3.2.2. Les réponses« prière  » et le « fil projectif  »

En partant de l’idée selon laquelle il existe une histoire latente chez le sujet, il convient maintenant d’essayer de construire cette histoire en lui prêtant un « appareil à penser ». Parmi les différentes réponses recueillies auprès des sujets, je vais mettre l’accent sur les réponses « prière  ». Mon intérêt pour celles-ci est lié au fait qu’elles sont transversales à toutes les autres réponses. A travers ces réponses « prière », il s’agit de voir le déploiement du mouvement du « fil projectif ».

Afin de comprendre la dynamique d’expression des réponses prières, je vais m’intéresser principalement aux réponses d’un sujet qui est Thomas :

C’est à la planche IX, notamment à l’enquête que la réponse « prière » naît : « …Ici, j’ai comme l’idée que ce sont les hommes de Dieu qui prient autour du mât de là où on l’a crucifié, parce qu’il y a des hommes de part et d’autre ». Et on retrouve dans les choix positifs, ces réponses en rapport avec la prière, à la planche IX : « Je vois l’amour, nous hommes d’église, si tu n’as pas l’amour, c’est zéro. Il faut prier ».

A ce niveau, il s’agit de comprendre la dynamique qui aboutit à la symbolisation de la réponse par le sujet. C’est le mouvement du « fil projectif ». En ce sens, chaque individu, en fonction de sa problématique, va avoir sa propre dynamique. Chez Thomas, le processus dynamique commence à la troisième réponse de la planche III où il essaie d’attraper quelque chose de concret, ici le « bouquet de fleurs », le « pot de fleurs ». En ce sens, il s’appuie sur du concret.

Ce qui est intéressant, c’est de voir comment cette réponse arrive après des moments de symbolisation de toutes les planches à la réponse « prière  » qui apparaît à l’enquête de la planche I. Il y a donc eu un travail interne chez le sujet qui ne s’est pas manifesté lors de l’interprétation des différentes planches mais plutôt à l’enquête. Du concret, le sujet essaie d’attraper quelque chose avec ses bras. Mais il se trouve qu’il n’arrive pas car la chose vole et paraît inatteignable. Thomas essaie alors de faire appel à un Dieu qui n’est pas là. Et pour cela, il va s’accrocher à nouveau à quelque chose de concret : « …ce sont les hommes de Dieu qui prient autour du mât de là où on l’a crucifié, parce qu’il y a des hommes de part et d’autre » (Planche IX, enquête). Dans ce sens, le sujet symbolise autour du mât.

Cette symbolisation se poursuit au TAT dans le cadre d’une complémentarité entre le Rorschach et le TAT car pour C. Chabert (1987) 220 , « c’est le même sujet qui parle ». Par rapport à Thomas, il s’agit de noter qu’à travers le TAT, le sujet reprend les ratés ou les restes de représentations ou de symbolisation. Dans cette perspective, le « pot de fleurs », le « mât » vont être associés à l’amour, à la paix.

Ainsi, bien que les réponses « prière  », « conversion », « masque » ou « chauve-souris » soient des réponses de type crédique, elles ont une fonction contenante pour le sujet. Elles servent de repères et d’étayage pour le sujet. R. Kaës (1976) 221 parle de l’importance de l’ « imaginaire groupal  » composé d’un ensemble de croyances, valeurs partagées par les membres du groupe et qui vont influencer les comportements de ces membres. En ce sens, je parlerai d’ « imaginaire culturel » car il s’agit des groupes plus larges comprenant toute la symbolique avec ses symboles, ses significations, ses croyances, ses mythes, contes, rites, etc.

Ainsi, dans les protocoles des patients rencontrés, on peut noter deux types de patients : ceux dont les représentations culturelles ou les croyances sont manifestes au niveau des protocoles et ceux dont les protocoles ne font pas référence aux croyances utilisées dans leur discours. A travers ces réponses, il se pose aussi la question des relations entre la religion chrétienne et les croyances traditionnelles. De ce fait, comment se fait le passage des croyances traditionnelles à la religion chrétienne ? Autrement dit, comment une personne délaisse les croyances traditionnelles pour accepter la religion moderne, à l’origine de la conversion religieuse ?

Notes
220.

Catherine Chabert, Rorschach et T.A.T. : antinomie et complémentarité, Psychologie française, 32-3, 1987, pp. 141-144.

221.

René Kaës, L’appareil psychique groupal. Paris, Bordas, 1976, 273 p.