Du point de vue symbolique, un ensemble de significations existe dans la littérature. En effet, l’acte de sorcellerie peut être considérée comme un sacrifice. S’intéressant à la nature et à la fonction du sacrifice, H. Hubert et M. Mauss (1899) 164 notent qu’il consiste à « établir une communication entre le sacré et le profane, par l’intermédiaire de la victime ». Dans ce sens, l’acte de la sorcellerie sur une personne peut-il signifier l’établissement de la relation entre le profane et le sacré ? D’ailleurs, dans la société gabonaise, lorsqu’une personne meurt d’une raison inconnue, d’accident brutal ou souffre d’un mal inconnu, il s’agit souvent d’un sacrifice.
Par ailleurs, certains auteurs donnent les motivations de ces sacrifices. R. Girard (1972) 165 note que toute société humaine est menacée par sa propre violence. Tout le problème est de détourner cette violence. Et le sacrifice convient bien à ce besoin fondamental. Il s’agit d’une « violence de rechange ». L’objectif de ce sacrifice est de détourner vers une victime « expiatoire » une violence qui pourrait frapper tous les membres de la société. Ainsi, par le sacrifice que représente l’acte de sorcellerie, le sorcier a un moyen d’éliminer la vengeance interminable, en maintenant la violence hors de la communauté. En cela, la sorcellerie a une fonction de régulation sociale.
L’approche anthropologique a permis de saisir le concept de la culture. De par son aspect immatériel, invisible et mystique, la sorcellerie permet une certaine vision du monde. Pour cela, ayant pour caractéristique principale la nuisance d’autrui, la sorcellerie attire sur elle un ensemble de représentations du mal servant de repères ou de systèmes de pensée à certains individus. C’est dans cette capacité à représenter le mal que la sorcellerie donne à la société qui m’interpelle. De ce fait, en tant qu’élément culturel, la sorcellerie peut-elle servir pour représenter la maladie mentale ? En mettant en relation l’expérience réelle d’un mythe avec les affects individuels, il convient de saisir comment la sorcellerie est vécue ou représentée, à travers ses supposés effets, à savoir la mort, la maladie, la malédiction, non seulement par les sorciers mais aussi et surtout par les membres du groupe social dans lequel se trouvent ces sorciers.
Cet ensemble de questions met en relief l’influence que peut avoir la culture sur le fonctionnement psychique du sujet, notamment en ce qui concerne la représentation. En effet, quels processus sous-tendent ces représentations, surtout que la théorie de l’inconscient émet l’existence d’une vie mentale non consciente déterminant tous les actes ? Par ailleurs, selon S. Freud (1913), la religion s’explique par le besoin qu’a l’enfant impuissant de s’appuyer sur une figure paternelle capable de le protéger. Cependant, la religion ou la croyance en général soulève surtout la question du narcissisme de l’enfant car après sa naissance, celui-ci est confronté à une blessure narcissique qu’il va projeter. Et il va trouver dans cette projection un support plus adéquat que celui de l’image maternelle.
Cette situation se situe au niveau collectif. Mais qu’en est-il du point de vue individuel ? Autrement dit, si le mythe est un modèle collectif, à quoi il renvoie sur le plan individuel ? Ainsi, l’utilisation répétée des croyances par le sujet m’amène à m’intéresser à ce qu’expriment ces croyances pour le sujet. Autrement dit, il s’agit de savoir ce que ces croyances veulent symboliser. A travers le cas des croyances à la sorcellerie, il convient de voir quel impact psychologique possèdent ces croyances sur le sujet, et comment ces croyances sont ré-élaborées par lui.
Henri Hubert et Marcel Mauss (1899), Essai sur la nature et la fonction du sacrifice. Œuvres 1 : les fonction sociales du sacré. Paris, Les éditions de Minuit, 1968, 634 p.
René Girard, La violence et le sacré, Paris, Albin Michel, 1990, 486 p.