2.1. Psychograme

2.2. Analyse du Rorschach

A la première planche, Angèle donne une réponse est précédée d’une précaution verbale. Et la représentation donnée, morcelée : « Une personne debout qui n’a pas de tête… », exprime une dévitalisation. A l’enquête, la réponse est plus précise : « la personne ne vit plus. La tête est coupée… ». Cette représentation montre la présence d’une angoisse de morcellement chez le sujet contre laquelle le sujet essaie de lutter. La deuxième partie de la réponse : « …et les mains sont comme ça… », signe d’adoration ou de pardon demandé à Dieu, exprime le type de fonctionnement « choisi » par le sujet pour lutter contre l’angoisse : la prière. Dans cette perspective, il convient de noter qu’avant son hospitalisation, Angèle était devenue chrétienne. Pour cela, elle allait à l’église prier. Depuis qu’elle est stabilisée, elle effectue des sorties les week-end au cours desquelles elle se rend à l’église prier.

A partir de cette planche, on peut aussi noter l’importance de la persécution. Il y a d’une part les « gens » persécuteurs, méchants, bourreaux « qui l’ont amarré et ils ont pris la tête » et d’autre part la victime dans un état d’impuissance. Mais quelle relation cette problématique peut-elle avoir avec le sujet ? En effet, il y a un an environ, Angèle avait perdu un de ses frères aînés qui avait été retrouvé assassiné au cours d’une partie de chasse. L’histoire ne dit pas s’il avait été retrouvé sans tête. Si c’est le cas, cela était probablement lié à un sacrifice. D’ailleurs, l’oncle maternel aurait été accusé comme étant l’auteur de ce sacrifice à des fins de carrière politique et sociale car il est sénateur.

Ainsi, s’agit-il d’une propre angoisse de morcellement du sujet ? Quelle résonance ce sacrifice a chez le sujet ? Autrement dit, ce sacrifice, très courant chez les hommes de pouvoir dans la société gabonaise, est-il un moyen pour le sujet de symboliser sa propre angoisse de morcellement ?

La planche II est de nature à déterminer une interrogation, un tâtonnement, un malaise, une hésitation ou encore une sorte de crispation. Cette planche se prête mal à une réponse globale (G) car elle porte en elle une sorte de dualité venant du contraste violent et inattendu du rouge et du noir, bien que le rouge du bas se trouve en voisinage immédiat et paraît même s’enfoncer dans la masse noire. Cette masse, à cause de cette dimension, s’impose en premier lieu et devrait ainsi déterminer l’ordre des réponses, en partant du noir au rouge et non pas l’inverse. Il y a ici un élément sensoriel, au sens où il y a une forme, un mouvement. Mais la forme est lourde, pesante ; le mouvement l’est de même. La réponse rouge est très présente à cette planche. Le détail intramaculaire est trop visible pour qu’on passe outre.

Si le rouge passe à la place du rouge, il y a une impulsivité primitive se traduisant de cette manière et qui efface la sensorialité de planche. Par ailleurs, on peut noter une indifférence dans le sens où le sujet ne voit pas le rouge. Ce qui entraîne une suppression des réactions affectives, de la sensorialité de la planche.

Dans cette planche, le malaise est déterminé par des images d’ordre sexuel. En effet, le rouge inférieur évoque l’image du vagin. Tandis que le détail supérieur pourrait correspondre à l’organe sexuel masculin. Ces images sont soit exprimées, soit refoulées, d’où le malaise. A cette planche, il y a une opposition entre le refoulement lié au choc initial et les tendances impulsives qui se révèlent dans la nomination des couleurs. Ce qui peut entraîner une inhibition qui pourrait être levée soit à l’enquête, soit par un travail psychothérapeutique.

A cette planche II, Angèle donne une représentation portant sur la couleur de la peau, contrairement à la première passation. Après une réponse globale, les justifications sont apportées à l’enquête par les détails : « J’aperçois les jambes d’une personne qui est blanche qui porte les chaussures rouges ». A la suite de cette description de la représentation, il y a une persévération de la réponse donnée à la planche I. Les réponses détails confirment la présence d’une angoisse de morcellement à laquelle s’ajoute un mouvement projectif. Ce qui permet de noter que la tentative de maîtrise de l’angoisse de morcellement a fini par échouer à la fin de la réponse.

La planche III est accueillie généralement avec beaucoup de soulagement car à la planche précédente, il y a eu une inhibition. Le malaise, la tension propres à la planche II disparaissent instantanément et font place à un climat de détente. Certes, il y a aussi du rouge mais il s’éloigne du noir. Le sujet acquiert son indépendance propre tout en participant à l’atmosphère de légèreté signalée plus haut. Contrairement aux planches précédentes, le renversement de la planche III provoque un changement de la nature du climat qu’elle dégage. En effet, elle se compose des parties dont chacune se prétend à une réponse particulière.

A cette planche III, Angèle focalise sa représentation sur les détails. La couleur noire a un effet sur le sujet. A côté de la réponse banale, s’ajoute cette couleur dépressive exprimant une certaine angoisse. Celle-ci se manifeste par un mécanisme d’isolation de la couleur rouge : « …ça, c’est le sang. Ça aussi, c’est le sang… ». L’évocation de la couleur rouge, du sang, montre une certaine agressivité chez le sujet.

La troisième et la quatrième réponses sont aussi perçues dans le détail. Ce qui peut exprimer l’incapacité du sujet à percevoir la réponse dans sa globalité, à cause de l’angoisse que ça peut susciter. Alors, le sujet utilise des détails oligophréniques. Lorsque les réponses humaines sont perçues, aucun lien n’existe entre eux. Il s’agit du mécanisme d’isolation.

La planche IV se caractérise par deux éléments : un sensoriel dans le sens de poilu, velu, peau de bête, tapis, etc. A cette dimension, vient s’impliquer un élément menaçant (monstre, gorille, diable, ogre, etc.). Cette planche fait partie des planches où l’ambiance change quand on les retourne. En effet, il y a une indifférence d’atmosphère considérable quand on retourne la planche. Dans la position droite, il y a une densité très forte. Dans la position renversée, cela donne un caractère de légèreté.

A cette planche IV, Angèle exprime un refus se caractérisant par une dénégation. Ce qui constitue un choc pour le sujet. De la même façon qu’à la première passation, le choc est présent. A cette différence qu’il existe maintenant un commentaire qui n’apporte aucune information supplémentaire. A l’enquête, il y a une réponse qui est donnée. Celle-ci fait référence à une scène où il existe un masque ayant la capacité de faire peur : « …mukudji où on cache le visage pour qu’on ne puisse pas reconnaître la personne… ». Cependant, le sujet ajoute le caractère amusant et festif du masque pour pouvoir dédramatiser son angoisse : « …des gens qui dansent le mukudji… ». Ce mécanisme maniaque vient en quelque sorte annuler la représentation « peur » de la réponse antérieure.

La planche V est la plus simple de toutes les planches. Elle donne lieu à des réponses globales. La partie du milieu rappelant le corps contraste avec les autres qui sont en mouvement. Cette planche est très précieuse pour les patients psychotiques, si les réponses comme chauve-souris, papillon n’y sont pas. Cette planche est tellement simple qu’il lui faut trouver des réponses autres que celles-là.

A cette planche V, l’angoisse vécue à la planche précédente est tellement puissante que Angèle va réussir à s’exprimer plus fortement aux planches suivantes. On note alors un mécanisme de refoulement manifeste dans la verbalisation : c’est la dénégation. Contrairement à la première passation, l’inhibition va être levée aux enquêtes à la deuxième passation. A l’enquête, le sujet donne une réponse banale, en sa langue maternelle. La représentation est perçue dans sa globalité. Ensuite, suivent des précisions. Cette situation peut signifier l’existence d’une identité ou d’une image de soi pas très stable.

La planche VI est réputée pour être une des plus difficiles. On note des répartitions selon les masses. La position renversée est plus simple et homogène.

A cette planche VI, on note un choc. A l’enquête, Angèle donne une représentation humaine de mauvaise qualité formelle. La représentation est d’abord perçue globalement ; ensuite, le sujet essaie de se rattraper en donnant les précisions de sa réponse. Dans ces réponses de précision, on peut noter des défenses maniaques ou des formations réactionnelles : « …elle a une longue robe, genre la robe de mariage ». De même, la représentation « robe » peut renvoyer à une attitude régressive à l’origine alors de la défense maniaque ou de la forme réactionnelle. A travers la robe, peut aussi se poser chez le sujet la question du Moi-peau, celle des limites.

A force d’aller dans des précisions, le sujet fait ressortir des découpes de mauvaise qualité formelle. Ce qui suscite de plus en plus l’angoisse de morcellement. Ainsi, à cette planche, peut-il y avoir déni de la représentation sexuelle par le sujet ?

La planche VII se décompose en trois parties distinctes dont chacune présente un caractère particulier. La partie supérieure est interprétée par des sujets ayant un bon contact avec la réalité. Les individus plus différenciés tiennent compte des détails supérieurs. Il y a la partie médiane et le troisième tiers inférieur.

A la planche VII, Angèle exprime une persistance de l’angoisse du sujet, à l’origine de l’absence de réponse. A l’enquête, la représentation est perçue dans sa globalité. Cette réponse soulève la difficulté qu’a le sujet à appréhender l’image de soi et le monde extérieur. Ce qui pose la fragilité de l’identité du sujet en tant que femme.

La planche VIII est la première des trois planches polychromes. C’est la planche d’entrée dans l’affectivité disait Rorschach. A cette planche, il peut y avoir des chocs à la couleur à l’origine d’une inhibition. Lorsqu’il n’y pas de réponse, on peut suggérer des figures à l’enquête.

A la planche VIII, Angèle donne une réponse banale. Elle est d’abord perçue dans sa globalité. Ensuite, on note des détails. Ce qui peut renvoyer à un morcellement de l’image du corps ou à une difficulté à saisir l’image de soi dans son entierté. Cette situation a des conséquences chez le sujet, à l’origine de sa difficulté à s’identifier à un objet, comme le montre l’enquête : « …c’est le porc-épic ou le hérisson. Ça dit être le hérisson parce qu’il n’a pas des piquants ». Cette réponse permet de noter une hésitation chez le sujet, exprimant la présence d’une angoisse. Peut-elle renvoyer à l’hésitation dans le mouvement activité/passivité ?

Dans la réponse du sujet, il y a un mouvement pulsionnel présent par le verbe « grimper ». Il s’agit d’une kinesthésie « ascendante ». De même, il y a un léger mouvement pulsionnel à connotation orale. La kinesthésie ascendante montre la difficulté qu’a le sujet à avoir des relations horizontales avec son environnement.

La planche IX est bien plus difficile que la précédente. Elle offre une polychronie pour les patients qui sont plongés dans une image névrotique. A cette planche, il y a un choc couleur lié à la persévération qui prend une tournure négative.

Aux planches IX et X, il y a la présence des refus se caractérisant par des mécanismes de déni. Le sujet ne donne aussi aucune réponse aux enquêtes. S’agit-il des effets de couleurs des planches ? Ou est-ce lié à la peur du sujet d’être envahi par l’angoisse de morcellement manifeste à la planche X ? Mais les commentaires donnés à l’enquête de la planche X est symbolique car le sujet fait allusion à des références personnelles : « Je vois seulement les couleurs du drapeau du Gabon (vert, jaune et bleu) ». Ce qui peut constituer une réponse-écran pour lutter contre son angoisse.