Dans cette partie, il s’agit de poser la problématique et les hypothèses qui vont me permettre de comprendre mon objet de recherche.
Parler de représentations et de maladie mentale soulève la question des liens existant entre ces représentations et le fonctionnement psychique. Dans cette perspective, il convient de noter que les croyances en particulier (représentations culturelles) permettent de représenter un phénomène, la maladie mentale. Ce qui implique la présence d’un lien. Pour cela, un ensemble de questionnements s’avèrent nécessaire pour l’avancée de cette recherche. En effet, de quel lien s’agit-il ? Existe-t-il un lien direct ou de causalité entre les deux phénomènes ? Qu’est-ce qui se lie à travers ces représentations ? Quels liens existent-ils alors entre les représentations de la maladie mentale et les processus de symbolisation ? A quoi renvoie la référence aux systèmes de pensée que constituent les représentations ? Qu’est-ce qui se répète à travers ces représentations ?
Même si pour certains psychanalystes, le comportement est le résultat d’un fonctionnement intrapsychique, venant du dedans, de nombreux travaux ont tenté de comprendre l’importance de la culture sur le fonctionnement psychique. Les travaux de B. Malinowski (1932) 111 , M. Mead (1963) 112 en Océanie ou encore ceux sur la formation de la personnalité de base de R. Linton (1968) mettent en relief la particularité du fonctionnement psychique face à un milieu culturel spécifique. Par rapport à ces observations, quel est l’impact psychologique des représentations culturelles sur les comportements et les conduites des individus ? Qu’est-ce qui caractérise cet impact ? Et comment se fait-elle ? Dans ce sens quels sont les processus psychiques sous-tendant ces représentations ?
Dans la société gabonaise, la plupart des individus fait référence à la culture pour pouvoir comprendre un fait ou un événement (heureux, surtout malheureux). Dans cette perspective, la culture sert de norme et de modèle au groupe social. Par exemple, dans la société gabonaise, la référence aux croyances à la sorcellerie pour pouvoir expliquer et comprendre un fait ou un phénomène est le système de pensée le plus répandu. Dans ce sens, il sert à représenter la maladie mentale. Ce privilège que la population accorde à une forme d’explication plutôt qu’à une autre, constitue pour moi un objet d’intérêt. Dans ce sens, quels processus de symbolisation sous-tendent ces représentations de la maladie mentale ? Comment peut s’exprimer cette symbolisation ?
La thématique de cette recherche peut renvoyer à trois acceptions différentes de la problématique. D’abord, en tant que représentations de la maladie mentale au Gabon. Ce qui implique un travail sur un ensemble de représentations sur la maladie mentale existant dans n’importe quelle société. Représentations qui existent dans toute la société et qui sont émises par tous les individus. Ici, il s’agit alors d’un travail psychosociologique. Ensuite, il y a l’intérêt accordé aux représentations de la maladie mentale des personnes souffrantes. Cette approche, pas très différente de la première, donne une autre connotation à la façon dont peut être saisie les représentations de la maladie. Ici, se pose le problème de l’état de la personne qui représente la maladie mentale. Et enfin, il y a la prise en compte des processus de représentation et de symbolisation chez ces individus, notamment ceux souffrants, qui utilisent les représentations culturelles pour représenter la maladie mentale.
Ces différentes approches ne doivent pas s’exclure mais plutôt se compléter. Car, les individus intériorisent ces représentations et les inscrivent dans leurs propres fantasmes. En ce sens, on peut noter le passage des représentations sociales ou culturelles aux représentations psychiques. Afin de comprendre l’influence de la culture sur les processus de symbolisation, il convient de prendre en compte un ensemble d’approches. En effet, l’intérêt des approches ethno-anthropologiques et sociologiques permet de mettre en relief non seulement les différentes caractéristiques des représentations culturelles, mais aussi leur influence sur le fonctionnement et l’organisation de la société gabonaise. En prenant le cas des croyances à la sorcellerie, et en particulier son impact psychologique sur les individus, l’approche psychologique permet de comprendre cette influence du social sur l’individu et vice versa.
Par ailleurs, la représentation est une réalité psychique. S. Freud (1900) note deux niveaux de réalité psychique : une constituée de l’ensemble de pensées ; l’autre, des noyaux résistants, réels, c’est-à-dire des fantasmes, des expressions des désirs inconscients qui sont à l’origine même des représentations. Pour cela, la représentation implique non seulement un travail mais aussi une mise en présence. De ce fait, quels sont les processus inconscients sous-tendant cette représentation de la maladie mentale ? Qu’est-ce qui est symbolisé à travers la représentation de la maladie mentale ?
Dans Totem et tabou, S. Freud (1913) s’intéresse à la question des représentations, notamment des croyances. En effet, pour l’auteur, « le principe qui régit la magie, la technique du mode de pensée animiste est celui de la toute puissance des idées ». Dans ce sens, pour l’auteur, la vie d’un sujet est dirigée par ses désirs ou la représentation de ses désirs. La surestimation de ces désirs peut-elle alors être à l’origine de la surenchère des représentations culturelles dans l’interprétation des faits ?
Comme on peut le noter, chaque approche a son importance. Mais le problème est que chacune travaille sans aucune relation avec les autres. Vu la complexité de l’objet de recherche, il est important de tenir compte de l’approche dite « complémentariste », de l’approche clinique interculturelle rencontrée en psychologie. Si aujourd’hui, il existe de plus en plus de travaux en psychologie interculturelle, il est à signaler que les premiers travaux en interculturel ont été effectués dans le monde de l’éducation où il fallait saisir l’influence sociale sur l’éducation des enfants. De même, les travaux en développement de l’enfant, notamment au niveau de l’intelligence ont porté plus haut les travaux en interculturel.
En psychologie clinique ou en psychopathologie, la question des rapports entre culture et psychisme s’est toujours posée. Même si l’interculturel n’a jamais été l’objet principal de ses travaux, il est à noter que S. Freud (1913) s’y est quand même intéressé, en essayant de saisir le fonctionnement psychique des peuples primitifs en fonction des faits culturels. Par ailleurs, les travaux sur l’anthropologie psychanalytique de G. Roheim (1978) ont aussi permis de saisir l’importance de la culture sur le fonctionnement psychique. Mais c’est surtout avec G. Devereux (1972) que la question des rapports entre culture et psychisme va être vraiment mis en relief. L’auteur parle même d’un « inconscient culturel ».
En tenant compte de l’inconscient culturel, beaucoup de travaux ont été menés dans le cadre de l’ethnopsychiatrie en Afrique (Dakar, Sénégal) par une équipe dirigée par le Professeur H. Collomb (1965), dans le cadre de la Psychopathologie Africaine. Ces travaux essaient de montrer l’influence que peut avoir la culture sur le fonctionnement psychique. C’est dans le cadre de cette approche ethnopsychiatrique ou de clinique interculturelle que je vais centrer l’essentiel de cette recherche. Cette approche prend en compte non seulement la dimension individuelle du sujet (fonctionnement psychique), mais aussi la culture dans laquelle vit ce sujet. Comment le sujet réagit par rapport à son milieu ? Comment il se situe par rapport aux représentations qu’il tire du milieu dans lequel il vit ?
Sur la base de ces interrogations, il s’agit maintenant de formuler des hypothèses qui vont guider cette recherche.
Bronislaw Malinowski (1932), La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives. Paris, Payot, 2001, 296 p.
Margaret Mead, Mœurs et sexualité en Océanie. Paris, Plon, 1963, 606 p.