2.2.3. Les processus de liaison

En définissant le lien comme une activité, il y a dans cette notion l’idée de travail et celle de processus. Il s’agit alors du processus ou du travail de liaison. Dans ce sens, que signifie cette notion de travail ? Quelles relations a-t-elle avec la notion de liaison ?

Du point de vue étymologique, la notion de travail implique l’existence d’un cadre et d’un soutien qui permet l’élaboration du lien ou au contraire la libre circulation du voyage. Du point de vue psychologique, le travail est une « transformation produite sous l’effet de modifications énergétiques d’intensité variable, de formes, de processus et de systèmes de relations psychiques ». C’est ce travail de formation et de transformation qui constitue le lien. Ce travail de liaison peut s’observer à travers la formation des symptômes.

S’étant intéressé à la formation des symptômes, S. Freud met en relief une organisation en systèmes d’un ensemble de liaisons ou de correspondances. S. Freud (1895) 85 décrit chez l’hystérique des idées se construisant en réseaux. Réunis entre eux, ces réseaux créent des « noyaux  », à l’origine de l’ « organisation pathologique ». Par ailleurs, S. Freud (1896) 86 note que « les rats avaient acquis un certain nombre de significations symboliques auxquelles, ultérieurement, s’en ajoutaient toujours de nouvelles ». De ce fait, le rat a une liaison avec l’argent, le pénis, les vers dans l’anus, etc., d’où le réseau de correspondances ou de liaisons. Ces systèmes de liaisons forment un ensemble de représentations. De même, S. Freud (1900) 87 note qu’il existe cette même correspondance entre deux termes et une organisation en réseaux. Pour l’auteur, le rêve est fait d’un ensemble de symboles s’organisant en réseaux.

De ce fait, il convient de distinguer deux niveaux, à savoir celui où s’établissent des correspondances terme à terme, et celui où ces correspondances s’organisent en réseaux. Ces deux niveaux de liaison correspondent à ce que R. Perron (1992) 88 appelle d’une part, la représentation où il existe un simple travail de liaison et d’autre part, la symbolisation qui prend en compte le travail de liaison qui tisse des relations entre représentations. Dans ce sens, représentation et symbolisation constituent deux niveaux de travail de liaison. Mais pour l’auteur, les « représentations préexisteraient aux relations que tisse entre le travail de symbolisation. Alors que la symbolisation crée le matériau même qu’elle propose de travailler, c’est-à-dire les représentations, dont ensuite elle remanie sans cesse les agencements » 89 .

Dans cette perspective, le travail de liaison implique un travail de transformation (W. Bion, 1965) consistant à obtenir la satisfaction par l’intermédiaire de la représentation. Cette satisfaction se fait par la mise en relation d’un objet avec un autre. Ainsi, le lien est un travail de transformation. Pour cela, il convient de noter deux modes de transformation. D’une part, il y a la transformation d’une quantité d’énergie en une qualité de forme psychique capable de contenir la décharge pulsionnelle. D’autre part, il existe une transformation due aussi à la substitution d’une voie directe par une nouvelle voie, suscitée par l’expérience de l’absence ou le défaut de l’objet. Par ce travail de représentation, il y a établissement d’un lien entre une présence non absentée et une absence représentée. Ce lien est soutenu par des inscriptions mnésiques et les processus associatifs.

Entre ces deux modalités de transformation, il existe une autre modalité se situant entre le pôle corporel de la représentation et le pôle symbolique du processus de mentalisation. Dubor (1976) parle de la capacité qu’a le sujet de transformer ses impulsions internes par des « agirs expressifs ». Pour cet auteur, l’agir est :

« cette possibilité de décharge directe des pulsions s’exprimant dans des manifestations corporelles comportementales ayant la caractéristique d’actualiser d’emblée la pulsion et son éprouvé dans le contexte circonstanciel énergétique et dynamique, ceci sans passer obligatoirement par la chaîne de mentalisation de désir de ses représentants imaginaires ou symboliques. Aussi, l’agir peut-elle être une modalité signifiante systématisée, ancrée dans l’éprouvée corporel, d’une motion corporelle qui utilise le poids du réel pour se faire comprendre ».

Du point de vue clinique, si l’auteur situe cette modalité relationnelle chez les psychotiques en particulier, il convient de noter qu’elle existe aussi chez les individus qui, se croyant confrontés aux croyances à la sorcellerie, vont porter sur eux des « fétiches  » (dans son sens anthropologique) dans le but de se « protéger » contre les sorciers.

Le travail de transformation implique la notion de processus. Dans le travail du deuil par exemple, il s’agit du processus par lequel le sujet lutte contre la réaction dépressive, entraînée chez lui par la perte d’un être chère. Dans ce sens, il existe un lien entre la réaction dépressive et la perte de cet être cher. De ce fait, la mentalisation par le sujet des représentations culturelles pour former ses propres pensées peut-elle être considérée comme un travail ou un processus de liaison ?

Le processus renvoie à une succession d’événements conduisant un objet à changer de forme ou d’état selon une évolution où plusieurs étapes peuvent être repérées. Dans ce sens, considérer le lien comme un processus psychique m’amène à m’intéresser au lien en tant que transformations s’opérant dans la mise en relation entre deux objets. C’est le cas lorsqu’il y a association entre des quantités de stimulations physiologiques et des qualités psychiques ou des pré-constructions culturelles et leur investissement et reconstruction psychiques. Dans cette perspective, comment les systèmes de représentations utilisés par le sujet sont-ils transformés par le sujet ?

Ainsi, en tant qu’« ensemble de liaisons où quelque chose va représenter quelque chose d’autre pour quelqu’un » (A. Gibeault, 1989) 90 , la liaison est un processus. De ce fait, il convient, selon M. Perron-Borreli (1989) 91 , de distinguer deux types de liaisons : d’une part, une liaison entre ce qui symbolise et ce qui est symbolisé, et d’autre part, une liaison en rapport avec « l’objet manquant appelé à re-advenir dans l’espace psychique ». Ce qui peut être compris à travers le schéma suivant :

En ce qui la relation entre symbolisant et symbolisé, elle peut s’observer à travers l’utilisation des croyances. Dans cette perspective, R. Kaës (1984) 92 considère le conte, le rêve, le mythe, les croyances comme des phénomènes psychiques sous-tendus par un ensemble de processus de symbolisation et mettant en jeu la réalité psychique, la trame de l’intersubjectivité et les formations culturelles et sociales. Cette relation est aussi valable dans le cas de « l’objet manquant » appelé à re-advenir dans l’espace psychique. Seulement pour que cet objet ré-advienne, il peut se servir des formations culturelles existant dans la société.

Notes
85.

Sigmund Freud, Joseph Breuer (1895), Etudes sur l’hystérie, Paris, PUF, 1994, 12ème édition, 254 p.

86.

Sigmund Freud (1896), L’homme aux rats. Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1995, 19ème édition, pp. 199-261.

87.

Sigmund Freud (1900), L’interprétation des rêves. Œuvres complètes. Psychanalyse IV. Paris, PUF, 2004, 756 p.

88.

Roger Perron, Représentation, symbolisation, théorisation. Revue Française de Psychanalyse, 1992, 1, pp. 159-174.

89.

Roger Perron, Idem, p. 165.

90.

Alain Gibeault, Présentation du rapport : Destins de la symbolisation. Revue Française de Psychanalyse. LIII, 6, 1989, pp. 1493-1515.

91.

Michèle Perron-Borreli, Introduction, Revue Française de Psychanalyse. LIII, 6, 1989, pp. 1487-1491.

92.

René Kaës, L’étoffe du conte, Contes et divan. Les fonctions psychiques des œuvres de fiction. Paris, Bordas, 1984, pp. 1-20.