3.1.6. Les réponses« prière  »

J’entends par réponse « prière  » des réponses qui font manifestement référence à l’imaginaire religieux chrétien. A l’intérieur de ces réponses, il existe plusieurs types en référence avec l’au-delà (« ciel »), à une posture religieuse (mains levées vers le haut en guise d’imploration) ou encore à des réponses dont l’élément est un objet religieux (« croix », « bible ») ou appartient à l’imaginaire religieux (« ange  »). Ces réponses se retrouvent notamment chez Angèle, Thomas, François.

Chez Angèle comme chez Thomas ou François, on peut noter qu’elle soulève la question de la spiritualité qui se caractérise par la question de la prière. Dans ce cas, la prière implique la notion de direction dans le temps. Dans un article intitulé L’avenir, E. Minkowski (1933) 205 note que la vie est orientée vers l’avenir. De ce fait, il y a une direction dans le temps. La prière en particulier est un phénomène vital et permet de vivre et de connaître l’avenir. La prière est un phénomène essentiel de la vie ; elle prend son origine dans l’affirmation de la vie. Elle naît des circonstances de la vie où l’espoir est trop faible. Pour cela, la prière est tournée vers l’avenir ; elle est à l’origine d’une attitude optimiste tel que le conçoit la religion.

L’objectif de la prière est de pouvoir exaucer les demandes. Dans la religion, il est demandé à Dieu d’exaucer les demandes. Angèle, Thomas et Pierre, en tant que chrétiens demandent à Dieu de les aider. En effet, par la prière, le sujet demande aux saints d’intervenir en sa faveur auprès de Dieu. Il s’agit d’une demande d’intercession. Celle-ci remonte depuis l’origine de la notion de prière. Mais plus tard, cette dernière va devenir un acte de louange, de remerciement ou d’imploration du pardon par rapport à une faute commise, par rapport à un fait passé.

Angèle en particulier pense avoir commis un péché qui la ronge : avoir des rapports sexuels avec un homme d’église marié. Ces péchés ressortent avec intensité au niveau des prêches. En allant à l’église, Angèle a appris que consulter un nganga par exemple est un péché. Pour cela, je vais émettre l’hypothèse selon laquelle la prière est considérée comme une réaction de défense contre une menace suspendue.

La prière se caractérise par deux faits principaux : l’élévation et le recueillement. D’une part, « …dans la prière nous nous élevons au-dessus de nous-mêmes ainsi que tout ce qui nous entoure et portons nos regards dans le lointain, vers un horizon infini, vers une sphère au-delà du temps et de l’espace, sphère pleine de grandeur et de clarté, mais aussi de mystère. Nous pouvons ensuite remplacer ce mystère par l’idée d’une divinité agissante » 206 . D’autre part, la prière est une « intériorisation totale vécue. Dans la prière, je me détourne du devenir ambiant, je me recueille, je rentre en moi-même. La prière s’élève du plus profond de mon être » 207 . A cet effet, la prière se caractérise-t-elle par le recueillement.

La prière est une « intériorisation vécue » ; elle met aussi le sujet en relation, en communication avec Dieu, la relation entre le sujet et Dieu, dans la communion avec Dieu. Il s’agit de la prière comme une « abstraction vécue » à l’origine de l’élévation du sujet lui-même et de ce qui l’entoure. « La prière constitue l’échelon supérieur de la série constituée par l’espoir et l’attente. En priant, j’espère et j’attends en même temps, et, de même que dans ces phénomènes, je vois l’avenir venir vers moi et vers le présent » 208 . Plus loin, l’auteur ajoute : « la prière naît du besoin d’affirmer l’existence spirituelle de notre être ; ce besoin se manifeste dans la vie courante là avant tout où cette existence semble être menacée. Si des circonstances pareilles ne se produisaient point, nous n’éprouverions peut-être pas le besoin de prier » 209 .

Ainsi, la prière implique la question du « temps vécu » car elle repose sur le désir et l’espoir. Or, cette dernière implique le temps, l’avenir. A travers l’espoir, il y a l’attente de la réalisation de ce que le sujet espère. Dans ce sens, l’attente peut marquer l’arrêt du temps. Alors que sa réalisation marque la continuité. Cet espoir est intimement lié au Moi car il permet au sujet de se réfugier dans son Moi.

Dans cette perspective, et par rapport aux hypothèses énoncées plus haut, il convient de noter que l’utilisation des croyances par le sujet constitue une forme de symbolisation pour lui. Toutes ces différentes réponses montrent que le sujet possède une capacité à symboliser autour de la question de la question des croyances. Et les différents indicateurs, à savoir à savoir « masque », « chauve-souris », « voir », « Bien/mal », « conversion », et « prière  » rencontrés dans les discours des sujets justifient bien cette symbolisation.

De façon transversale, deux éléments essentiels sont présents dans ces protocoles : d’une part, la référence aux croyances religieuses et d’autre part, celle des croyances traditionnelles. En effet, le simple fait qu’un sujet, au cours des différentes passations, reproduise les mêmes interprétations en rapport avec les croyances, n’est pas le fruit d’un hasard. Les interprétations qui accompagnent souvent ces réponses représentent un déroulement de la pensée propre du sujet. De ce fait, à ces interprétations, correspondent certains aspects de la personnalité, notamment la toute puissance des idées, la pensée magique.

En ce sens, certains autres éléments appelant à d’autres interprétations concourent au processus même de genèse des interprétations sur les croyances. Par exemple, la tendance aux croyances est attestée par un ensemble d’interprétations qui prennent leur origine dans le monde magique : « masque », « figurine » (planche I), « totem » (planche VI) pour le cas François ; « génie » (planche X), la « plume » (planches I et V) pour le cas Thomas, etc.

Tous ces exemples proviennent des cas pathologiques et normaux. De ce fait, il convient de noter qu’il se pose à travers ces cas la question de la pensée magique. Ces résultats sont la preuve que le problème auquel on s’intéresse dépasse largement l’état de santé et de maladie. A partir cette pensée magique, on peut noter une similitude avec les enfants et les hommes primitifs auxquels S. Freud (1913) fait allusion dans « totem et tabou ».

Mais quels sont les processus qui sous-tendent ce fonctionnement psychique chez le sujet ?

D’un point de vue psychique, les formes peuvent être considérées comme des formations de compromis, c’est-à-dire des moyens par lesquels le refoulé fait irruption à la conscience, en faisant retour par le symptôme 210 dont le but est soit la satisfaction sexuelle, soit la défense contre celle-ci 211 . A cet effet, la prière, le masque impliquent-ils chez le sujet une satisfaction sexuelle ou une défense. Ces formations de compromis sont le résultat d’un ensemble de processus.

Le mouvement perceptif ou le mode d’appréhension est le « résultat d’une contraction, d’une condensation qui implique une double mobilisation, à savoir une utilisation de la réalité externe et la possibilité d’appréhender cette réalité externe par une restructuration qui s’organise grâce aux repères d’une image interne. Il y a donc ici rencontre et interaction entre mécanismes perceptifs et mécanismes projectifs si l’on entend par project tout ce qui vient du sujet pour remodeler le stimulus et lui donner sens » p. 98 212 . Existe-t-il des processus qui sous-tendent ce type de fonctionnement mental ?

En tant que défense, la prière par exemple, peut être considérée comme une formation réactionnelle. Il s’agit d’un « contre-investissement d’un élément conscient, de force égale et de direction opposée à l’investissement inconscient » 213 . « Le sujet qui a élaboré des formations réactionnelles ne développe pas certains mécanismes de défense à employer quand un danger pulsionnel menace ; il a changé la structure de sa personnalité comme si ce danger était toujours présent, pour être prêt quel que soit le moment où ce danger se présente » 214 . Par rapport à la prière, je peux dire qu’elle vient s’opposer, en tant que mécanisme sublimatoire, aux activités sexuelles de la patiente. Mais aussi aux consultations des thérapeutes traditionnels que les chrétiens bannissent.

Ainsi, la prière, le masque, et la chauve-souris peuvent être considérés comme des formations de compromis pour le sujet. Dans ce sens, quelle est alors la place du Moi du sujet dans cette situation ? Quelle est la dynamique impliquée dans l’apparition de ces réponses ?

Notes
205.

Eugène Minkowski (1933), L’avenir. Le temps vécu. Paris, PUF, 1995, pp. 72-120.

206.

Eugène Minkowski, Idem, p. 95.

207.

Eugène Minkowski, Idem, p. 97.

208.

Eugène Minkowski, Idem, p. 101.

209.

Eugène Minkowski, Idem, p. 102.

210.

Jean Laplanche -Jean Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse. Paris, PUF, 1967.

211.

Idem.

212.

Catherine Chabert, Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation psychanalytique. Paris, Dunod, 1997, 273 p.

213.

Idem.

214.

Idem.