1.2.1. L’observation clinique

Avant de décrire les différentes observations faites, on va d’abord énoncer les circonstances qui ont conduit à cette recherche et d’où elle est née.

Les observations cliniques ont été faites à l’hôpital psychiatrique de Mélen 117 qui est le seul lieu (hormis l’hôpital Schweitzer à Lambaréné) où sont pris en charge les malades mentaux. Ceux-ci viennent de toutes régions du Gabon sur évacuation sanitaire et repartent dans leur province une fois stabilisés. Accueillant tout le monde, chaque malade y arrive avec sa culture, ses croyances, etc.

Ayant passé à plusieurs reprises des stages en psychiatrie, on rencontrait des malades internés ou venant en consultation qui utilisaient dans leur discours les croyances traditionnelles. Ces observations étaient de temps en temps confirmées par les études des dossiers des patients ou encore par les entretiens avec le personnel infirmier. Les cas suivants permettent d’illustrer la présence des croyances dans les discours :

« Cécile, 38 ans, aînée d’une fratrie de trois enfants, mère de 3 enfants, revient du Nord-est du Gabon. Elle est hospitalisée en psychiatrie depuis deux semaines pour agressivité verbale et physique, fugues, insomnies, soliloque, etc. Les entretiens avec Cécile indiquent qu’elle est devenue insomniaque depuis le décès de son père, il y a environ près de 6 ans. Mais ses premières crises ont commencé la première fois, il y a 4 ans. Au cours de cette crise, elle a eu des pensées suicidaires, se mettait à parler seule, faisait des cauchemars dans lesquels elle se voyait poursuivie par des personnes de son village. Elle a toujours fait le même rêve depuis son enfance. Mais Cécile a du mal à évoquer ce rêve car elle estime que ce sont les « choses des Noirs ». Après son accord, elle relate qu’elle se voit encore jeune fille, son père venant lui donner une dent de panthère en lui demandant de la garder jalousement et d’en faire bon usage dans la vie. Et c’est justement cette dent donnée par son père qui lui vaut des problèmes car d’autres personnes du village veulent la récupérer en lui disant : « c’est notre tour maintenant, donne-nous la dent ».

Par ailleurs, « Pierre, 40 ans, fonctionnaire de santé, arrive du Sud du Gabon sur évacuation pour agressivité verbale et physique, fugues, logorrhée, déambulation, etc. L’histoire de la maladie remonte à environ deux semaines à la suite d’un conflit familial. Dans son discours, Pierre dit voir des gens qui le poursuivent pour le tuer. En même temps, il dit aussi avoir été mangé en sorcellerie par sa tante paternelle qui est contre lui et ne veut pas sa réussite sociale ».

Enfin, le troisième cas est celui de « Mélanie, âgée de 35 ans, aînée d’une fratrie de 2 enfants et est mère 5 enfants. Elle vient en consultation psychiatrique sur conseil d’un voisin. Mélanie pose un problème d’amaigrissement qui l’avait amené à consulter un nganga et se faire initier. L’histoire de la maladie remonterait à sa sortie de l’hôpital il y a environ 18 mois faisant suite à un avortement qui s’était mal passé. Des entretiens, il ressort qu’elle est insomniaque, anorexique, souffre des céphalées, présente des idées de persécution. Dans son discours, elle accuse son oncle être à l’origine de sa maladie parce qu’il ne voulait pas qu’elle aille en mariage (jalousie familiale) ».

Ces trois brèves observations ont permis de noter l’importance des représentations traditionnelles dans le discours des patients, et notamment dans les représentations de la maladie mentale. Si pour le premier cas, c’est la « dent de la panthère » qui est à l’origine de sa maladie, pour l’autre, c’est sa tante qu’elle considère comme une sorcière. Pour l’autre encore, c’est son oncle maternel, un sorcier, qui est à l’origine de sa maladie.

C’est sur la base de ces observations qu’on est arrivé à se poser la question du fonctionnement psychique dans la société, notamment à travers l’utilisation des croyances traditionnelles dans la représentation de la maladie mentale. L’intérêt pour ces représentations est lié au fait que, malgré la modernisation de la société gabonaise, certaines représentations culturelles soient toujours mises en avant pour comprendre et expliquer les faits et les phénomènes qui se posent à la société. De ce fait, il s’agit de savoir quels sont les processus de symbolisation qui sous-tendent ce fonctionnement et comment se caractérisent-ils ?

Notes
117.

Banlieue qui se situe à 13 km de Libreville.