1.1. Cas d’Angèle

L’expression de la maladie d’Angèle soulève la question des facteurs à l’origine de son déclenchement et celle des mécanismes qui sous-tendent le fonctionnement de la personnalité du sujet.

1.1.1. Angèle face à ses difficultés existentielles

D’un point de vue clinique, Angèle se présente dans un état dépressif. Au cours des entretiens, on peut noter un ralentissement psychomoteur. Cet état contraste avec celui noté au début de son hospitalisation où elle présentait une personnalité totalement désorganisée : troubles de la conscience, une désorientation temporo-spatiale, une incurie, des troubles psychomoteurs, etc. Parmi les troubles de la conscience, on peut noter essentiellement un état délirant (délire mystique et persécutif) et hallucinatoire (auditifs). En réponse à ces observations d’Angèle, on peut se demander quels sont les facteurs pouvant être à l’origine de déstructuration de sa personnalité ? Dans quelles circonstances cette déstructuration est-elle apparue ?

L’existence de cette organisation psychopathologique est le résultat de plusieurs facteurs, parmi lesquels les traumatismes liés aux situations de deuils, les conflits relationnels et l’influence de la foi ou les effets de l’individualisme.

En ce qui concerne les situations de deuil vécues par le sujet, on peut noter qu’Angèle est orpheline de père, puis de mère. Ces deuils ont entraîné chacun à tour de rôle des traumatismes ayant fragilisé le sujet. A ces deuils, s’ajoute celui de son frère aîné décédé par assassinat dans des conditions macabres. Le deuil d’un être cher est à l’origine d’un état dépressif.

Les conflits relationnels de la famille constituent un autre facteur pouvant être à l’origine des difficultés d’Angèle. Dans ce sens, on peut noter qu’Angèle a toujours été en conflit avec son oncle, sa tante. Ce qui lui permet de dire que ces derniers sont à l’origine de sa maladie. Selon J.A. Bitsi (1997) 170 , dans ce type de société où le moindre conflit avec un des parents peut entraîner des sanctions, notamment la malédiction. Ce qui est à l’origine de la fragilisation du sujet pouvant se traduire par la maladie mentale. Dans ce sens, la maladie, les échecs tant sur le plan social que personnel sont vécus comme le résultat de la sorcellerie, en particulier de la malédiction. C’est ainsi qu’Angèle pense qu’elle a été maudite par sa tante, d’où sa maladie.

Un autre facteur a été noté chez Angèle dans le déclenchement de sa maladie. Il s’agit de l’influence des effets de l’individualisme. Celui-ci peut être pris à deux niveaux : au niveau religieux et au niveau social. D’un point de vue religieux, le développement des églises protestantes prônant le respect de la foi, accélère ce développement de l’individualisme. Dans les églises, la recherche du Salut est une affaire personnelle. Pour atteindre ce salut, il faut se préserver du péché et mettre en application les principes religieux. Il se trouve qu’Angèle pèche en commettant l’adultère avec un homme d’église. Or, il se trouve que l’adultère est un des grands péchés condamnés par l’Eglise et dénoncé dans les prêches par les hommes d’églises. En tant que chrétienne, cette faute conduit Angèle à s’identifier en tant que pécheresse. Dans la conception judéo-chrétienne, le péché renvoie à la faute, au mal. Ce qui, par conséquent, a pu entraîner le développement de la culpabilité chez le sujet.

Au niveau social, la société gabonaise se développe de plus en plus, entraînant des transformations des structures sociales et familiales (G. Balandier, 1982) 171 . Ce qui permet alors un relâchement des réseaux de relations familiales se caractérisant par le passage des familles élargies aux familles restreintes. Le sujet affronte seul désormais son destin. « …Mon oncle ne s’occupe d’elle alors qu’avant, il le faisait. C’est lui qui m’a fait venir à Libreville… », réclame le sujet. Ce qui entraîne un développement de l’individualisme chez les individus. Le sentiment de solitude créé non seulement par la mise en pratique de la foi et les difficultés de la vie en ville ont entraîné un individualisme, ont provoqué chez le sujet une désorganisation de sa personnalité. Face aux effets de cet individualisme auxquels les mécanismes culturels ne peuvent résister (rétrécissement du noyau familial), il y a une augmentation de l’angoisse chez le sujet. Cette augmentation est aussi facilitée par la rupture ou les relations conflictuelles avec le groupe, à l’origine d’un sentiment d’abandon.

Toutes ces situations ont pu constituer des traumatismes à différents degrés et ont pu contribuer à l’apparition d’une angoisse chez Angèle. Etant donné l’existence de cette angoisse chez le sujet, quelles sont les modalités de fonctionnement d’Angèle ? Ce qui conduit à s’intéresser au fonctionnement psychique sur la base du Rorschach et du TAT.

Notes
170.

Jacques Alain Bitsi. Désorganisation familiale et pathologie mentale. Mémoire de Licence, Université Omar Bongo, Libreville, 1997.

171.

Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire : dynamique sociale en Afrique centrale. Paris, P.U.F., 1982, 529 p.