III.4.Le « parler bébé », langage adressé à l’enfant

L’intonation intervient dans une langue universellement répandue, destinée aux enfants dénommée « parler bébé » ou Langage Adressé à l’Enfant, (LAE, ou CDS pour Child Directed Speech). Deux hypothèses sont retenues pour expliquer l’émergence du langage chez l’enfant. Soit le langage est inné (hypothèse de la grammaire universelle), soit les entrées acoustiques de la parole induisent la structure de la parole. Dans ce dernier cas, le « parler bébé » permet de focaliser l’attention des enfants.

La parole destinée à l’enfant comporte une hauteur plus élevée, une gamme plus riche de hauteurs, des transpositions de hauteur plus souples, des contours de hauteurs plus simples, un tempo plus lent, des rythmes plus réguliers, des expressions plus courtes et des répétitions plus nombreuses.

Le « parler bébé » possède une grande musicalité définie par cinq ou six contours prototypiques qui ne se retrouvent pas dans la parole adressée à l’adulte 47 . Ces contours sont composés d’intervalles ayant des rapports fréquentiels simples, facilement décodables par le système perceptif (Burns et Ward, 1982 ; Rakowski, 1990) : les tierces, les quartes, les quintes et les octaves (Fernald, 1976) y sont prédominantes. Contrairement à la parole chez l’adulte, le langage adressé à l’enfant n’utilise pas de saut d’octave abrupte, mais garde des contours continus de l’intonation, alors même que les variations de l’intonation sont importantes.

La stimulation verbale maternelle semble s’accorder intuitivement aux capacités de traitement du nourrisson en général 48 . Les nouveau-nés préfèrent la parole prononcée avec des grandes variations de F0 et des contours ascendants rapides (Fernald, 1985 ; Fernald et Kuhl, 1987 ; Fernald, 1989). Ils préfèrent la voix de la mère en « parler bébé » dont les caractéristiques prosodiques sont fortement exagérées 49 . Les pics de F0 sont significativement plus élevés dans le parler bébé (Fernald et Kuhl, 1987).

Cette préférence n’est maintenue que pour la F0, lorsque les différents paramètres prosodiques sont isolés. Ce paramètre reste donc primordial par rapport au rythme, aux formants et à l’intensité pour le nouveau-né (Fernald et Kuhl, 1981).

Les enfants font très attention aux syllabes fortement accentuées, et ignorent celles qui ne le sont pas (Gerken, 1994). Lors de la production des mots isolés, les enfants Anglais omettent les syllabes faibles des rythmes ïambiques, mais moins souvent pour les rythmes trochaïques. Les enfants sont sensibles à la structure prosodique de la parole, à la fois au niveau des mots, mais aussi des phrases.

A l’âge de 9 mois, les nourrissons maîtrisent toutes les configurations intonatives, telles que l’interrogation, l’assertion ou l’exclamation. Leurs productions sont correctement interprétées par les parents et même par des auditeurs extérieurs au cercle familial qui leur attribuent une fonction (phatique) ou une modalité précise (question, énonciation). Et c’est uniquement l’intonation qui permet cette différenciation (Konopczynski et Tessier, 1994 cité dans Dodane, 2003). A onze mois se forment les moules prosodiques. Ces moules mélodiques formeront le squelette pour des structures syntaxiques plus complexes. Entre 18 et 20 mois, deux mots sont combinés entre eux, en respectant les contours prosodiques.

Cette richesse prosodique permettrait aux enfants de se sensibiliser à la structure du langage. Ils useraient donc des caractéristiques globales fournies par le rythme, et également par l’intonation, avant d’aborder des détails plus fins du signal de parole, dont la portée est uniquement locale, c’est-à-dire réduite à une syllabe. Nous avons examiné la contribution de l’intonation au sein de la prosodie. Celle-ci est distribuée sur l’ensemble de la phrase. Elle garde donc un caractère suprasegmental comme le rythme, mais elle se définit le plus souvent pour des durées plus courtes.

Nous allons maintenant catégoriser les propriétés de la prosodie, qui sont situées à l’autre boût du Continuum Temporel. Elles sont locales, et se définissent sur un segment linguistique court, comme la voyelle, la syllabe, voire le mot.

Notes
47.

77% de ces contours sont caractéristiques du « parler bébé ». Les contours montants servent à attirer l’attention du bébé, tandis que les contours en cloche, dont la tessiture est plus large, servent à maintenir son attention.

48.

Kuhl et coll. (1997) indiquent que les voyelles et les consonnes sont prononcées par la mère de manière plus distincte lorsque l’enfant commence à parler (hyperarticulation), que lorsqu’il est plus jeune ou plus âgé (Ratner, 1984).

49.

Et ce même pour les prématurés (Nowik-Stern et coll., 1998).