IV.4.Perception des indices locaux

Les indices prosodiques doivent pouvoir être situés dans les unités linguistiques comme la syllabe ou le mot pour la maîtrise du langage. Une expérience ancienne (Ladefoged, 1975) montre qu’un clic placé à l’intérieur d’un phonème ne semble pas avoir une localisation précise. L’impossibilité de localiser ces clics à l’intérieur des séquences phonétiques formant des phrases s’accompagne d’une incapacité à localiser directement des phonèmes. Cependant, ces clics sont émis par une source différente du signal de parole, contrairement aux informations prosodiques. La localisation des pics intonatifs est peut-être rendue possible, parce que cette dimension est intiment liée au contenu spectral.

Les nourrissons américains âgés de un à deux mois sont capables de faire la différence entre des stimuli multisyllabiques qui se distinguent uniquement par la position de l’accent (Spring et Dale, 1977). Ces résultats ont été étayés en 1993, en montrant que les nourrissons sont sensibles aux différences entre le rythme trochaïque et ïambique (Jusczyk, Cutler et Redanz, 1993). A 9 mois, les bébés anglais préfèrent les mots anglais accentués sur la première syllabe et ne prêtent pas attention aux syllabes non accentuées (Jusczyk et coll., 1993). Cette négligence ne s’explique pas par un phénomène articulatoire ou perceptuel. Les premiers mots sont bien formés, mais contiennent seulement l’information prosodique que les bébés sont en mesure de saisir (Demuth, 1996).

Pour les adultes, les voyelles « hyper articulées » sont considérées comme étant plus représentatives de leurs classes. Pour parler, les enfants doivent reproduire les sons qu’ils entendent dans leur propre domaine de fréquence. Ainsi les représentations de la parole seraient encodées en mémoire dans des dimensions spectrales abstraites. Dans ces conditions les enfants peuvent catégoriser des unités phonétiques parlées par des locuteurs différents. Cette représentation leur permet également de définir une mesure indépendante de la fréquence, qui leur permet de produire des unités équivalentes avec leur conduit vocal (Kuhl, 1991).

Les mécanismes permettant le traitement des indices linguistiques rapides sont mal connus. Les enfants dysphasiques (SLI : Specific Language Impairment) ont des difficultés pour maîtriser le langage, et ces problèmes pourraient avoir pour origine un déficit du traitement des indices rapides. Ces enfants ne peuvent couramment pas identifier des stimuli rapides à l’intérieur de la parole. Des durées inférieures à quelques dizaines de millisecondes ne peuvent être traitées par ces enfants. Or, cette durée correspond justement à de nombreux contrastes phonétiques. Ce déficit est désigné par les termes d’un trouble du traitement auditif temporel (Benasich et Tallal, 2002) 55 .

Des études utilisant l’écoute dichotique (Schwartz et Tallal, 1980), les enregistrements intracorticaux (Liégeois-chauvel, De Graaf, Laguitton et Hauvel, 1999) et l’imagerie (Belin et coll., 1998 ; Fiez et coll., 1995) ont suggéré que l’hémisphère gauche répond préférentiellement aux motifs acoustiques changeant rapidement. C’est pourquoi le traitement phonologique serait latéralisé. Fitch, Brown, O'Connor et Tallal. (1993) ont retrouvé ces résultats chez le rat, pour des séquences rapides de tons. Liégeois-chauvel et coll. (1999) ont montré que les aires centrales gauches encode le VOT (voice-onset time) d’une consonne 56 .

Zatorre et Belin (2001) ont étudié les mécanismes employés par le cerveau pour traiter les durées ou l’information spectrale à l’aide d’une TEP 57 . Le cortex auditif central des deux hémisphères répond aux variations temporelles, alors que les aires temporales antérieures supérieures répondent aux variations de fréquences. Lorsque les tons se succèdent très rapidement, une lésion située à gauche provoque plus de dégât qu’une lésion à droite (Samson Ehrlé et Baulac, 2001).

Ainsi il y aurait deux systèmes de traitement, l’un réservé aux différences spectrales (plus particulièrement pour la tonalité), l’autre pour traiter les changements rapides (Zatorre et Belin, 2001). D’autre part, ces différents mécanismes n’auraient pas les mêmes bases biologiques. L’organisation ainsi que la nature des neurones de l’hémisphère droit permettraient un traitement plus rapide.

Notes
55.

Nous reviendrons sur cette hypothèse pour l’acquisition de la syntaxe (voir Chapitre Six).

56.

Cette durée de voisement au début d’un phonème (VOT : voice onset time) distingue les syllabes /ba/ et /pa/ (Liberman, 1996).

57.

Des séquences de tons purs qui varient suivant deux dimensions différentes : soit suivant leur durée (seulement deux fréquences possibles), soit suivant leur fréquence fondamentale (seulement une durée possible). En diminuant la durée des stimuli, l’hémisphère gauche est plus sollicité, et en augmentant le nombre de fréquence, l’hémisphère droit est plus activé.