1.2.2. La personnalité de Pierre à travers l’approche projective

Afin de saisir le fonctionnement psychique de Pierre, on va se servir du test de Rorschach qui sera complété par celui du TAT.

1.2.2.1. Approche par le Rorschach

En ce qui concerne le Rorschach, deux niveaux d’analyse semblent essentiels : quantitatif et qualitatif. D’un point de vue quantitatif, il convient d’analyser la productivité, le temps, les modes d’appréhension, les déterminants et les contenus des réponses données par Pierre. On peut noter un nombre restreint de réponses (6) fournies en un temps très court (8’15). Si le temps de réactivité est petit, il faut noter qu’il se situe presque tous autour du temps de latence moyen (13’’66). Pour cela, on peut noter deux groupes : d’une part, les planches I, II, III et V qui ont un temps de réaction se situant entre 9’’ et 12’’, inférieur au temps de latence moyen ; de l’autre, les planches IV et VII qui ont un temps de réaction aggravé qui est de 20’’, supérieur au temps de latence moyen. Dans ce sens, que peut signifier l’allongement du temps aux planches IV et VII pour Pierre ? Si la planche IV renvoie à l’image phallique, en revanche, la planche VII s’inscrit dans le cadre des relations à l’image maternelle. En ce sens, quels liens peut-on faire entre ces différents aspects ?

A partir du nombre restreint de réponses observées chez Thomas et la lenteur liée à sa réactivité, on peut se demander si ces comportements sont le résultat d’une élaboration du matériel ? S’agit-il d’une passivité liée à l’importance des stimulus ?

Dans le protocole de Thomas, on peut noter deux modes d’appréhension : le G et le Dbl. Si les réponses G sont supérieures avec 86%, les réponses Dbl représentent près de 13%. Les réponses G peuvent témoigner de l’adaptation du sujet à la réalité objective. Dans le cas de Thomas, leur augmentation peut renvoyer à des mécanismes de défense de type rigide permettant de lutter contre les émergences internes, en recourrant à la réalité objective. Cette hypothèse est confirmée par des formes de bonne qualité et de celle des banalités (G F+ A Ban ou G K H Ban). La rareté des réponses K (1) permet de confirmer l’hypothèse de la lutte contre les émergences internes.

En ce qui concerne les déterminants, le F% et le F+% ne sont pas dans les normes avec 83% (60 et 65%) et 50% (70 et 80%). Ce qui montre une difficulté à recourir aux éléments de la réalité objective. En ce qui concerne le F%, son exclusivité est le signe d’un étouffement de la vie affective et personnelle de Pierre. Cela se manifeste par des tendances dépressives. La bonne qualité des formes perçues montre le poids de la réalité sur le sujet. Quant au F+%, sa baisse constitue pour le sujet une difficulté. Pour cela, on peut noter trois points de vue : soit il y a la difficulté à s’adapter dans l’environnement, et par conséquent de socialisation de Pierre ; soit il y a la mise en place des conduites de contrôle de la réalité externe et interne en réduisant leurs manifestations ; soit il y a la difficulté à établir des frontières stables entre le dedans et le dehors.

La réponse donnée à la planche I est de bonne qualité (G F+ Radio). L’analyse du contenu « …une radiographie » montre que cette dernière est faite pour voir ce qu’il y a au-delà. Or, Pierre ajoute l’adjectif « brouillée » pour montrer le flou qui existe dans la vision. De ce fait, il peut s’agir du flou de sa propre image, de son identité, de sa socialisation ou de la difficulté à établir les frontières entre le dedans et le dehors.

Cette attitude de contrôle se vérifie la rareté des réponses K qui ne lui permet pas d’exprimer ses fantasmes. Et lorsque cette kinesthésie apparaît à la planche III, il y a une indétermination du verbe : « … qui sont en train de faire des choses dans les calebasses…. ». A ce niveau, on peut se dire que Pierre évite de préciser l’action pour ne pas laisser exprimer ses pulsions. A l’enquête, apparaît la problématique de l’oralité (« préparation »). Chaque fois, Pierre est toujours resté dans l’imprécision comme à la planche II : «…ça ressemble un peu à ça. Mais ça, c’est la suite… ». Quand il s’aventure à donner des réponses précises, aux planches qui posent problème, on peut noter soit des formes de mauvaise qualité comme à la planche VII : « On dirait que ça c’est la radiographie des reins » ; soit il y a une angoisse qui apparaît comme à la planche IV : « ça peut avoir la forme d’un insecte nocturne qui est fait en noir ».

En ce qui concerne le pôle sensoriel, il n’est pas représenté (ΣC= 0 ; ΣE= 0). Ce qui permet de noter un fonctionnement de type introversif. Dans cette perspective, s’agit-il d’une inhibition ou d’une pauvreté des affects chez Pierre ? On peut dire qu’il y a inhibition chez Pierre. Car au-delà de la lenteur, on peut dire que les sollicitations des planches pastel troublent et perturbent le sujet. Ces sollicitations sont tellement fortes qu’elles se manifestent par des refus aux planches pastel.

Deux formes de contenu sont utilisées par Pierre : A et H. Ces contenus expriment la forme d’orientation des investissements de Pierre qui se situe d’une part dans le sens de l’adaptation au monde social (A%= 40). Cette socialisation se caractérise par la qualité de la réponse qui est bonne et banale de la planche V : « ça ressemble à une chauve-souris, un animal ». Cependant, s’il existe une bonne adaptation par rapport à l’environnement, on peut noter l’expression d’une angoisse par rapport à l’image phallique comme on peut le voir à la planche IV : « ça peut avoir la forme d’un insecte nocturne qui est fait en noir ». D’autre part, on peut voir chez Pierre la capacité à s’identifier à une image humaine entière que montre la réponse banale et de bonne qualité donnée à la planche III : « On dirait deux personnes qui sont en train de faire des choses… ». Cependant, il n’y a pas d’identification sexuelle. Ce qui s’inscrit dans la volonté à contrôler mis en place par le sujet.

D’un point de vue qualitatif, lors de la passation, on peut noter que Pierre verbalise peu. Cette restriction verbale va dans le sens de la restriction observée dans le protocole. Si le discours de Pierre est clair, il est concis. Le pronom « Je » apparaît seulement quand il fait commentaire ou ne donne pas de réponse ou ne sait pas comme c’est le cas par exemple à la planche III : « On dirait deux personnes…. Je ne sais pas ce qu’il y a autour» ou à la planche VIII : « Je ne sais pas de quoi il s’agit. C’est une image reproduite comme une symétrie ». Le « Je ne sais pas » montre la conscience de l’interprétation de Pierre. Toutes les réponses sont accompagnées d’une précaution verbale : « On dirait », « ça peut avoir la forme », « ça ressemble », « comme si », « c’est un peu comme », etc. L’incapacité à donner une réponse entraîne parfois le sujet à se situer dans une position d’infériorité. Ce qui le conduit de temps en temps à faire des remarques Symétrie et de regarder derrière la planche. Pour cela, on peut noter des tentatives de réponse basées sur des persévérations. On ne note aucune référence au psychologue clinicien. Ce qui pose la question du transfert avec le sujet.

Ainsi, à partir de ces éléments qualitatifs, on peut voir que Pierre essaie de contrôler ses pulsions agressives. Ce contrôle a pour conséquences soit le retournement contre soi se caractérisant par une incapacité à donner des réponses, soit en projetant sur l’objet persécuteur toute l’agressivité.

D’un point de vue qualitatif, on va analyser les différents facteurs dans le but proposer des interprétations. Dans le protocole de Pierre, seules les réponses globales existent. Elles apparaissent aux planches I, III, IV, V et VII. Ces réponses G sont simples. Associées la plupart du temps à des formes de bonne qualité et à des banalités, les réponses G témoignent de l’existence d’un bon ancrage de Pierre à la réalité. En ce qui concerne l’activité cognitive, elles sont le résultat de l’existence d’une approche globale et synthétique des objets. Mais l’exclusivité de ces réponses montre l’existence chez le sujet des mécanismes de type rigide permettant de lutter contre les émergences internes.

Si la tentative d’organisation de la réponse G à la planche III témoigne d’une opération perceptive et dynamique, elle s’inscrit aussi dans le sens du contrôle des affects, notamment par l’intellectualisation (« …faire de la préparation… »). L’apparition des réponses G aux planches I et V témoigne de l’existence d’une représentation de soi, d’une identité construite chez Pierre, malgré quelques difficultés qui rendent floue son identité. Que peut signifier l’apparition des G aux planches III et VII (non compactes) ? Peut-il s’agir d’un refus de représentation de relations afin de ne pas exprimer des mouvements libidinaux ?

Ainsi, l’utilisation des réponses G par Pierre s’inscrit dans une perspective défensive. Ce qui lui permet de ne pas s’inscrire dans des représentations de relations, et par conséquent d’éviter toute identification et tout conflit relationnel.

En ce qui concerne les déterminants, la rigidité des mécanismes utilisés par Pierre rend un contrôle formel satisfaisant. Cependant, on peut noter deux réponses qui ne sont pas de bonne qualité, à la planche IV : « ça peut avoir la forme d’un insecte nocturne qui est fait en noir » et VII : « On dirait que ça c’est la radiographie des reins ». Si la planche IV fait référence à des représentations de la puissance phallique, la planche VII fait allusion aux relations à l’image maternelle. Que peuvent signifier ces deux planches pour le sujet ? En ce sens, la mère, objet phallique, peut être considérée comme source d’angoisse et d’agressivité chez Pierre. Agressivité qu’il essaie de contrôler et de manier.

La réponse kinesthésique qui apparaît à la planche III essaie de dynamiser la démarche intellectuelle chez Pierre. Cette démarche ne va pas à son terme car Pierre contrôle la situation ; il reste dans l’indétermination : « … sont en train de faire des choses dans les calebasses… » qui va se terminer à l’enquête : « C’est comme s’ils font de la préparation dans les calebasses ». Ainsi, il y a chez le sujet un effort d’élaboration du conflit en luttant contre les pulsions par les mécanismes de formation réactionnelle et d’intellectualisation.

Au niveau de la dynamique conflictuelle, l’analyse du Type de Résonance Intime et de ses composantes permet de noter que Pierre a un fonctionnement de type introversif (1K/0C). Même s’il y a introversion, il ne s’agit pas d’un fonctionnement interne très intense, dynamique et créateur.

Les réponses kinesthésiques sont limitées chez Pierre. La seule réponse K apparaît à la planche III et c’est une réponse humaine : « On dirait deux personnes qui sont en train de faire des choses dans les calebasses. Je ne sais pas ce qu’il y a autour ». D’un point de vue formel, on peut dire qu’il s’agit d’une perception correcte et banale. Le mouvement projectif est fort et relationnel. L’identification sexuelle des deux personnes est indéterminée. Cette indétermination existe aussi dans le mouvement projectif par le verbe utilisé : « …sont en train de faire des choses dans les calebasses… ». C’est à l’enquête que le sujet essaie de donner plus de précision : « C’est comme s’ils font de la préparation ». Devant une situation gênante, la référence à la préparation peut signifier une défense, une formation réactionnelle, pour contrôler les pulsions agressives existant chez Pierre. La préparation renvoie à la cuisine, donc à l’existence des pulsions orales chez le sujet.

La suite de la passation du test donne aux planches IV et V des réponses faisant allusion à des animaux que le sujet considère comme menaçants. Ce que Pierre arrive à dire en ce qui concerne l’enquête des choix négatifs, à la planche IV : « C’est un insecte nocturne et la plupart des insectes nocturnes sont nuisibles » et à la planche V : « C’est une chauve-souris, animal nocturne. Ça symbolise le vampire, animal nuisible ».

Ainsi, la réponse K traduit la capacité de Pierre à élaborer les conflits, à l’origine d’un trouble ou d’une gêne. D’où l’utilisation des défenses citées précédemment. L’indétermination des choix identificatoires peut-elle être liée aux identifications sexuelles conflictuelles ? Dans ce sens, l’angoisse, les refus observés à certaines planches, la rigidité des mécanismes utilisés permettent-ils d’exprimer cette difficulté identificatoire ?

Dans le cas des réponses sensorielles, ce qui frappe d’emblée dans le protocole de Pierre, c’est l’absence pratiquement des réponses faisant référence à la sensorialité. De ce fait, peut-on dire que Pierre est une personnalité peu sensible ou repliée dans son monde imaginaire ?

A la planche II, première planche chromatique, on note l’existence d’un choc certainement lié à la couleur. Cette situation entraîne d’abord un regard derrière la planche, montrant la présence d’une gêne ; ensuite, l’absence de réponse exprime le degré de trouble du sujet. Même l’enquête n’a pas pu lever ce trouble car la réponse donnée repose sur un doute et une mauvaise forme. Ainsi, à cette planche, ni la couleur rouge, ni la noire n’est recherchée. Il en va de même pour la planche III.

Aux planches pastel, ce choc se poursuit et on peut observer une absence de réponse, même si on peut noter un commentaire à la planche IX : « C’est en couleur… ». A la place des réponses, on peut noter soit des commentaires, soit des dénégations (« Je ne sais pas »). Ainsi, Pierre se caractérise par une inhibition ou un contrôle des mouvements agressifs et libidinaux liés aux stimulations externes intenses. Dans ce sens, le renforcement défensif, en particulier l’enquête de la planche II, privilégiant la lacune intermaculaire, s’inscrit bien dans cette dynamique de défense.

En résumé, l’analyse du cas Pierre fait ressortir plusieurs enseignements. Sur le plan diagnostique, il s’agit d’une organisation névrotique. Si le rapport au réel est de bonne qualité, il s’agit plus d’un rapport formel. On peut noter l’absence d’un investissement psychique, de scénarios fantasmatiques. Les activités imaginaires sont bloquées.

D’un point de vue défensif, on note des mécanismes appartenant au registre rigide comme le refoulement, la formation réactionnelle, les dénégations. Ces mécanismes de défense sont tellement forts qu’ils empêchent le sujet d’avoir recours à ses potentialités intellectuelles. Ce qui est à l’origine d’un verrouillage fantasmatique. D’un point de vue dynamique, les représentations conflictuelles sont réduites au minimum, montrant l’importance des défenses mises en place, et par conséquent, l’intensité des conflits. Le conflit porte sur le contrôle de l’agressivité et l’angoisse de castration. Celles-ci sont à l’origine des difficultés que rencontre Pierre dans le choix d’identifications sexuelles.

La lutte perpétuelle contre l’expression des affects et la rigidification des mécanismes en place peut conduire à une aggravation de la situation. La porte de sortie pour Pierre pour le moment est l’utilisation de la religion et celle des produits toxiques.

Comment ce conflit et l’angoisse de castration peuvent-il s’exprimer à travers le TAT ?