3.1.1. Les réponses« masque »

Par réponse « masque », j’entends toutes les réponses données par le sujet en rapport avec le mot masque. Les réponses « masque » se retrouvent chez certains patients rencontrés dans le cadre de cette recherche.

Chez Angèle, la planche IV commence par un vague dessin qui se précise à l’enquête par : « … C’est à peu près comme des gens qui dansent le « mukudji  » où on cache le visage pour qu’on ne puisse pas reconnaître la personne ».

Quant à François, les réponses « masque » sont données à la troisième réponse de la planches I : « …un masque » et à la première réponse de la planche VI : « … Alors là !, ça fait penser à un totem indien, à un masque ».

De ce fait, à quoi peut renvoyer l’utilisation de ces représentations « masque » pour le sujet ? En quoi reflètent-elles quelque chose de culturel ?

Dans son ouvrage intitulé Phénoménologie du masque, R. Kuhn (1957) 201 essaie d comprendre comment un sujet veut être autre que ce qu’il est. En effet, pour l’auteur, l’utilisation du masque soulève la question de la dissimulation et de la simulation. Un sujet qui se masque cherche une dissimulation. Il peut s’agir d’une dissimulation derrière le psychologue à qui il s’adresse, tout en étant retranché derrière son masque. En même temps qu’il se masque, le sujet cherche à mystifier ; il fait croire à autrui que son masque est son visage.

Le problème est de savoir quelle relation il existe entre la réponse « masque » du sujet et son état psychologique ?

Selon R. Kuhn (1957, 16), « si un sujet voit un masque dans une tache d’encre, c’est bien l’indice qu’il crée un masque, qu’il veut un masque, qu’il sait le prix d’un masque, bref qu’il obéit à la fonction fondamentale de dissimulation, fonction que les masques réels satisfont immédiatement, à trop bon compte ». A cet effet, convient-il de noter qu’il s’agit d’une dissimulation des expériences ou des souvenirs passés. A travers la réponse masque, il y a substitution d’un souvenir perdu dans le passé. Dans le cas particulier de ces deux patients, il peut s’agir des expériences malheureuses rencontrées par chacun d’eux. Dans ce sens, le « masque » est une réalité psychique.

Cependant, il existe une différence entre une dissimulation sous un masque virtuel tel que vu et perçu dans la tache d’encre du Rorschach et la dissimulation sous le masque réel qui n’est que la pure « négativité » du sujet et de son être.

Mais pourquoi le sujet cherche-t-il à sa cacher derrière le masque ?

Toute dissimulation a pour fonction le déguisement, le travestissement, avec une volonté du sujet à acquérir un nouvel avenir, un nouveau visage, etc. Ainsi, la prière à laquelle fait allusion Angèle à la première planche du Rorschach lui permet d’avoir prise sur son avenir. Selon R. Kuhn (1957, 19), la dissimulation permet au sujet d’avoir une prise sur l’avenir. En même temps, le masque est un outil d’agression. En effet, pour bien agresser, il suffit de sa cacher derrière un masque pour ne pas être vu comme le dit Angèle. C’est le cas du sorcier qui se cache en prenant le visage d’autrui et lancer des sorts afin de pas être reconnu comme responsable.

A travers la représentation « masque », il y a cette idée de persécution liée à une personne qui a une double face ou qui joue un double rôle. Dans ce sens, l’image phallique ou bien la personne qui la représente a-t-elle ce double rôle ? Des entretiens avec le sujet montre que les parents, l’oncle maternel, la tante paternelle ont porté à son tour ce double rôle, ce masque. En effet, chacun a pu être accusé par le sujet par Angèle comme jouant un rôle dans l’existence de ses difficultés. Quand ce n’est pas le père, « en entente avec sa famille » qui était à l’origine des problèmes du sujet, c’est la mère qui, après le décès du père, a porté le chapeau de la sorcière.

De même, la tante paternelle étant jalouse de sa prospérité, de son « étoile » a voulu la lui arracher en la tuant. L’oncle maternel n’est pas en reste car sa réussite sociale repose sur un ensemble de sacrifices dont elle en fait partie. Dans ce sens, il faut noter l’implication de l’oncle qui lui a offert les conditions sociales pour la poursuite de ses études.

Ainsi, pour Angèle, chacun des membres de sa famille a pu jouer ce double jeu dans la vie du sujet. Tantôt un rôle protecteur, tantôt un rôle persécuteur. Mais les plus forts mystiquement se cachaient derrière les innocents en prenant leur visage afin que les devins ne les rendent pas responsables de la maladie du sujet. Dans ce sens, d’autres personnes sont coupables à la place des vrais coupables.

En ce sens, le masque atteste aussi des rapports étroits avec une existence magique et mythique. Ces réponses « masque » rejoignent d’autres interpellations allant dans le sens d’un penchant à la magie et ayant pour origine une image magique du monde : totem indien, figurine (François, planches I, VI), génie (Thomas, planches VII à l’enquête et X). Et que signifierait la référence au masque dans un monde où la magie et le mythe sont très présents ?

Notes
201.

Roland Kuhn (1957), Phénoménologie du masque. A travers le test de Rorschach. Paris, Desclée de Brouwer, 1992, 232 p.