L’intérêt de cette partie est montrer l’importance du rejet des croyances traditionnelles par une grande partie de la population. Ce rejet se fait au profit des croyances dites modernes, comme le christianisme, l’islam, etc. En effet, sous prétexte des pratiques sorcières et magiques organisées par les thérapeutes traditionnels, certains individus se refusent à fréquenter ces derniers. En plus, parfois, les résultats sont désespérés. Ce rejet est aussi organisé par les responsables des églises chrétiennes qui diabolisent les croyances traditionnelles. De ce fait, il y a des rejets se caractérisant par un désinvestissement de ces croyances traditionnelles.
En prenant le cas du renversement dans le contraire, S. Freud décrit deux processus : le retournement d’une pulsion de l’activité à la passivité et le renversement du contenu. D’une part, il s’agit du renversement du but actif en but passif. Par exemple, en prenant le cas du couple voyeurisme-exhibitionnisme, il y a le but actif : regarder qui est remplacé par le but passif : être regardé. D’autre part, le renversement du contenu se fait notamment par la transformation de l’amour en haine.
On peut dire que c’est ce qui se passe chez le sujet dans le cas des représentations, notamment dans l’utilisation des croyances à la sorcellerie. En effet, chez certains sujets, il existe ces processus. Du point de vue clinique, on peut noter chez le malade le passage de l’activité à la passivité. Le malade est sans moyens, augmentant de plus en plus son angoisse. Celui qui attaquait devient celui qui est « attaqué » ou « mangé » par les sorciers. A tel point que ces derniers sont craints et fuis. Par ailleurs, il existe une transformation de l’amour en haine. On ne veut même plus en entendre parler. Tous les souhaits sont en rapport avec la haine de la personne responsable de la maladie du sujet. Ces processus peuvent être actifs en peu de temps. Généralement, ce sont des chefs de famille qui ont élevé tous les membres de la famille et qui sont reconnus par leur bonté qui, du jour au lendemain, deviennent bannis suite aux soupçons de sorcellerie qui pèsent sur eux.
Selon le chemin suivi par chaque individu, ces processus peuvent se limiter à ce niveau ou voir s’ajouter d’autres. En effet, si le sujet « choisit » de rester dans sa culture traditionnelle, avec référence aux nganga, la situation ne changera pas. Dans ce sens, certains individus restent éternellement sous le coup des croyances traditionnelles. Pour cela, au moindre mal, ils courent vite consulter les nganga. C’est chez eux aussi que les accusations de sorcellerie sont les plus nombreuses. Chez ces personnes, on peut distinguer des ports des objets, en guise de « protection » contre les sorciers. Tout cela est le signe de la présence du mécanisme de projection qui joue un rôle très important à ce niveau.
Par contre, si la personne décide d’aller à l’église à la recherche des soins, on peut noter d’autres processus en jeu, à savoir le retournement sur la personne et la sublimation. En effet, pour certains, le fait de fréquenter les églises entraîne le processus de retournement sur la personne. En prenant le couple sadisme-masochisme, on note un passage du sadisme au masochisme. S. Freud (1915, 25) note que ce dernier est « précisément un sadisme retourné sur le moi propre ». Dans ce sens, il y a un changement de l’objet pour le sujet. Avant, l’objet était l’autre et maintenant, il est le sujet lui-même. A tel point que le sujet, en tant qu’objet, sera lui-même persécuté car il a été l’objet du péché. Cette persécution du sujet par lui-même et par l’environnement forme la situation masochiste dans laquelle se trouve le sujet. Ainsi, on peut se servir de la représentation du processus faite par S. Freud (1915, 26) : « le sadisme consiste en une activité de violence, une manifestation de puissance à l’encontre d’une autre personne prise comme objet ».
Dans ce sens, il s’agit par exemple de la violence exercée à l’endroit du sorcier, une fois mis à découvert. « Cet objet est abandonné et remplacé par la personne propre. En même temps que le retournement sur la personne propre, s’accomplit une transformation du but pulsionnel actif en but passif ». Toute velléité à l’encontre du sorcier est abandonnée ; il est même fuit car l’accent est mis sur la vie du sujet, par rapport à ses erreurs de vie, ses péchés. Pour cela, la confession, la délivrance, la prière ou le pardon accordé, toutes ces techniques qui ont un fondement individuel sont mises en relief. « De nouveau est cherchée comme objet une personne étrangère, qui, en raison de la transformation de but intervenue, doit assumer le rôle du sujet ».
A cet effet, le sujet va-t-il mettre l’accent sur sa personne, sur ses péchés. En reconnaissant ses péchés, le sujet s’inflige un tourment. Il s’agit du masochisme. Dans ce cas, on parlerai plus d’autopunition que de masochisme. Cette autopunition est accentuée par les prêches qui se déroulent au cours des prières, des confessions, laissant ainsi le sujet dans le désarroi car torturé par ses péchés. Ainsi, éprouver de la douleur devient un but de la personne masochiste. Dans ce cas, ces personnes utilisant ces représentations peuvent-elles être considérées comme des masochistes ? A quoi peut renvoyer alors la notion de pardon proférée par ces personnes ? Est-elle le résultat de la transformation pulsionnelle au sein du sadisme ?
En introduisant le pardon, le sujet opère une transformation pulsionnelle au sein du sadisme. Cette formation réactionnelle est très répandue chez les personnes chrétiennes. Elles éliminent tout ce qui est en rapporta avec le sadisme, du moins en pensée. Sauvées par la toute puissance divine, ces personnes estiment qu’il faut pardonner. Et par conséquent, les croyances à la sorcellerie ne sont pas plus puissantes et il faut les ignorer et sont combattues avec force. On parlerait plus de refoulement de ces croyances sorcières. Certaines personnes arrivent même à dire que lorsqu’on est chrétien, on ne parle plus de sorcellerie. Ce qui montre la force du refoulement exercée chez ces gens. Dans ce cas, tout le discours sera coloré des représentations chrétiennes.
Par ailleurs, dans la prise en charge, il ne s’agit pas d’une absence de réponse en tant que telle car des propositions de solutions existent mais sans fiabilité. Par exemple, un patient qui va consulter un médecin va être confronté à un problème d’efficacité des thérapies proposées. Face à cette difficulté, il s’en suit une angoisse chez le patient. Ce qui va être à l’origine d’un désinvestissement des représentations médicales ou d’autres formes de thérapies ayant échoué pour d’autres représentations plus supportables. Par conséquent, il y a la formation d’une nouvelle liaison entre l’affect et une représentation, à l’origine de la représentation ou de la symbolisation. Le sujet délaisse certaines thérapies qui n’ont pas afin d’adopter d’autres qu’il va investir psychiquement, familialement, matériellement. Ainsi, à partir de ces mécanismes décrits par S. Freud (1915), on a pu noter que les représentations (traditionnelles ou chrétiennes) utilisées par les individus sont des destins de symbolisation de la pulsion.
Chez les sujets, on peut noter deux types de réponses en rapport avec les croyances, à savoir les réponses en relation avec les religions chrétiennes et celles en rapport avec les religions traditionnelles.
Chez les cas Angèle et François, il y a la présence de réponses symboliques ayant une relation avec les croyances du sujet : religion chrétienne et croyances à la sorcellerie. Sur le plan religieux, il y a des réponses comme : « ange », « prière », « diable », « démon », « amour », « pardon », « croix », etc. Au niveau des croyances traditionnelles, il y a des réponses comme : « chauve-souris », « masque », « plume », « génie », etc.
Chez Pierre, il y a absence de réponses en relation avec les croyances. Ces réponses sont abstraites, de type intellectualiste. Par l’abstraction, le sujet a des difficultés à s’attacher au concret. Ici, le concret peut signifier la prise en compte de la réalité, des croyances, etc. Il s’agit alors des mécanismes de coupure qui jalonnent le protocole du sujet.
Chez Martine, il y a absence de réponses en relation avec les croyances. Les réponses du sujet sont des réponses humaines et fragmentées, avec un développement d’images anatomiques stéréotypées. Ces images portent sur le corps même et non sur son intérieur, selon un registre schizoïde, tendant vers le morcellement. Dans ces réponses, la représentation de l’Autre n’existe pas. Le sujet est concentré sur la réalité des sensations internes. De ce fait, il y a alors une fusion entre les tensions psychiques et les tensions du corps du sujet. L’évocation des tensions du corps se caractérisant par les images anatomiques est à l’origine des problèmes psychosomatiques du sujet.
Chez François, on note une absence de formes en rapport avec les croyances. Le sujet fait référence à l’abstraction. Il s’agit du monde de l’irréel. Chez Gaston, il y a absence de réponses en relation avec les croyances. Ce sont des réponses abstraites. Chez Patrick, on note l’existence de quelques formes en référence avec les croyances. Martine et Patrick ont une caractéristique commune qui est celle de ne pas appartenir à un monde délirant. Mais quelle différence existe-t-il entre le monde délirant et ce qui n’est pas délirant ?
Chez Patrick, adolescent de 16 ans, on peut dire qu’il est confronté aux aléas du sentiment de la réalité. Selon Z. Helman (1980, 47) 269 , « les images du Rorschach d’adolescent brisent et transposent le réel, le caractère essentiel de cette vision tenant dans l’exacerbation des mécanismes psychiques fondamentaux ». Ceci s’explique par le fait que dans les protocoles des adolescents, il y a extension de l’espace psychique permettant ainsi au sujet de s’exprimer, de « jouer » avec les images lui permettant de mieux réaliser des nouvelles expériences de vie. Dans cette expression, il y a utilisation de l’imaginaire, de l’irréel, lui permettant ainsi de refuser de mettre les limites, d’élargir les limites de la réalité : celles du temps et de l’espace vécus et celles de la pensée.
Dans la déstabilisation de la réalité des états psychotiques, le virtuel subit de violentes distorsions car le sujet lutte contre les mouvements dissociatifs. Cette dissociation diffère de celle observée chez l’adolescent « normal » où il n’existe aucune distorsion du virtuel, mais simplement une présence de mécanismes de coupure, comme c’est le cas chez Patrick.
Patrick est un jeune homme de 16 ans, rencontré 6 mois après son incarcération à la prison. Il a été incarcéré pour homicide, pour « coups mortels ». Le cas Patrick met en relation la question de la réalité et de ses croyances. Le sujet se caractérise par une dissociation de la réalité. En effet, l’analyse présente un symptôme de dépersonnalisation momentanée avec la présence des idées d’envoûtement et de persécution. Ces sentiments laissent inaugurer une tendance schizophrénique. En effet, le sujet ne se sent pas responsable de la mort de la victime. Il considère avoir pris la place de son frère cadet et de sa grand-mère qui sont qui sont les auteurs principaux de ce meurtre. Mais lorsqu’il l’accepte, il croit avoir été sous l’effet d’un envoûtement.
Zéna Helman, Structure et évolution dans le courant de la psychopathologie structurale. Psychopathologie structurale 3. Toulouse, Erès, 1980, pp. 9-53.