1.2.1. Le pouvoir

Par son pouvoir, le sorcier a la capacité d’exercer une action néfaste ou bonne sur une personne, un objet, etc. Ce pouvoir peut être néfaste ou bénéfique. Ayant travaillé sur la question des religions en Afrique, J. Mbiti (1972) 148 différencie la « bonne magie  » de la « mauvaise magie ». En effet, pour cet auteur, la bonne magie est acceptée et appréciée par la société. Certains spécialistes comme les guérisseurs, les dévins l’utilisent pour le bien de la communauté, par exemple, en faisant tomber les pluies en période de sécheresse, guérir les malades, lutter contre les mauvaises puissances ou la sorcellerie, etc. Au Gabon, ce pouvoir est porté par les nganga. Alors que la mauvaise magie a pour but de nuire aux humains et à leurs biens. C’est de la pure sorcellerie ; elle est condamnée par la société.

Dans son aspect négatif, la sorcellerie a pour caractéristique provoquer la mort. Ayant travaillé sur la sorcellerie chez les Punu 149 de Moabi, dans le sud du Gabon, Ibamba (1984, 8) 150 définit la sorcellerie comme « un certain savoir (« udjabe  ») et un pouvoir (« dinyangue ») par lequel l’homme (« mutu ») qui le possède peut supprimer ou faire mourir un autre homme ». A cet effet, le sorcier a-t-il ce pouvoir de donner la mort, de rendre malade ou de jeter un sort. En prenant le cas de la malédiction, l’histoire suivante relate un cas d’« akagha » 151 qui est une forme de malédiction :

« Marianne est une jeune femme de 30 ans. Ses parents lui ont toujours dit qu’elle sera l’honneur de la famille et apportera la richesse à la maison. Mais cette situation ne va pas plaire à cette jeune femme qui refusera d’assumer cette responsabilité. De cet affront, le père dira à sa fille : « tu n’auras jamais d’enfant et de mari toute ta vie ». Depuis lors Marianne est devenue stérile et n’a aucun mari fixe ».

C’est le non respect des ancêtres par l’intermédiaire du père qui aurait conduit à cette situation de malédiction du fils. A cet effet, Marianne devient-elle stérile et instable sur le plan affectif parce qu’elle a enfreint l’autorité du père. Le pouvoir néfaste du père devient alors justifié. Pour le Père Nicolas 152 , certains pouvoirs n’ont aucun effet car certains parents outrepassent parfois leurs droits. Dans Genèse 2 (18-27), Dieu dit qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul, d’où l’union d’Adam et Eve dans le but de multiplier le monde. Pour cela, il n’y a pas de raison que la loi des hommes puisse l’emporter sur la loi de Dieu. Ainsi, certains pouvoirs néfastes ne doivent pas être utilisés pour le plaisir. Par exemple, la malédiction doit porter sur une réalité, c’est-à-dire les mauvaises conduites.

La réponse à cette malédiction consiste à aller demander pardon à ce père, c’est-à-dire à recevoir la bénédiction. Au cours de cette demande de pardon, une cérémonie est organisée afin d’honorer les ancêtres. Pour cela, des présents sont apportés à la famille paternelle, ayant subi l’affront. Avant la bénédiction, le père va accepter solennellement être l’auteur de cet acte de malédiction et évoquer les motifs de son acte. Une fois reconnu, la deuxième consiste à bénir la personne. Cette bénédiction se termine généralement par un sacrifice (mouton, chèvre, coq, etc.).

Le pouvoir du sorcier repose sur la technique de la magie. Sur le plan fonctionnel, J. Frazer (1890) 153 distingue deux types de magie : d’une part, la « magie contagieuse » se caractérisant par le fait que l’objet avec lequel l’individu a été en contact ou une partie de son corps (cheveux, ongle, empreintes) est utilisé de façon malfaisante afin de provoquer chez l’individu des ennuis. Cela se fait par le mécanisme de la contagion. Et d’autre part, la magie homéopathique se caractérise par le fait que lorsqu’un geste est fait sur un objet, il influence en affectant la personne visée. Au Gabon, de nombreux individus utilisent ces procédés, et notamment les techniques d’envoûtement, d’empoisonnement ou encore de malédiction, etc.

Et la plupart de ces pouvoirs magiques sont de type religieux comme c’est le cas des actes de malédiction et de bénédiction où le sorcier rentre en contact avec le monde des esprits ou des ancêtres par des rituels religieux, à partir desquels il se déploie et réalise ses actes de sorcellerie. Cette relation du sorcier reposant sur ces rituels appartient au monde magico-religieux. Ainsi, dans cette problématique de la sorcellerie, je ne vais pas m’occuper de celle qui utilise la « bonne magie  » mais plutôt de celle qui porte sur la « mauvaise magie ». Dans quel but le sorcier utilise ce pouvoir négatif ? Ce qui m’amène à parler de l’essence même de la sorcellerie, à savoir la sorcellerie-anthropophagie. De quoi s’agit-il ?

Notes
148.

John Mbiti, Religions et philosophie africaines, Yaoundé, Editions CLE, 1972, 299 p.

149.

Groupe ethnique situé dans le sud du Gabon et qui parle la langue Ipunu.

150.

Emile Ibamba, Traditions et changements sociaux. Organisation sociale et conception du monde chez les Punu du Gabon. Le village des morts : « ibungu ». Etude sociologique et ethnologique. Thèse de doctorat de Sociologie, 1984, Université de Toulouse Le Mirail, 379 p.

151.

Terme Fang qui veut dire « contrat mystique » passé entre deux personnes. Il s’agit d’une sorte de malédiction que porte une femme et qui se manifeste par le fait qu’elle ne peut avoir un mari dans sa vie.

152.

Prêtre appartenant à la Congrégation du Saint-Esprit et spécialisé dans la prise en charge des maladies à Libreville.

153.

James Georges Frazer (1890), La magie sympathique. Le rameau d’Or. Paris, Robert Laffont, 1981, pp. 41-140.