2.2. Représentations culturelles et interprétation de la maladie

Dans la pensée traditionnelle gabonaise, pour être considérés comme appartenant à une maladie« naturelle », certains symptômes doivent reposer sur des causes objectives. Sinon, ils sont dits naturels. Dans ce sens, une somatisation sans raison objective fait appel à un ensemble de questions. C’est le cas de Martine qui maigrit sans raison objective, sans être malade. Dans cette perspective, il y a un ensemble de croyances qui sont utilisées pour pouvoir représenter la maladie du sujet. Dans ce cas, c’est le sorcier, est à l’origine de cette maladie. Ainsi, on peut voir qu’il existe dans le groupe des croyances qui permettent au sujet de se représenter et de représenter la maladie.

La caractéristique commune des cas utilisés dans cette recherche est de trouver dans les discours des patients l’existence des croyances (religieuse ou sorcellerie). En effet, pour chaque cas rencontré, l’origine de sa maladie est liée à ces croyances comme le montrent les propos suivant :

Sur la base de ces éléments, il convient de noter de nombreux traits qui constituent l’ensemble des représentations culturelles, à savoir les croyances à la sorcellerie, les croyances religieuses (modernes) et les mouvements philosophiques (Franc-maçonnerie, Rose-croix). Si chez tous ces sujets, on peut noter l’existence des croyances à la sorcellerie comme facteurs à l’origine de la maladie, on peut aussi voir chez Pierre que la maladie est le résultat d’un combat entre la sorcellerie et la religion. Pour Angèle et François, ce sont les pratiques franc-maçonnes ou rosicruciennes qui ont déclenché leur maladie. Alors que pour Thomas, il s’agit d’un refus d’adhérer aux croyances traditionnelles.

En ce qui concerne Pierre, en mettant l’accent sur le combat entre la sorcellerie et la religion chrétienne, il soulève la question des conflits des valeurs ou des croyances dans la société. Ce conflit s’exprime par une opposition entre ceux qui croient à la religion chrétienne par exemple et qui se caractérise par le Bien et ceux qui possèdent des croyances traditionnelles, appartenant au monde du mal. Ces deux camps sont tellement opposés qu’il n’y a pas de cohabitation entre eux. De ce fait, tout malheur est vu comme étant lié à la croyance au monde traditionnel. Chez Pierre, on peut se dire l’existence de ces deux formes de croyances dans son milieu entraîne un conflit chez lui, à l’origine d’une certaine angoisse. Ce conflit peut se manifester chez certains par une attitude de rejet des croyances traditionnelles.

En rejetant les croyances traditionnelles, Thomas exprime l’existence d’une situation conflictuelle se manifestant par ce rejet. Celui-ci s’exprime aussi par le refus d’utiliser les thérapies traditionnelles considérées comme diaboliques, au profit de la religion chrétienne. Ce qui a certainement poussé Thomas à ne pas repartir dans son village suivre son traitement, malgré les conseils de son médecin : «…même les médecins m’ont demandé d’aller me soigner au village car la maladie n’est pas naturelle. J’ai refusé… ». A travers ce refus, il peut aussi se poser toute la question de la rupture relationnelle du sujet avec ses ancêtres. Car repartir au village est aussi l’occasion de se réconcilier avec les croyances, et en particulier les ancêtres. Alors que le refus a pu susciter un conflit, et par conséquent, une certaine angoisse à l’origine de sa maladie.

Pour Angèle et François, la présence de la Franc-maçonnerie ou de la Rose-croix dans leur discours, comme étant des facteurs à l’origine de leur maladie. Dans l’imaginaire du Gabonais, appartenir à ces mouvements philosophiques, c’est pratiquer les sacrifices de sang. L’existence de la dame-jeanne de sang que note François est bien l’expression de cet imaginaire. L’objectif de ces sacrifices est la recherche des promotions sociales. Dans ce sens, plus sont les personnes hautement placées dans l’administration ou dans le monde politique qui utilisent ce genre de pratiques pour leur promotion. En prenant l’exemple d’Angèle, on peut dire que pour l’une, l’oncle, en tant que sénateur de la République, a été accusé comme pratiquant la Rose-croix. Pour François, c’est son beau-frère qui fait le sacrifice de sang qu’il a trouvé dans une dame-jeanne, dans sa chambre. Il y a aussi la mère qui a des pratiques « mystiques », lui permettant d’avoir beaucoup d’argent. En contrepartie, elle puise toute l’énergie de son fils pour le rendre malade. Tous ces éléments constituent pour Angèle et François des facteurs à l’origine de leur maladie.

Quant aux croyances à la sorcellerie, elles constituent le facteur le plus utilisé dans l’explication et la compréhension de la maladie mentale en particulier. Angèle, Pierre, François, Thomas et Martine mettent en relation l’origine de leurs conduites pathologiques avec les actions sorcières. Celles-ci émanent d’un des membres de leur famille. On peut alors noter l’influence du groupe sur l’état psychologique du sujet. En ce sens, il y a des représentations surmoïques qui ont une influence sur le sujet, notamment dans la représentation de sa maladie. Dans cette perspective par exemple, Pierre attribue l’origine de sa maladie comme le résultat d’un combat entre l’église et la sorcellerie. En devenant religieux, Pierre essaie de défendre et de protéger la maison, notamment sa chambre contre la sorcellerie incarnée par sa mère. Ainsi, les représentations culturelles (croyances à la sorcellerie et religieuses) existant dans la société sont utilisées et réélaborées par les sujets afin de pouvoir représenter sa maladie.

Chez François par exemple, les représentations de la maladie existent dans la famille. La mère, le père, la femme semblent s’accorder à attribuer aux croyances l’origine directe de la maladie de François. Pour la femme de ce dernier, son mari a été ensorcelé et en tant qu’Africains, elle demande à ses beaux-parents d’aller consulter les nganga. Quant à son oncle paternel, il demande d’aller consulter les tradithérapeutes pour découvrir l’origine de la maladie de l’enfant. La mère demande une simple bénédiction de la part du père et refuse d’aller consulter les nganga car elle est chrétienne. Alors que François lui-même semble se limiter à une origine magique de sa maladie.

Si ces patients représentent leur maladie comme le résultat de la sorcellerie, c’est parce qu’il leur semble déjà avoir entendu que les personnes accusées étaient des sorcières. La responsabilité du phénomène pathologique est attribuée à ces personnes sorcières. Les prises en charge thérapeutique sont entreprises dans ce sens et encouragées par les diagnostics des nganga. Cette situation montre l’articulation de l’individu à son groupe.

Ainsi, à travers ces représentations, on peut différencier les croyances religieuses représentées par le christianisme, l’Islam et les croyances traditionnelles composées des croyances à la sorcellerie, l’envoûtement, la magie, l’empoisonnement. Au-delà de ces croyances traditionnelles, on peut rencontrer aussi des actions maléfiques liées à certains mouvements religieux comme la Franc-maçonnerie, la Rose-Croix. Selon les représentations sociales, on a, d’un côté, le Bien et de l’autre le mal. A travers cette position, il se pose aussi chez le sujet la question de l’ambivalence des sentiments que le sujet peut avoir par rapport à ses parents. Ces sentiments peuvent être à la fois bons et mauvais.

Par rapport aux représentations utilisées par le sujet pour représenter la maladie, il convient de se demander ce qui appartient au sujet ou à la collectivité ?