1.1.2. Approche « projective » de la personnalité d’Angèle

L’approche du fonctionnement psychique d’Angèle sera faite par le Rorschach. Puis elle sera complétée par le TAT.

1.1.2.1. Approche par le Rorschach

En ce qui concerne le Rorschach, on peut repérer deux niveaux d’analyse : quantitatif et qualitatif. D’un point de vue quantitatif, il convient d’analyser la productivité, le temps, les modes d’appréhension, les déterminants et les contenus des réponses données par Angèle. L’approche quantitative du Rorschach permet de noter que la verbalisation est peu abondante. Dans ce sens, on a des temps de latence longs, de nombreux silences et des refus à de nombreuses planches (IV, V, VI, VII, IX et X). Ce qui exprime l’existence d’une inhibition chez le sujet. On y trouve aussi moins d’associations se caractérisant par des réponses courtes quand elles sont données. D’où l’existence d’une difficulté de fantasmatisation. Cette angoisse qui envahit Angèle va se manifester le long du protocole. Ainsi, à quelle problématique peut renvoyer les mécanismes observés chez Angèle ?

L’analyse quantitative du protocole d’Angèle contient près de 7 réponses fournies dans cinq planches (I, II, III, IV et VIII) en un temps très court (8’50). Ce qui est largement inférieur aux normes (20<R<30). Cette situation signifierait l’existence d’un trouble psychiatrique chez Angèle. La première planche exprime bien cette inhibition. Le temps de latence de la planche (18’’) est supérieur au temps de latence moyen (17’’). Ce qui montre un écart entre la présentation et l’apparition de la réponse. Cet écart est encore plus aggravé à la planche à la planche III où le temps de réaction est de 50’’, dépassant largement le temps de latence moyen. Le temps par réponse moyen est de 1’20, alors que la norme est de 45’’.

Par rapport cette réactivité, on peut diviser les planches en deux groupes : celles où le sujet réagit rapidement et dont le temps se situe entre 2’’ et 12’’ (Planches II, IV et VIII) et celles où le temps est plus long et dont le temps de réaction se situe entre 18’’ et 50’’ (Planches I et III). De ce fait, à quoi peut être lié cet allongement du temps aux planches I et III ? Si la planche I renvoie à la première planche narcissique et la III à celle de la triangulation, quels liens existent-ils entre ces planches ? Quel est leur impact en ce qui concerne fonctionnement psychique du sujet, notamment la lenteur d’Angèle ? Cette lenteur peut-elle être le résultat d’une activité dynamique et créatrice ou d’un ralentissement dépressif ?

En ce qui concerne modes d’appréhension, il existe deux modes utilisés : G et D. Le pourcentage des G est très bas (28%) alors que celui des D est très élevé ; il est très inférieur à la norme. Cette baise de G peut signifier l’incapacité pour le sujet à appréhender des objets dans leur intégrité, et par conséquent, une difficulté dans l’appréhension de l’image de soi. Ce que va confirmer le pourcentage élevé des D (71%).

L’analyse des deux réponses G permet de constater une contradiction. Si la première réponse donnée par Angèle est vue dans la globalité, associée à un K, elle montre une capacité d’élaboration fantasmatique, avec une identification humaine. La suite de la réponse : « …et qui n’a pas de tête… » et l’enquête : « … La tête est coupée….Ils ont coupé les pieds. » montrent la difficulté pour le sujet à rester dans la globalité. Dans ce sens, cette réponse G n’est qu’un mécanisme de défense. Ainsi, il y a un effort pour le sujet à saisir l’objet dans sa globalité mais cet effort ne tient pas. La deuxième réponse G apparaît à la planche dont la configuration nécessite des réponses détails. La réponse G est une tentative de défense pour éviter que le sujet ne soit submergé par l’angoisse de morcellement.

Ainsi, même si Angèle tente de saisir l’objet dans sa globalité, elle n’y arrive pas car l’angoisse de morcellement est sous-jacente chez elle. Dans ce sens, l’utilisation des réponses ne peut que constituer un mécanisme de défense.

Le F% d’Angèle (57) est en dessous de la norme (60-65%). Ce qui montre quelques légères difficultés d’insertion sociale du sujet et une difficulté de recours aux éléments de la réalité. Dans ce sens, la réponse K à la première planche peut prendre une valeur délirante chez Angèle. Quelle relation cette réponse peut-elle avoir avec le vécu du sujet ou son monde environnant ?

Par ailleurs, le pôle sensoriel est peu représenté (ΣC= 1 et ΣE= 0). Cette situation est le résultat de la présence d’un mode de fonctionnement introversif chez Angèle. Dans ce sens, peut-il s’agir d’une inhibition, d’une lutte contre l’expression des affects ou d’une pauvreté de la vie fantasmatique et émotionnelle ? Les trois hypothèses semblent possibles. L’allongement des temps de latence pourrait signifier une inhibition, une lutte contre cette expression des affects et une pauvreté de la vie fantasmatique. Seulement, l’allongement observé aux planches I et III et les refus notés aux planches IV, V, VI, VII, IX et X renverraient à une expression de la lutte contre les affects. Ils seraient liés aussi à une pauvreté de la vie émotionnelle et fantasmatique.

On trouve chez Angèle deux principaux contenus : H et A. L’existence de ces contenus expriment la présence d’une volonté porté sur le monde relationnel interne (H%) et de celle à s’adapter au monde social (A%). Même si la volonté au monde relationnel interne du sujet paraît plus élevée (57%), on peut noter chez Angèle un effort d’identification à une image humaine. Toutefois, cette identification est précaire car elle est liée à la difficulté à saisir une identité et une image de soi stables. Cette difficulté est confirmée par l’existence de Hd (14%) qui peut signifier l’existence d’une angoisse de morcellement chez le sujet, comme on peut le constater à la planche I : « …qui n’a pas de tête et les mains sont comme ça… », et à l’enquête : « …la tête est coupée…Ils ont coupé les pieds… ».

D’un point de vue social, Angèle semble plus ou moins insérée dans son monde environnant. Perçues à la planche VIII : «…je vois deux animaux…» et à l’enquête de la planche V : « Je vois comme si c’est l’oiseau qu’on appelle Dupung (Chauve-souris en langue Ipunu ) », l’analyse de ces réponses A montre qu’elles sont des réponses banales. Seulement, quel sens peut prendre la réponse donnée à l’enquête de la planche VIII ? En donnant deux noms animaux : « …C’est le porc-épic ou le hérisson… » qui sont des mauvaises formes (D F- A), Angèle hésite entre un animal qui a des « piquants » et l’autre qui n’en a pas. Autrement dit, il y a une difficulté pour le sujet à choisir entre un contenu à valeur agressive (porc-épic) et un autre qui ne l’est pas ou qui l’est moins.

La réponse d’Angèle montre l’existence des pulsions agressives chez le sujet, leur déplacement et leur projection sur un animal. Ces pulsions agressives destructrices se retrouvent dès l’enquête de la planche II : « …Ils l’ont coupé la tête et l’ont suspendu. Il y a le sang, même jusqu’à la tête » et dans la réponse Sang donnée à la deuxième réponse de la planche III : « ça, c’est le sang. Ça aussi, c’est le sang » qui est isolée de la troisième réponse : « Ça, c’est la tête, le cou, les bras, le corps, les pieds ». Par un raisonnement déductif, elle choisit le nom de l’animal non piquant : « Ça doit être le hérisson parce qu’il n’a pas de piquants ». Le refus de l’animal ayant des piquants peut-il être lié à la volonté de pouvoir maîtriser ses pulsions agressives afin d’éviter des conflits relationnels dans son environnement ?

Au cours des entretiens et de la passation, on peut noter une verbalisation restreinte chez le sujet. Cette inhibition constitue la caractéristique principale de ce protocole. Si le discours est clair à certains moments, on peut noter une difficulté du développement de la pensée. Le pronom « je » est très utilisé dans tout le protocole. Il en va de même du verbe « voir ». Les deux associés montrent une conscience perceptive de la part du sujet : « Je vois ». On peut noter la référence au clinicien qui apparaît sous forme de demande, à la première planche de la première passation : « Je dis ce qui est dessiné là ? ».

L’aspect transférentiel apparaît à l’enquête de la planche V et dans lequel on peut noter un investissement de la relation : « Tu dois m’excuser, je ne sais pas comment on appelle ça en français. Tu comprends Punu , non ? ». Ici, on peut observer un établissement de la relation, notamment par la reconnaissance de la même appartenance linguistique. Ce qui lui permet de demander l’aide du clinicien. En général, les commentaires surviennent après les réponses. Lorsqu’ils sont faits, c’est pour détailler la réponse donnée. Par exemple à la planche VIII : « Ça, je vois deux animaux. Voici les mains, ses bras ». Par contre, l’enquête aux dans lesquelles il y a des non-réponses aboutit souvent au même commentaire : « Je ne vois rien, je ne peux pas mentir ».

Ainsi, à travers ces éléments qualitatifs, on peut noter la volonté du sujet à s’ouvrir vers le monde extérieur. Angèle est confrontée à une difficulté à manier ses pulsions agressives. Pour cela, deux solutions sont possibles, soit ces pulsions agressives se retournent contre elle, ce qui entraîne une inhibition ; soit, elles sont mal contrôlées et elles sont projetées sur un objet perçu comme persécuteur.

D’un point de vue qualitatif, on va analyser les différents facteurs dans le but proposer des interprétations. Dans le protocole d’Angèle, on peut noter principalement trois modes d’appréhension, à savoir les G, D et Dd.

En ce qui concerne les réponses globales, elles n’apparaissent pas systématiquement. Présentes aux planches I, II et III, ces réponses sont simples car elles ne sont pas liées à un grand effort d’élaboration. Ce qui peut être l’expression des conduites sthéniques. Ces réponse ne sont associées à aucune banalité, si ce n’est à la planche III : « ça, je vois deux personnes, ils sont noirs... ». Cette banalité s’inscrit dans le cadre classique de la planche III. Elle est accompagnée d’une tonalité dysphorique : « …ils sont noirs… ». L’absence de banalité aux planches I et II peut exprimer la recherche d’une élaboration qui prend un sens pathologique avec la présence de mauvaises formes (F-). Cette situation est l’expression du retrait du sujet dans le monde imaginaire, à l’origine de la difficulté à appréhender la réalité objectivement. Cette hypothèse est confirmée par un F+% qui est de 60% et se situe en dessous du normal (70 et 80%).

Ainsi, on peut dire que la simplicité des réponses G est l’expression de l’existence des conduites passives du sujet. La qualité des images vues par Angèle pose la question de la difficulté à investir la démarche cognitive, par conséquent la difficulté à s’identifier.

Les réponses D apparaissent aux planches III et VIII. Mais c’est à la planche III qu’apparaît la majorité des réponses D. Chacune des réponses est associée à un déterminant différent, comme s’il existait plusieurs voies de dégagement chez le sujet pour pouvoir lutter contre son trouble induit par le matériel. Le sujet commence par l’expression des pulsions agressives (Sang) qui se traduit par un morcellement du corps : « ça, c’est la tête, le cou, les bras, le corps, les pieds » à la deuxième réponse. Ces deux réponses sont séparées par le mécanisme d’isolement. Cette expression de l’agressivité est évitée à l’enquête de la planche VIII où le sujet finit par choisir le hérisson, au lieu du porc-épic, animal « piquant », après hésitation entre les deux animaux. Ainsi, les réponses D permettent à Angèle de pouvoir exprimer son agressivité et en même temps de la contrôler.

Quant à la réponse Dd vue à la planche III, elle exprime une identification du sujet à l’image féminine. La première réponse de la planche montre une certaine indétermination. Cette réponse petit détail permet à Angèle de s’identifier à un objet féminin comme elle le note à l’enquête de la planche III : « …Ce sont des femmes parce que je vois des chaussures. Elles ne sont pas vieilles ni filles… ». Cette recherche de précision est l’expression d’une défense rigide.

Ainsi, sir les réponses D permettent l’expression d’une agressivité chez le sujet, les réponses peuvent montrer sur qui portent cette agressivité. Par les réponses G, on peut noter une stratégie d’évitement de cette agressivité.

D’un point de vue formel, même si le contrôle formel paraît satisfaisant, on peut noter deux mauvaises réponses aux planches I et II, c’est-à-dire au niveau des relations prégénitales et du maniement de l’agressivité. La rareté des kinesthésies ne permet pas une dynamique du fonctionnement intellectuel, et par conséquent, une élaboration des conflits. La difficulté de socialisation entraîne le sujet à se centrer sur soi afin de se protéger contre les sollicitations venant du dehors.

Sur le plan de la dynamique conflictuelle, Angèle présente un TRI introversif, c’est-à-dire que le sujet a une vie intérieure intense ; elle s’exprime peu et s’adapte peut facilement à la réalité. Le long délai entre l’excitation émotionnelle et la réponse constitue une des caractéristiques qu’on a pu rencontrer le long du protocole.

L’analyse des réponses kinesthésiques permet de noter qu’elles apparaissent aux planches I et III. A la planche I, on a : « Comme si c’est une personne debout et qui n’a pas de tête et les mains sont comme ça ». Si la perception ne semble pas être bonne, on peut noter un mouvement partiel (« …les mains comme ça… »). Selon qu’il s’agit de la personne ou des mains, le mouvement peut être fort ou léger. Ce mouvement est aussi relationnel car il s’agit de la relation entre le sujet et Dieu. On peut noter une indétermination en ce qui concerne l’identification.

A la planche III, on a : « ça, je vois deux personnes, ils sont noirs ». La perception est bonne et banale. Le mouvement projectif est léger et n’est pas relationnel. S’il existe une indétermination en ce qui concerne sexe, en revanche, il y a une identification à la couleur de la peau. Cette indétermination sera levée à l’enquête : « Ce sont des femmes parce que je vois des chaussures. Elles ne sont pas vieilles ni filles ». Les réponses qui suivent montrent une relation de type conflictuel se caractérisant par l’expression d’une agressivité : « ça, c’est le sang. Ça aussi, c’est le sang ».

Ainsi, l’identification féminine est difficile à accepter compte tenu du sentiment de culpabilité qu’elle peut entraîner et des mobilisations des pulsions agressives. Ce qui pose la difficulté des choix identificatoires chez Angèle. Ces réponses kinesthésiques permettent au sujet de sortir de la réalité douloureuse à laquelle elle est confrontée. Par la présence des kinesthésies, le sujet manifeste ses conflits psychiques internes et relationnels.

Du point de vue des réactions sensorielles, on peut noter une restriction des réponses sensorielles. Ce constat va dans le sens de ce qu’on a déjà observé, notamment un retrait du monde environnant au profit de son univers imaginaire. La première réponse sensorielle apparaît à la planche II : « Je vois un blanc avec la tête en bas… ». Mais cette réponse possède une tonalité dépressive qui pousse le sujet dans un repli. Cette lutte contre la sensorialité de la planche II va échouer à la planche III, comme le note le long temps de latence (50’’). Si la première réponse va dans le sens d’un état dépressif : « …ils sont noirs » , la seconde réponse fait allusion au rouge : « ça, c’est le sang. Ça aussi, c’est le sang ». L’ensemble des refus observés aux planches IV, V, VI, VII, IX et X, de façon répétitive, les commentaires de la planches IV et à la fin de la passation : « sauf que ce sont des belles couleurs » montrent l’existence d’un malaise, voire d’une perturbation due aux effets des stimulations externes plus intenses.

Ainsi, l’analyse du cas Angèle permet de tirer un certain nombre d’enseignements. D’un point de vue du diagnostic psychopathologique, il s’agit d’une organisation limite, se caractérisant par des variations normales et pathologiques. Le rapport au réel semble de qualité plus ou moins satisfaisante, avec parfois une mauvaise qualité. Ce qui permet de noter par moments un empiétement entre l’imaginaire et le réel. Cette organisation limite se caractérise aussi par la présence de défense appartenant au registre archaïque tels le déni ou encore ceux appartenant au registre rigide comme l’isolation, la formation réactionnelle, la dénégation. A travers ce cas, on a pu noter aussi des représentations conflictuelles, à l’origine des défenses citées ci-dessus. Ces conflits sont liés aux mouvements agressifs et au sentiment de culpabilité qui empêchent Angèle de choisir dans ses identifications sexuelles.