1.3. Cas de François

1.3.1. De la dépersonnalisation à l’installation des mécanismes psychotiques

Quelques éléments semblent importants pour essayer de comprendre les mécanismes en cause dans le déclenchement de la maladie de François. Pour cela, l’anamnèse, la relation individu-groupe (famille) et les représentations culturelles vont permettre cette compréhension.

L’anamnèse du sujet montre parfois un discours incohérent, confus et imprécis. Mais à partir de certains éléments comme le divorce, les déceptions et les conflits conjugaux liés au décès du fils aîné, la déstabilisation liée au divorce des parents, François fait allusion à ce qui constitue la trame de sa problématique. Ce sont toutes ces difficultés personnelles et familiales qui vont être à l’origine de l’état dépressif que vit le sujet. On peut alors parler de dépression psychogène. Le déclenchement de la maladie de François a pu être facilité par la période de l’adolescence qui est une période très particulière de la vie du sujet. Car elle permet non seulement l’entrée dans la vie adulte mais elle peut aussi déterminer le passage dans le pathologique ou dans le normal. L’ensemble de remaniements liés à cette période de la vie, il y a la naissance des sentiments de perte. A tel point que pour E. Kestemberg (1962) 173 , il ne peut y avoir d’adolescence sans dépression. Ces deux événements vécus par le sujet ont-ils pu être à l’origine de l’expression de l’état pathologique de François ?

A partir de la déception sentimentale, François commence à vivre une dislocation continuelle de son être au monde. Au départ, cette dislocation est vécue de façon intense et spectaculaire, avec toutes les pulsions qui assaillent, contre lesquelles François est obligé de se battre. Le tableau clinique qui nécessite son hospitalisation est très éclairant : présence d’un syndrome de dépersonnalisation accompagnée des idées d’envoûtement diabolique et magique, de délire de persécution, etc. Cet ensemble de symptômes appelle à un diagnostic d’ « épisode psychotique aigu ». Ce tableau clinique va persister avec le temps renvoyant ainsi à une chronicisation avec une perturbation permanente et plus ou moins évolutive de la personnalité.

On peut noter, à travers le délire de François, la thématique de l’envoûtement en rapport avec les notions de « diable  », de « magie  » : « mon beau-frère est franc-maçon, il fait de la magie…j’avais retrouvé une dame-jeanne pleine de sang. En cassant la dame-jeanne, j’avais fini par perdre la tête… » ; de délire de persécution et mystique : « …je me disais que c’était le sang de Jésus et il fallait que je casse…j’ai trouvé des fétiches, des amulettes. C’est ça qui m’a fait pété les plombs. J’étais devenu agressif… ». Ce sang servi pour faire de la magie est confondu par celui du personnage biblique (Jésus-Christ).

La persécution repose sur les idées de franc-maçonnerie, des fétiches, amulettes. Ces thématiques sont liées aux idées superstitieuses vécues par le milieu familial et social. La maladie de François a conduit la mère à aller prier à l’église ou consulter le nganga. Au cours des entretiens, il convient de noter ce que M. Wawrzyniak (2000) 174 appelle les « effets actifs d’un ludisme sous télescopage ». A travers ce mécanisme, le sujet fait se télescoper les noms de « franc-maçonnerie », « pharmacie » et « médicament » pour donner : « pharmamédication » ou « pharmaconnerie médicamentale », c’est-à-dire qu’à « travers un médicament, elle peut te guérir comme te faire du mal ». François attribue cette capacité à sa mère.

Ce ludisme peut avoir pour fonction qui est celle de mieux maîtriser ou éloigner l’angoisse qui l’envahit, et particulièrement dans sa relation avec la mère. Celle-ci est perçue avec une certaine ambivalence : une mère vécue à la fois comme bonne et mauvaise ; comme protectrice et persécutrice ; celle qui guérit et qui détruit. Le ludisme avec les mots révèle aussi sa capacité d’abstraction liée à son niveau d’étude et une culture générale assez élevés. Sa grande mémoire le conduit à faire allusion à une partie de son séjour en France durant son enfance. Cette capacité d’abstraction ou intellectualisme essaie de se révéler au cours de nos entretiens.

François exprime à certains moments des sentiments de culpabilité qui peuvent être liés au fait d’avoir commis une faute. Ce qui montre par conséquent l’existence d’une instance surmoïque, des représentations familiales ou sociales. En tant que chrétien, de surcroît protestant, François a dû se rendre compte que certains de ses actes étaient immoraux, d’où le sentiment de culpabilité existant. Il y a la culpabilité d’être allé dans le bureau de son beau-frère et d’avoir cassé la dame-jeanne de sang et le non-respect des règles est source d’angoisse, des troubles.

Notes
173.

Evelyne Kestemberg, L’identité et l’identification chez l’adolescent. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 1962, pp. 441-522.

174.

Michel Wawrzyniak. Dissociation et temps vécu dans les psychoses débutant à l’adolescence. Approche phénoméno-structurale. Evolution psychiatrique, 2000, 65, pp. 37-54.