1.1. De la confusion du terme de « sorcellerie »

Au Moyen Age, l’Occident avait connu son heure de gloire en matière de sorcellerie. A cette période, on pouvait noter dans la littérature française, espagnole ou italienne des cas de sorcellerie. En Espagne comme en France, on parlait de l’Inquisition menée par l’Eglise où les sorciers étaient brûlés car considérés comme possédés par les esprits, par Satan. L’un des cas les plus connus est celui de Jeanne d’Arc qui fut condamnée et exécutée en l’accusant de sorcière. Pour cela, il est nécessaire de faire un tour du côté des travaux anthropologiques, historiques et peut-être même religieuses en rapport avec ce phénomène.

Au Gabon, le phénomène de la sorcellerie requiert une grande importance dans la société. Ayant travaillé sur le village des morts « ibungu » 146 , E. Ibamba (1984) décrit l’organisation des réunions des sorciers qui se caractérisent par des repas nocturnes ou « mystiques ». Les cas de maladie, de décès ou d’infortune en rapport avec le phénomène de la sorcellerie montrent la répétition de ce phénomène. Ainsi, la sorcellerie a un caractère universel car elle se retrouve dans tous les pays et à tous les temps. C’est un fait de civilisation.

Dans l’Antiquité grecque, la sorcellerie renvoyait à celui qui connaissait. Maintenant, elle signifie le fait de jeter un sort. Dans la société gabonaise, dans son étymologie traditionnelle, la sorcellerie n’est pas quelque chose de négatif. En langue Fang, la sorcellerie (« yem », veut dire la connaissance ; et ceux qui connaissent, « beyem », sont des sorciers. Il en va de même pour la langue Ipunu où le terme dikundu veut dire udjabe , un savoir (E. Ibamba, 1984).

A travers ce glissement sémantique, il faut noter que les termes comme : « vampire  », « diable  », « Satan  », « monstre  » se sont imposés dans la société, à tel point qu’ils sont utilisés comme synonymes de sorcier. Dans la société occidentale, le vampire est un mort qui sort de son tombeau pour aller sucer le sang des vivants. C’est un dracula. Quant au terme diable, dans sa représentation occidentale d’ « ange déchu », c’est un être irréel qui possède des « oreilles pointues, des petites cornes, des pieds fourchus et une longue queue ». Alors que la sorcier est un être humain appartenant à un système plus complexe.

Ainsi, au-delà de ce problème linguistique, on peut noter que la sorcellerie est d’abord un savoir, une connaissance. Mais ce savoir est inné car la sorcellerie naît avec chaque enfant. Pour cela, elle existe chez chaque individu. De ce fait, comment cette notion a pu subir un changement sémantique, allant de la connaissance, de savoir à la connaissance de mal ? En effet, en fonction des prédispositions et des conditions du milieu, cette sorcellerie innée peut être vécue comme quelque chose de bien ou de mal, à l’origine de deux formes de sorcellerie : positif ou négatif.

Dans un sens positif, la sorcellerie renvoie à la connaissance, au savoir comme vu plus haut. Dans cette perspective, le nganga, de par sa connaissance, son savoir est un sorcier. Son objectif n’est pas de faire du mal ou de nuire à quelqu’un. Selon E. Evans-Pritchard (1937) 147 , il existe une pratique sorcière faite par les spécialistes à des fins sociales. La magie est utilisée à bon escient pour faire tomber la pluie, pour la guérison, etc. Leurs sorts sont jetés seulement contre les individus déviants. Tel est le cas de cet individu rendu malade et condamné par le groupe parce qu’il a tué en sorcellerie un membre de sa famille.

Dans un sens négatif, la sorcellerie renvoie à deux sens : restreint et élargi. Dans son sens restreint, la sorcellerie se caractérise par cette capacité qu’a le sorcier de quitter son corps la nuit, dans le but de se réunir en groupes, sucer ou « manger la vie » de leurs victimes. Il s’agit de la sorcellerie-anthropophagie. Dans son sens populaire ou élargi, le terme sorcellerie décrit tous les usages malfaiteurs des pouvoirs occultes, à savoir les envoûtements, la magie noire, le « mauvais œil » ou encore l’utilisation du pouvoir magique afin de nuire à quelqu’un ou à ses biens. E. Evans-Pritchard (1937) parle d’un pouvoir magique que possède un individu pour nuire à autrui.

De ce fait, la sorcellerie a une double fonction sociale. E. Evans-Pritchard (1937) les distingue dans la langue anglaise par witchcraft et sorcery qu’il différencie d’une part, par la sorcellerie innée, involontaire dont le sujet peut être porteur à son insu et par laquelle il porte malheur. Cette sorcellerie se fait sans support matériel. Et d’autre part, il y a sorcery qui se rapproche de l’envoûtement, c’est-à-dire qu’elle est liée à une action délibérée de la part du magicien, celle qui se fait à travers des moyens matériels. Pour l’auteur, même si la différence se situe au niveau de leurs pratiques, les deux ne sont pas opposés car les sorciers utilisent souvent la magie dans leurs pratiques. Cette nuisance se fait par l’intermédiaire d’un pouvoir magique.

Tous ces phénomènes sont décrits sous le vocable de sorcellerie. Il s’agit, en fait, de modes de pensée humain. Dans l’espoir de maîtriser leur destin, de satisfaire leur besoin de richesse et de puissance, des individus ont, depuis la nuit des temps, fait appel à des forces surnaturelles, et cela notamment, par l’intermédiaire des pratiques magiques.

Toutefois, il convient d’abord de différencier magie et sorcellerie, comme deux versants. La magie est une technique réservée aux initiés. Quant à la sorcellerie, elle appartient au domaine du profane, du vulgaire. Tout sorcier est par définition un apprenti, faisant appel à des forces qui le dépassent. Si le magicien manipule les forces magiques, on peut dire que le sorcier est manipulé par celles-ci. On a une opposition actif/passif renvoyant à celui de masculin/féminin dans le couple magicien/sorcière. Par l’invocation de certaines forces malveillantes par le sorcier, il se situe du côté du mal. De ce fait, qu’est-ce qui caractérise ce phénomène ?

Notes
146.

Village de morts en langue Punu du Gabon.

147.

Evans-Pritchard (1937), Sorcellerie, oracle et magie chez les Azandé. Paris, Gallimard, 1972