1.1. La planche comme moyen d’expression

Dans la situation projective, le sujet se sert de la planche. Par sa matérialité, elle fait office de moyen d’expression. Dans ce sens, la planche est un espace qui met en scène les aspects internes du sujet, en permettant l’expression de sa problématique. Certains sujets n’arrivant pas à s’exprimer suite à une inhibition, peuvent voir celle-ci être levée grâce à la « vision en images ».

Dans ce sens, le Rorschach et le TAT sont deux épreuves qui permettent l’expression par l’intermédiaire du mécanisme de projection. En prenant le cas d’Angèle, on peut noter qu’elle fait énormément allusion à Dieu, et en particulier « Jésus-Christ », en tant qu’image salvatrice. La passation du Rorschach et du TAT permettent de noter non seulement la présence des références chrétiennes : « …les mains sont comme ça… » (Planche I), mais aussi celle des croyances traditionnelles : le « mukudji  » (Planche IV). Ces références mettent en exergue d’un côté les réponses « prière  » et de l’autre les réponses « masque ». Dans ce sens, quelles relations existe-t-il entre les références chrétiennes et les références traditionnelles ?

Lorsqu’Angèle répond à la première planche du Rorschach : « …les mains sont comme ça… », en mimant le signe de la prière, on peut y voir l’expression d’une implication personnelle du sujet. A travers cette réponse « prière », on peut observer mouvement narcissique, d’une relation intime chez le sujet. E. Minkowski (1933) note que la prière est une « intériorisation vécue ». En ce sens, elle met le sujet en relation avec lui-même par le recueillement. Ce qui implique l’existence d’une dimension narcissique. Ainsi, à travers cette réponse « prière » notée au Rorschach, il y a une relation du sujet de soi à soi.

Tandis qu’au TAT, la réponse crédique se situe dans un relation comme on peut le noter à la planche 2 : « … Un jour de dimanche, tous les chrétiens doivent aller à l’église. Cet homme a deux femmes. Il y une qui va à l’église et l’autre non car elle écoute ce que son mari lui dit. Elle n’aime pas l’église et elle est en grossesse. Son mari est en train de faire le jardin et la femme est là. Comme elle est en grossesse, peut être c’est la fatigue, elle assiste encore… ». Cette réponse met en évidence la relation du sujet à l’autre, le lien de soi à l’autre.

Ainsi, le Rorschach et le TAT peuvent permettre la compréhension du fonctionnement psychique. Sur la base de ces épreuves, on peut aussi mettre en évidence la capacité ou l’incapacité à « symboliser » du sujet. Si le Rorschach est particulièrement utilisé pour le repérage de la qualité des liens intrapsychiques (le lien à soi) et de l’image du corps, en tant qu’épreuve thématique, le TAT a été choisi par sa capacité à mettre en évidence la qualité des liens intersubjectifs (le lien à l’autre).

Afin de saisir le fonctionnement psychique du sujet, l’utilisation du Rorschach et du TAT doit se faire une certaine complémentarité, telle que C. Chabert (1993) la met en relief à travers ces caractéristiques :

« le Rorschach oblige à une centration narcissique, appelée en quelque sorte par les caractéristiques du matériel, la symétrie ordonnée autour de l’axe vertical sollicitant la projection de représentations du corps […]. Le T.A.T., en apparence, offre davantage de sollicitations relationnelles par la facture même des images qui y sont proposées […]. Les conduites requises par la consigne doivent mobiliser un travail de pensée dans la construction du récit autour d’un scénario imaginaire : il s’agit donc de recourir à une activité de liaison, notamment dans l’aménagement des conflits pulsionnels ».

Ainsi, l’objectif est de repérer différentes constantes dans les protocoles et les caractéristiques dominantes chez les sujets, notamment les processus de symbolisation. Dans un monde où les représentations culturelles sont très nombreuses, il convient de spécifier la nature des conflits et des assises narcissiques, celle des angoisses dominantes et des défenses mises en jeu contre ces angoisses.

Cependant, dans un monde où il y a un délaissement des références traditionnelles, que peut signifier la référence aux croyances religieuses modernes à l’origine d’une forme de symbolisation ? Peut-il s’agir d’un biais lié au contexte culturel du sujet ?

L’utilisation de la méthodologie projective dans des cultures différentes de celle dans laquelle elle a été façonnée peut avoir des biais au niveau de la passation et des réponses, dans la façon d’appréhender le matériel en particulier. Chez certains sujets, ce biais culturel peut se poser avec beaucoup de perspicacité ou de façon indirecte. L’utilisation des croyances religieuses modernes par le sujet peut s’inscrire dans le cadre de ces réponses signifiantes en rapport la problématique soulevée par cette recherche. Dans cette perspective, les croyances religieuses modernes sont des formes symbolisantes pour le sujet. Cependant, au-delà de cette dimension signifiante, les réponses en rapport avec les croyances religieuses modernes peuvent être le résultat d’un biais culturel. Chez Angèle, Pierre, Thomas, Patrick, on peut noter l’importance des réponses chrétiennes. En ce sens, à quoi peut renvoyer la référence au christianisme chez les sujets ?

Par ces réponses, on peut aussi entendre la présence d’un biais culturel lié au matériel, notamment celui du TAT qui est figuratif. Le christianisme, dans ce cas, peut renvoyer au « colonisateur », au « missionnaire », à tout ce qui est « bon » et « bien », sur qui peut porter une identification positive. D’ailleurs, Angèle par exemple, à la planche II du Rorschach, fait ressortir l’importance de l’homme blanc : « … C’est un blanc. Voici les pieds qui sont blancs… J’aperçois les jambes d’une personne qui est blanche… ». Cette référence à l’homme blanc présente dans les entretiens. Elle est liée au désir qu’éprouve le sujet de venir vivre en France, sur proposition de son amie d’enfance qui y vit depuis quelques années.