II.1.Distinction phonologique et prosodique de catégories lexicales

II.1.1.Les mots de fonction et de contenu

Les mots de fonction et de contenu possèdent généralement des propriétés phonologiques assez différentes (Selkirk, 1984 ; Nespor et Vogel, 1986). Swanson, Leonard et Gandour (1992) ont suggéré que les variations apparaissent surtout sur les mots de contenu, au détriment des mots de fonction. De manière plus générale, Selkirk (1996) propose deux propriétés universelles des mots de fonction :

  1. Contrairement aux mots de contenu, les mots de fonction n’engendrent pas systématiquement leurs propres mots prosodiques.
  2. Les mots de fonction ont une prosodie plus variable que les mots de contenu à la fois entre les langues et au sein d’une langue.

Cutler (1993) suggère que les mots de fonction aient des voyelles réduites dans leur première syllabe, alors qu’elles ne le sont pas dans les mots de contenu. Certaines propriétés des mots de contenu semblent quasiment universelles. En Chinois Mandarin, en Turc et en Anglais les mots de fonction tendent à être minimaux au sens de la perception, tout en respectant les règles phonologiques de leurs langues. De ce fait, les mots de fonction ont une structure syllabique plus simple, tandis que les mots de contenu ont le profil inverse. Cette minimalisation s’applique également au niveau prosodique. Ainsi, ils ont des syllabes avec des durées réduites et une intensité relative plus faible (Shi et coll., 1998).

En Français, « si un mot de fonction suit un mot de contenu, alors ce mot de contenu est à la fin d’un groupe intonatif et reçoit un accent final » (Malfrère, Dutoit et Mertens, 1998). En Anglais, les mots de fonction monosyllabiques ne sont pas souvent accentués (Gleitman et Wanner, 1982) alors que les mots de contenu sont marqués par un accent principal et ne sont jamais réduits (Hirst et Di Cristo, 1998). En Serbo-croate, les mots de contenu comportent toujours un ton élevé sur l’une de leurs syllabes, mais pas les mots de fonction. En Japonais (Tokyo), les mots de fonction peuvent perdre leur ton élevé dans certaines circonstances, les mots de contenu jamais (Venditti, Jun et Beckman, 1996 ; Selkirk, 1996 ; voir Peters et Strömqvist, 1996 ; Morgan et coll., 1996 ; Hung et Peters, 1997 pour des exemples en Suédois, Chinois Mandarin, Taïwanais...).

Pour l’Anglais, la production des accents la plus simple est de supposer que chaque mot de contenu porte un accent. Cependant, la position de l’accent est influencée par des facteurs sémantique, syntaxique et pragmatique. Ainsi, tous les mots de contenu ne sont pas accentués en Anglais, particulièrement lorsqu’il s’agit de textes plus longs. La prédiction de l’accent dans les groupes de noms communs en Anglais est particulièrement difficile, parce qu’elle dépend du rôle sémantique. De même, l’ordre sériel des élèments dans la phrase détermine quels mots sont accentués. Le statut du mot dans le discours participe également à la prédiction des accents. Ainsi, un mot nouvellement employé dans la conversation aura tendance à être accentué, mais ses occurrences futures ne seront plus accentuées (Hirschberg, 1993).

Le discours adressé aux enfants peut contenir des indices acoustiques facilitant l’acquisition du langage. Par exemple, l’espace vocalique est augmenté dans le cas du discours vers l’enfant. D’un point de vue spectral, les fréquences F1 et F2 sont analysées pour les voyelles /i/ /a/, /u/. Le triangle vocalique s’élargit pour les mots de contenu, lorsque le locuteur s’adresse à un enfant. Pour les mots de fonction le contraire est vérifié. Le triangle est plus étendu pour les mots de fonction lorsque le discours est adressé aux adultes (Van de Weijer, 2001). Mais tous les locuteurs ne présentent pas l’expansion de l’espace vocalique (la baby-sitter et la mère étendent le triangle vocalique).