mot. Alors que la seconde repose sur la perturbation entre la représentation de mot et la représentation d’objet.

Pour S. Freud (1891, 128), la relation entre la représentation de mot et la relation est dite « symbolique » et repose sur un travail de symbolisation. Celle-ci se caractérise par l’organisation d’une liaison s’effectuant entre la représentation de l’objet et la représentation de mot. Ce n’est que plus tard que S. Freud (1915) voit le passage d’une représentation à une autre (chose et mot) comme étant le travail de liaison entre deux traces : trace perceptive et trace inconsciente. Dans ce sens, la symbolisation ne relie pas l’objet à la représentation, mais deux types d’« images » de l’objet, deux traces différentes de l’objet (R. Roussillon, 1995) 45 . R. Pelsser (1989) 46 définit la symbolisation comme cette capacité qu’a l’être humain de représenter et de se représenter. Dans cette perspective, l’auteur dégage trois caractéristiques principales de la symbolisation.

D’abord, la symbolisation désigne la capacité qu’a le sujet à utiliser des symboles. Dans ce sens, il s’agit de mettre en relation un symbolisant et un symbolisé. Cette relation s’établit sur la base d’un lien associatif. De ce fait, la symbolisation possède deux caractéristiques, à savoir le lien et la séparation. En effet, les éléments sont à la fois reliés et séparés comme l’indique le terme symbole dans son étymologie. En prenant le cas du jeu de la bobine, S. Freud (1920) 47 montre comment l’enfant associe le symbole bobine à la représentation de la mère. Pour cela, en lançant la bobine et la ramenant vers lui, l’enfant symbolise le départ et retour de la mère. Ainsi, pour R. Pelsser (1989), la formation des symboles dépend de la capacité d’unir deux objets de manière telle que leur ressemblance soit rendue manifeste tout en respectant leur différence. En s’intéressant à la formation du symbole, H. Segal (1970) 48 note que l’abandon de l’objet du désir par l’enfant entraîne la formation d’un symbole. Il s’agit d’un objet de substitution dont le but est de nier l’absence. Dans ce sens, le symbole est vécu comme une symbolisation de l’absence.

Ensuite, la symbolisation désigne la capacité qu’a le sujet de transformer ses expériences vécues en contenus psychiques. Cette transformation se fait par le canal de l’appareil psychique, lieu d’inscription des événements vécus par le sujet. Ces événements viennent soit du « dedans », soit du « dehors ». De ce fait, l’appareil psychique est au centre d’un double mouvement : l’un provenant de l’intérieur, issu de la pulsion représenté par l’affect et la représentation ; l’autre venant de l’extérieur, par le truchement de l’objet. Celui-ci s’inscrit dans le psychisme par le canal de la représentation de chose associée à la représentation de mot.

Dans le cadre de la symbolisation, il s’agit de mettre en relation la pulsion et l’objet. Ainsi, pour R. Pelsser (1989, 718), la symbolisation est cette « capacité de transposer dans l’appareil psychique, sur la scène psychique, ce qui relie le sujet à la fois à l’objet et à la pulsion, si ce n’est ce qui relie l’un à l’autre la pulsion et l’objet ». Ainsi, la mise en lien entre la pulsion (affect et représentation) et les représentations de l’objet est à l’origine des processus de symbolisation. Cette mise en relation se fait par le canal de la représentation.

Dans ce sens, J. Laplanche (1983) considère la symbolisation comme un processus de mise en relation qui comporte deux modalités. D’une part, il y a mise en relation de deux représentations se substituant l’une à l’autre comme c’est le cas par exemple du symptôme hystérique. Dans celui-ci, il y a substitution de la représentation toux à une autre représentation centrée sur la sexualité orale. Autrement dit, il y a un symbole (toux) qui représente un symbolisé. D’autre part, il y a une mise en relation d’un affect à une représentation. Dans ce sens, le symbole n’est plus relié à une représentation mais à un affect sans quoi il resterait flottant ou « libre », à l’origine de l’angoisse que la représentation viendrait canaliser en se liant à elle.

Et enfin, la troisième caractéristique désigne la symbolisation comme une capacité d’avoir accès à un registre symbolique, à l’Autre, et notamment par le langage, et permettant ainsi au sujet d’avoir une distance par rapport à la réalité. A travers cette approche de la symbolisation, se pose la question de la présence et celle de l’absence de l’objet que le langage permet de présentifier.

Dans ce sens, R. Pelsser (1989, 723) note que « le langage, en tant que processus de symbolisation permet de surmonter la perte, l’absence de l’objet, de conjurer l’angoisse de séparation ». S’intéressant au jeu chez l’enfant, R. Pelsser (1986) 49 observait déjà que le jeu est une forme de symbolisation. Il permet à l’enfant de représenter les événements et les situations pénibles. Ce qui lui permet de verbaliser tout en évitant de confondre la réalité et la fantaisie ou d’éviter de somatiser ou de passer à l’acte. Ainsi, l’enfant accède au symbolique, notamment au jeu par la représentation de ses expériences personnelles. Ce qui lui permet d’éviter la pathologie.

Ainsi, la symbolisation soulève la question du rapport entre deux entités, à savoir la représentation et l’affect. C’est par l’établissement de la relation entre ces deux entités, entre la représentation et l’affect que se fait la symbolisation. Et l’affect va être immobilisé par la représentation dans le but de lui donner du sens. De ce fait, la substitution d’une représentation inconsciente vers d’autres représentations (qui la représentent) pourra alors se faire.

Pour A. Gibeault (1989) 50 , la symbolisation est un « ensemble de liaisons où quelque chose va représenter quelque chose d’autre pour quelqu’un ». Pour cela, M. Perron-Borreli (1989) 51 distingue deux types de liaisons : d’une part, une liaison entre ce qui symbolise et ce qui est symbolisé ; d’autre part, une liaison en rapport avec « l’objet manquant appelé à re-advenir dans l’espace psychique ».

En tant que relation entre un symbolisé et un symbolisant, R. Kaës (1984) 52 considère le conte, le rêve, le mythe, les croyances comme des phénomènes psychiques sous-tendus par un ensemble de processus de symbolisation et mettant en jeu la réalité psychique, la trame de l’intersubjectivité et les formations culturelles et sociales. En ce qui concerne les croyances à la sorcellerie qui sont l’objet de mon étude, il convient de noter que dans la société gabonaise, son importance est liée aux angoisses liées aux questions existentielles ou encore à la souffrance psychique que vivent les sujets. En effet, lorsque ces derniers sont confrontés à des questions sans réponses ou encore aux angoisses liées à la souffrance psychique, il y a référence aux croyances pour pouvoir comprendre le phénomène de la maladie.

De ce fait, quel sens peut prendre la symbolisation chez ces différents sujets ? S’agit-il simplement d’une « absence » de réponses, c’est-à-dire d’une difficulté à apporter des réponses par rapport aux questions que soulève la question de la maladie en particulier, permettant ainsi la référence aux représentations culturelles et l’utilisation des thérapies traditionnelles ? S’agit-il d’une angoisse profonde dont les références à la culture ne sont que l’expression ?

Vu l’ensemble des définitions, il convient de noter que la symbolisation est considérée comme produit et processus. En tant que produit, la symbolisation est un résultat ; elle se trouve à l’état achevé. Pour cela, la symbolisation se manifeste à l’état conscient par la symbolique. De ce fait, les rêves, les pensées, les mythes, les représentations sont ces produits de la symbolisation. Ils sont la représentation d’un signifié. Pour Aristote, « les symboles sont plus réels que ce qu’ils symbolisent ».

Dans le champ de la linguistique, F. Saussure (1915) 53 considère la symbolisation comme un processus de mise en relation de deux ou plusieurs unités sémiotiques. De ce fait, pour E. Benveniste (1966, 20) 54 , la symbolisation est la « capacité de représenter le réel par un « signe » et comprendre le « signe » comme représentant le réel, donc d’établir un rapport de signification entre quelque chose et quelque chose d’autre ». Cette symbolisation se fait à l’état conscient. La langue par exemple implique ce type de symbolisation se faisant par la combinaison des mots. Dans cette forme de symbolisation, il y a une relation de correspondance entre un signe et un objet.

Notes
44.

Sigmund Freud (1891), Contribution à la conception des aphasies. Paris, PUF, 1983, 155 p.

45.

René Roussillon La métapsychologie des processus et la transitionnalité. Revue Française de Psychanalyse, Paris, PUF, 1995, n° Spécial, pp. 1351-1519.

46.

Robert Pelsser, Qu’appelle-t-on symboliser ? Une mise au point. Bulletin de Psychologie, 1989, Tome XLII, n° 392, pp. 714-726.

47.

Sigmund Freud (1920), Au-delà du principe de plaisir. Essais de Psychanalyse. Paris, Payot, 1981, pp. 47-128.

48.

Hanna Segal, Note sur la formation du symbole. Revue Française de Psychanalyse, Paris, PUF, 1970, n° 4, pp. 685-696.

49.

Robert Pelsser, L’enfant en jeu. L’information psychiatrique, Toulouse, Privat, vol. 62, 1986, pp. 571-88

50.

Alain Gibeault, Présentation du rapport :Destins de la symbolisation. Revue Française de Psychanalyse. Paris, P.U.F., LIII, 6, 1989, pp. 1493-1515.

51.

Michèle Perron-Borreli, Introduction; Revue Française de Psychanalyse. Paris, P.U.F., LIII, 6, 1989, pp. 1487-1491.

52.

René Kaës, L’étoffe du conte, Contes et divan. Les fonctions psychiques des œuvres de fiction. Paris, Bordas, 1984, pp. 1-20.

53.

Ferdinand de Saussure (1915), Cours de linguistique générale. Paris, Payot, 1995, 520 p.

54.

Emile Benveniste (1966), Problèmes de linguistique générale. Paris, Gallimard, 286 p.