A Christiane et Léo
A "mes" élèves
Sans vérité, comment peut-il y avoir de l'espoir … ?
Michel Quint
Effroyables jardins
A l'issue d'un travail comme celui-ci, qui pour sa phase d'écriture s'est déroulé pendant cinq ans – la collecte du matériau ayant duré quant à elle une quinzaine d'années – il y a une foultitude de personnes qui, à un moment ou à un autre, m'ont donné un coup de main. Je vais essayer de ne pas trop en oublier.
Il y a d'abord Philippe Meirieu qui a accepté de prendre le risque d'encadrer un travail dont l'académisme n'est probablement pas la vertu cardinale et qui tout au long de ces années d'écriture m'a suivi, soutenu et encouragé.
Il y a les nombreux "lecteurs occasionnels" qui ont accepté de lire telle ou telle partie plus ou moins aboutie, telle ou telle mouture – il y en eut plusieurs – et qui m'ont fait part de leurs critiques et suggestions. Je pense en particulier à Jean-Claude Oubbadia, à Jacques Le Touzé, à François et Yvette Py, à Serge de Albertis et Rosalie Siblesz, à José et Annie Blat, à Anne Mündler, à Marie-France Bernard. Je pense aussi à ma compagne Christiane Daubeuf à qui j'ai infligé de nombreuses séances de lecture "dirigée" tout au long de ces cinq années et qui a été une véritable partenaire dans ce voyage sur un fleuve au cours pas toujours tranquille, loin s'en faut.
Je pense enfin à mon frère Alain Blanc qui au cours de l'été 2004 a accompli sur un manuscrit encore en chantier, un travail d'une méthodique précision et d'une pertinence avérée tant du point de vue des détails les plus infimes que de celui de l'organisation générale du texte, en particulier à propos des deux derniers chapitres et de la conclusion.
La formule est convenue. Il n'empêche. Je les en remercie tous très sincèrement, très chaleureusement.
Nîmes le 17 octobre 2004
Jean Marie Blanc
Après douze ans d'enseignement en milieu pénitentiaire à la maison d'arrêt de Nîmes, dont il a été exclu, l'auteur de ce travail se propose de mettre en lumière ce qu'il a appelé la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral. Celle-ci se laisse appréhender au niveau local, par des faits et gestes quotidiens, comme sur un plan plus général, plus abstrait par l'évolution des textes régissant cette toute petite partie de l'éducation nationale.
Malgré cela, dans ce monde particulier qu'est la prison, il montre que toute forme d'action, d'enseignement en l'occurrence n'est pas vaine à condition de s'adosser à des convictions d'ordre éthique devant s'incarner au quotidien dans des pratiques pédagogiques mais aussi à la périphérie de la fonction d'enseignant dont l'acception ne saurait être trop stricte.
Enfin, de façon plus ample, après avoir posé quelques jalons quant à "sa" réforme de la prison fondée essentiellement sur la recherche d'autonomie et de responsabilisation des détenus, il s'interroge sur les "bénéfices" que la société peut retirer de la "carcéralisation" croissante d'une part d'elle même et, modestement, dégage quelques pistes pour contrecarrer ce phénomène qui n'est pas fatalement inexorable.
Mots clés : adultes (formation des) – enseignement – éthique – justice - prison
After 12 years spent teaching in a prison environment at the State Prison of Nîmes, from which he was dismissed, the author aims here at bringing to light what he calls the progressive “penitentiarization” of the teaching activity within a prison universe. This can be perceived on a local scale through a daily routine of occurrences and attitudes, and, on a wider scale, by the evolution of rules and decrees governing this tiny niche of the national system of education.
Nevertheless, the author tries to demonstrate that in this very specific environment of a prison, it is not impossible to be active, and therefore to teach, provided your work rests on ethical convictions to be enacted daily not only in your teaching practices, but also on the peripheral activities of the teacher, whose job should not be defined too narrowly.
At the end, trying to widen the scope of his study, after setting some markers about “his” vision of a reform of the prison system, mainly based on granting the prisoners more autonomy and responsibility, he ventures to question the benefits a given society can derive from the imprisonment of a growing portion of its members, and humbly offers a few leads to counteract this not altogether inexorable evolution.
Il semble maintenant admis que même dans les sciences dites dures soit reconnue la pertinence de l'idée selon laquelle la présence d'un observateur ne va pas sans modifier, altérer les résultats de la situation, de l'expérience ainsi observée.
Cette idée de l'importance de l'observateur quant à la situation analysée va de soi, et depuis longtemps en ce qui concerne les sciences humaines. "Que le fait social soit total ne signifie pas seulement que tout ce qui est observé fait partie de l'observation ; mais aussi, et surtout, que dans une science où l'observateur est de même nature que son objet, l'observateur est lui-même une partie de son observation." 1 Un travail en sciences de l'éducation relève à l'évidence de cette seconde catégorie.
Qui plus est, quand un instituteur en fonction se targue de conduire une "recherche" sur sa propre pratique telle qu'elle se déroule quotidiennement en un lieu particulier, une prison par exemple, ce qui est mon cas, il se retrouve dans la situation du spectateur qui de sa propre fenêtre regarde passer une manifestation à laquelle il participe.
Cette métaphore célèbre me paraît cependant incomplète : ce spectateur engagé a par ailleurs deux ou trois idées quant à la destination de la manifestation, sur son itinéraire voire quant aux slogans et mots d'ordre qu'il conviendrait d'adopter au cours de son déroulement.
Cette dernière préoccupation, que dans un premier temps au moins je nommerai militante, ne va pas sans sur-parasiter une situation déjà passablement complexe sinon inextricable. En effet, au double rôle d'observateur et de cobaye vient s'en ajouter un troisième, celui du militant qui fait fi de l'objectivité scientifique ou plutôt s'en désintéresse pour mettre l'accent sur les conditions de son propre exercice, et pas uniquement au sens pédagogique du terme, bien au contraire : "Je pense au contraire que ce que l'on fait en sciences sociales s'inscrit toujours dans le cadre d'un débat de société qui exige que l'on prenne parti." 2
D'autant plus que je suis convaincu que la "militance" conditionne la recherche en tant que révélant ou élargissant des champs où la recherche pourra par la suite aller investiguer. A propos du milieu professionnel qui est le mien, il me semble qu'un bel exemple de ce qui précède est le livre Surveiller et punir de Michel Foucault (paru en 1975) dont je conjecture que le travail qui a conduit à sa rédaction n'est pas étranger à l'engagement de son auteur au sein du Groupe Information sur les Prisons (G.I.P.) créé en février 1971 par notamment outre Michel Foucault, Jean Marie Domenach et Pierre Vidal-Naquet et dont l' "objectif est d'informer, de faire sortir les prisons du silence, de donner la parole à ceux qui ne peuvent la prendre, de témoigner devant le monde de ce que eux-mêmes appellent l'intolérable." 3
Ce deuxième registre ne saurait être clos sans que soit franchie une deuxième marche qu'en première approximation j'appellerai philosophique : "Rien n'est convaincant ni décisif ni révélateur d'une intention sincère sinon l'engagement dans l'effectivité du faire ; seul compte l'exemple que le philosophe donne par sa vie et dans ses actes. Il n'y a pas de témoignage plus authentique et plus probant que celui-là." 4 Une dernière citation : "le dire philosophique est nécessairement aussi un faire, à mort, et cette theoria est toujours aussi une praxis – faute de quoi ce n'est plus qu'un bavardage." 5
C'est en tant que spectateur très engagé, apprenti philosophe à la recherche inaccomplie d'un dire et d'un faire philosophiques – quête conçue après coup – que j'ai essayé de rendre compte, de signifier une expérience d'une douzaine d'années comme instituteur à la maison d'arrêt de Nîmes. Et c'est sur ce double horizon que se déploient les pages qui suivent.
C. Lévi-Strauss, Introduction à l’œuvre de M. Mauss, p XXVII, Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Presses universitaires de France, Paris, 1968, 482 p. (Les mots en italiques sont de l'auteur.)
R. Castel, C. Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi Entretiens sur la construction de l'individu moderne, p 185.
J.-G. Petit, N. Castan, C. Faugeron, M. Pierre, A. Zysberg, Histoire des galères, bagnes et prisons, p 329.
V. Jankélévitch, Le paradoxe de la morale, p 32.
B. Stiegler, Passer à l'acte, p 19.