1.3.2. François vu à travers le Rorschach et le TAT

Deux tests vont me permettre de comprendre la personnalité de François. Si le Rorschach va être utilisé pour une analyse approfondie, le TAT le sera pour un contrepoint.

1.3.2.1. Approche par le Rorschach

En ce qui concerne le Rorschach, on peut repérer deux niveaux d’analyse : quantitatif et qualitatif. Sur le plan quantitatif, l’analyse du psychogramme de François montre une production normale avec 27 réponses fournies en un temps très court (8’06). L’analyse des temps de réaction montre une rapidité dans l’expression. Cela s’explique par le temps de latence moyen très court qui est de 6 secondes entre la présentation de la planche et l’apparition de la réponse. En ce sens, on peut noter deux groupes en ce qui concerne le temps de réactivité : celles qui ont un temps de latence plus court, inférieur à 6 secondes, se situant entre 2’’ et 4’’ (I, II, III, V, VI, VII et VIII) et celles dont le temps de réaction est plus long, c’est-à-dire supérieur à 6 secondes, se situant entre 9’’ et 20’’ (IV, IX et X). De ce fait, l’allongement du temps de réaction aux planches IV, IX et X possède quel sens?

La planche IV renvoie à l’image phallique, c’est-à-dire à l’ensemble de représentations associées à la puissance phallique. Quant à la planche IX, archaïque, fait référence aux relations maternelles précoces. La planche X est celle de l’individuation et de la séparation. Quels liens ces planches peuvent-elles avoir avec la problématique du sujet ? A quoi peut renvoyer la rapidité de la réaction qui caractérise le comportement de François ? S’agit-il pour le sujet le résultat d’un désir de se faire passer pour intelligent ou d’une attitude hypomaniaque ? Cette rapidité relève-t-elle d’une activité qui éviterait au sujet de se laisser submerger par la planche ?

Ainsi, l’analyse des données quantitatives temporelles et de la productivité soulève la question des conduites actives de François face à un stimulus. C’est ce qu’on va tenter de confirmer au cours de la suite de l’analyse et les facteurs responsables de cette rapidité.

L’analyse des modes d’appréhension permet de noter l’existence de tous les modes : G, D, Dd, Dbl. Seulement, il convient d’observer que le pourcentage des réponses D (44%) est inférieur aux normes (60%). Ce qui pourrait signifier un moindre ancrage dans la réalité concrète. Cela se justifie par le fait que ces réponses D sont associées à des formes de mauvaise qualité (8/12 F-). Cette hypothèse peut se justifier par la présence des contenus en référence avec le monde irréel (4 réponses (H)) et un nombre banalités bas (15%).

L’importance des réponses G associées à certaines représentations irréelles, à certains contenus symboliques, d’abstraction et des références personnelles permet de faire l’hypothèse d’une vie intérieure fantasmatique active chez François.

Les déterminants F% et F+% ne se situent pas dans les normes avec 70% et 47. Ce qui pourrait signifier que François n’a pas suffisamment recours aux éléments de la réalité objective. Autrement dit, il n’est pas ancré dans la réalité. L’utilisation des représentations irréelles (4 réponses (H)), des kinesthésies (une majeure et deux mineures) peut laisser supposer l’hypothèse de kinesthésies à valeur délirante, montrant une perte de contact avec le réel.

La représentativité du pôle sensoriel (ΣC= 1,5 et ΣE= 0,5) par rapport au pôle kinesthésique (ΣK= 1 et Σk= 2) exprime le fonctionnement psychique de type extratensif de François. Cette recherche de contact et de réactivité aux stimulations émotionnelles est ce qui caractérise François dans sa vie. De ce fait, quel sens donner à cette réactivité ?

A partir de l’analyse des planches pastel, on note un long temps de réactivité aux planches IX et X. Le temps de latence moyen est d’environ 10 secondes. Alors qu’il est de seulement 4 secondes pour les autres planches. Malgré l’existence de cette légère lenteur, on peut dire que la réactivité soulève la question de la fragilité des barrières entre le dedans et le dehors. De même, la réactivité montre l’influence due aux stimulations externes et aux échos internes occasionnés par ces stimulations.

En ce qui concerne les contenus, deux grandes rubriques de contenu sont utilisées par François. Il s’agit des réponses A et des réponses (H). Ces contenus témoignent d’une double orientation des investissements du sujet : dans le sens de l’adaptation au monde social et dans celui d’une vie imaginaire coupée de la réalité. Le pourcentage des réponses A se situe dans la norme (47%). L’analyse de ces réponses permet de comprendre que le sujet est soit dans l’adaptation avec des formes de bonne qualité, soit dans le conformisme avec des formes de mauvaise qualité. A ce caractère socialisant, s’ajoute l’appartenance du sujet au monde mythique et symbolique.

Les réponses (H) constituent la majorité des réponses H (4 réponses sur 5). L’analyse de ces réponses (H) montre que le sujet fait référence aux entités religieuse (« ange  », « démon  ») et imaginaire (« spectre »). A la planche IV, on peut même noter que la réponse (H) est associée à une fantasmatique morbide : « Ça, ça, ça fait penser à quelque chose de démoniaque ». Cette fantasmatique sert de support à la projection d’un vécu persécutif. Ainsi, la présence des réponses (H) vient signifier la référence à un monde imaginaire. Ce qui permet de mettre l’accent sur l’intériorité du sujet.

L’ensemble des éléments qualitatifs permet de noter chez François une verbalisation par excès. Son discours est clair. Le sujet parle à la première personne dès la planche I. Les formulations suivantes montrent sa conscience d’interprétation : «…ça me fait penser… », « je vois ». Cette utilisation de la première personne aboutit aux références personnelles dans lesquelles François raconte les difficultés de sa vie sexuelle avec son épouse à la planche III. Ce qui aboutit à une culpabilité par rapport à l’acte commis qui continue à le travailler. A ce niveau, on peut noter l’importance du transfert dans la relation et qui a pu permettre à François de raconter son histoire.

On peut noter la référence au clinicien à la planche I : « Je continue toujours ? » et une référence indirecte à la planche VIII : «…comment ça s’appelle ? ». Il me semble que la première demande s’inscrit dans la recherche de l’arrêt des réponses. Car à la première planche, on a l’impression que François ne peut pas s’arrêter de donner des réponses. Et la demande faite au clinicien lui permet d’arrêter après. Alors que la deuxième sollicitation peut s’inscrire dans une recherche de contact relationnel. A travers cette relation transférentielle, il y a un retournement de l’agressivité contre soi, dans un mouvement de culpabilité.

Le sujet se reproche avoir commis des actes répréhensibles à l’égard de son épouse. C’est à la planche III que se manifeste cette culpabilité, notamment à l’enquête. Dans un mouvement projectif, cette agressivité est attribuée à « quelque chose de démoniaque » à la planche IV. A travers la verbalisation, on a aussi de nombreuses précautions verbales : « …ça fait penser à… », « …on aurait dit… », « …on peut voir comme… » ; des interjections : « ça ! », «Alors là !… », « Beh, ça !... » qui marquent l’étonnement ou la gêne ; des oppositions : « Là, par contre… » ; des alternatives : « …ou bien… ».

Ainsi, à travers ces éléments qualitatifs, on peut noter l’intérêt du sujet pour à se mettre en relation avec l’environnement. En même temps, on peut noter certaines difficultés chez François liées au maniement de l’agressivité. Soit celle-ci se retourne contre lui et se manifeste par la culpabilité, soit cette agressivité est projetée, par défaut de contrôle, sur l’objet qui est perçu comme un persécuteur.

D’un point de vue qualitatif, on va analyser les différents facteurs dans le but proposer des interprétations. Dans le protocole, on peut noter principalement deux modes d’appréhension, à savoir les G, D.

En ce qui concerne les réponses G, elles sont les plus nombreuses et apparaissent aux planches I, III, IV, V, VII et VIII. En revanche, elles sont absentes aux planches, elles sont absentes aux planches II, VI, IX et X. Toutes ces réponses G sont des représentations simples qui ne témoignent pas d’un grand effort d’élaboration. De ce fait, on peut dire qu’il y a une prise de connaissance globale et synthétique qui montre un fonctionnement de type passif. La présence des banalités aux planches I et V montre un certain conformisme ou une adaptation à la réalité objective afin de lutter contre les émergences de la réalité interne.

A l’inverse, la réponse de la planche III : « Ça fait penser à deux êtres qui s’aiment d’un amour uni pour le meilleur et pour le pire et deux êtres qui ont la même souffrance, leur souffrance est partagée quoi », repose sur une projection liée à des références personnelles du sujet. Il s’agit d’une organisation de la réponse par le sujet. Par le recours de l’abstraction, cette organisation de la représentation met en évidence la fuite du réel. La mauvaise qualité formelle montre bien l’importance des fantasmes accordée par le sujet. Ce qui traduit un désinvestissement objectal et un repli narcissique.

Sur le plan conflictuel et de la problématique, il y a chez le sujet la reconnaissance d’un objet total différencié. Même si on peut parfois noter un empiétement du monde interne sur la réalité externe.

Les réponses en D sont aussi nombreuses. Elles apparaissent principalement aux planches II, IV, VI et IX, malgré le fait qu’elles soient des planches compactes favorisant une approche globale et unitaire. Ce qui peut traduire une certaine perturbation liée à l’impact du contenu latent des planches.

A la planche II, l’influence de la couleur conduit à plusieurs contenus : sexe, anatomie et symbole. Ce qui peut s’expliquer par la capacité pour le sujet à lutter contre le trouble dû au matériel. En effet, à partir de ces réponses, on peut noter un rapproché libidinal cru se basant sur l’association entre le « sexe de la femme » et l’image phallique représentée par la « croix ». Et cela, malgré l’existence d’une tentative de contrôle chez le sujet (FC). A la planche VI, planche de symbolisme sexuel, on note aussi la persistance de la même problématique qu’à la planche II. Le « totem indien », dans la partie supérieure, représente l’image phallique. Celle-ci est associée à la « peau de bête », représentation sexuelle féminine. C’est à la planche IX, notamment à la deuxième réponse, que le mouvement pulsionnel est plus intense : « …A la guerre d’Hiroshima, à la bombe atomique… ». La projection sur l’objet du mouvement montre l’existence chez le sujet d’une excitation corporelle, source d’une tension et de sa décharge.

Ainsi, la présence des réponses D soulève la question du morcellement de l’image du corps du sujet. Elle montre aussi l’importance de la problématique sexuelle présente ravivée la signification des planches. En ce sens, les réponses G constituent un moyen pour le sujet de lutter contre l’émergence de ces pulsions.

Du point de vue des déterminants, le contrôle formel n’est pas satisfaisant. Plus de la moitié des réponses données sont de mauvaise qualité. Ces réponses se retrouvent à travers toutes les planches, sauf aux planches VI et VIII. Parmi ces réponses de mauvaise qualité, on a celles en rapport avec les planches II : «…Et là dessus, une croix… », VI : «…Alors là !, ça fait penser à un totem indien, à un masque », et IX : « … Ici, ça me fait penser au ciel », déjà évoquées ci-dessus. Ces planches mettent en avant une problématique en rapport avec l’angoisse de castration où c’est la pointe médiane (« croix », « totem ») qui est investie comme symbole phallique.

La rareté des K peut poser la question du dynamisme de la démarche intellectuelle. En effet, on peut noter qu’il n’y a pas de recours à l’imaginaire mais plutôt à des symboles collectifs (« croix », « films », « dessins animés »). Ces symboles sont collectifs ou figés. Ce qui permet au sujet une élaboration des conflits. Cette élaboration passe par un ensemble de moyens, notamment l’abstraction, le symbolisme. Ainsi, ce sont ces mécanismes de type rigide qui permettent d’aménager les conflits auxquels est confronté François.

En ce qui concerne les facteurs de socialisation, ils sont peu présents, avec un D% peu élevé (44%), la rareté des banalités (4). Si le F+% (47%) ne s’inscrit pas dans les normes, il en va autrement du A% qui paraît normal (37%). Ce qui voudrait dire que même si François a du mal à diriger sa pensée, avec une attention claire et un jugement correct, néanmoins, il reste socialisé. Cette socialisation porte plus sur une acceptation des contraintes que lui impose le milieu. C’est ce dernier qui génère la souffrance, à l’origine d’un repli dans un monde parfois irréel.

En ce qui concerne la dynamique conflictuelle, l’analyse du Type de Résonance Intime et de ses composantes permet de noter que François a un caractère extraversif. C’est l’importance de la sensorialité et des réponses couleur qui participent au fonctionnement mental, non seulement dans ses rapports avec lui-même mais aussi dans ses relations avec le monde extérieur.

Les réponses kinesthésiques sont essentiellement composées de deux petites kinesthésiques, parmi lesquelles on a : une kinesthésie animale et une d’objet.

En ce qui concerne la kinesthésie animale, elle apparaît à la deuxième réponse de la planche VII : « On aurait dit un papillon qui vole dans le ciel ». D’un point de vue formel, la perception est correcte. Sur le plan projectif, il y a un mouvement pulsionnel qui est en rapport avec la réalisation magique d’un désir (« qui vole dans le ciel »). Ici, est prise en compte la dimension narcissique du sujet. Ainsi, par le biais du mécanisme de déplacement, peut-on parler d’une recherche de liberté chez François qui se situerait dans une relation symbiotique ou fusionnelle ? Ou s’agit-il d’un sentiment lié à la perte suite au vol ? Dans ce cas, on peut parler aussi de formation réactionnelle, vu la signification symbolique de la planche (relations à l’image maternelle).

Pour la kinesthésie d’objet, on la retrouve à la planche IX : « …A la guerre d’Hiroshima, à la bombe atomique… ». D’un point de vue projectif, le mouvement est fort et violent. Pour certains, cette réponse est le signe de recherche d’une libération sexuelle. Alors que pour d’autres, il est le résultat d’une inhibition de la femme chez l’homme ou encore renvoie à une excitation corporelle. Dans tous les cas, cette réponse kob renvoie à un mouvement pulsionnel violent.

Ainsi, on peut noter une référence narcissique du sujet que manifeste l’absence de choix identificatoire. Cette référence narcissique exprime le désir de liberté par rapport à l’image féminine, comme on a pu le voir aux planches sexuelles. A la planche VI, les deux réponses sont interprétées chacune en tenant compte des représentations sexuelles. L’expression pulsionnelle renforce la culpabilité liée à l’angoisse de castration. Dans cette perspective, les réponses kinesthésiques sont des voies expressives à valeur libérante pour le sujet. Elles témoignent de l’activité du Moi.

Les réponses sensorielles sont les plus nombreuses par rapport aux réponses kinesthésiques. L’importance des réponses sensorielles chez le sujet justifie l’existence d’une personnalité très sensible, ouverte au monde. Cette hypothèse confirme l’ensemble des éléments rencontrés dans l’analyse des manifestations qualitatives, notamment à travers la première planche chromatique (planche II). Le temps de latence très court, l’interjection émise, les deux réponses sensorielles : « …ça fait penser au sexe de la femme… » et « … aux poumons… » sont dictées par la couleur rouge. Ces réponses montrent un certain impact de l’environnement sur le sujet. Cet impact sera encore plus net aux planches pastel, et en particulier aux planches IX et X où on peut voir une perturbation liée aux échos internes de stimulations externes plus importantes.

L’analyse des réponses fournies aux réponses couleur permet de noter une dimension pulsionnelle libidinale importante. A la planche II, le sujet donne deux réponses dont une possède un contenu à valence sexuelle féminine : « Bein ça !,…ça fait penser au sexe de la femme » et l’autre à valence sexuelle masculine : « Et là dessus, une croix ». Les deux réponses associées peuvent renvoyer à un fantasme de coït. Quant à la planche III, il y a un déni de la représentation agressive. Aucune réponse intégrant le rouge n’est donnée. Le contenu abstrait vient dénier l’existence des pulsions libidinales existant chez le sujet.

Alors que dans les planches pastel, il existe une seule réponse couleur, celle de la planche IX : « Ça me fait penser au cœur, aux poumons » qui est contenue par une forme (FC). Ce sont les réponses formelles qui sont dominantes. A la planche VIII, le contenu de la dernière réponse fait ressortir une pulsion agressive (« …deux animaux qui sont attachés… ») liée certainement au caractère sensible de l’image. A la planche IX, planche de l’imago maternelle, il y a une tentative de maîtrise de l’agressivité à la première réponse. Puis, il s’ensuit une expression de l’agressivité dans la deuxième réponse. Ici, il y a une forte régression du sujet se caractérisant par une agressivité liée aux relations précoces. A la planche X, le contre-investissement de l’agressivité par le contenu « ange  » dont le but est d’« apporter beaucoup de choses pour l’amour des êtres humains » et non la haine ou l’agressivité.

Ainsi, il convient de noter que François est sensible au monde extérieur. Malgré cette sensibilité, on peut noter une restriction des affects suite à l’utilisation d’un monde imaginaire ou irréel. Ce qui permet de contre investir le monde interne, en essayant de maîtriser les affects.

En résumé, on peut retenir quelques points essentiels issus de l’analyse et de l’interprétation de ce cas. Sur le plan psychopathologique, il peut s’agir d’une organisation limite, dans un versant psychotique. Cette organisation se caractérise par une perte de contact avec la réalité. Le monde imaginaire, les fantasmes du sujet prennent le dessus sur la réalité objective. De cette organisation, on peut noter un ensemble de mécanismes de défense tels le déni, l’abstraction, l’isolation, la projection, etc. Au niveau pulsionnel, il y a des mouvements pulsionnels agressifs et libidinaux forts et bouleversants. Ce qui est à l’origine de l’utilisation des défenses afin de combattre leur intensité. Au niveau conflictuel, on note un maniement de l’agressivité due à un malaise. La répétition de la lutte contre l’expression des affects pourrait se durcir et entraîner une rigidification des comportements du sujet. Ce qui pourrait conduire à des conduites plus sensitives.