1.1 Le rapport semestriel et le quartier des mineurs

Tout commence presque au tout début 2000.

Depuis quelques années déjà, les enseignants en milieu pénitentiaire doivent rendre compte – ce qui est bien – de leur activité deux fois par an : à la fin de chaque semestre, soit en fin d’année scolaire pour le semestre écoulé, de janvier à juin et à Noël pour le deuxième semestre de l’année civile.

Ce rapport semestriel est avant tout quantitatif : nombre de détenus inscrits en cours, de quel niveau, nombre d’inscriptions à des cours par correspondance (CNED ou Auxilia 1 le plus souvent), inscriptions, présence effective et éventuellement réussite aux différents examens préparés au cours de l’année etc. Mais ce rapport invite aussi les enseignants, - en fait le RLE 2 , son principal sinon unique rédacteur – à évoquer les faits marquants du semestre écoulé sous une forme un peu plus narrative.

Et dans le rapport du second semestre 1999, j’eus le malheur d’écrire : "[…]  L’autre fait marquant est la réorganisation de l’enseignement au quartier des mineurs où cinq enseignants différents (trois du premier degré et deux du second) interviennent à hauteur de sept demi-journées. Il me semble que ce fonctionnement demande à être poursuivi et développé en particulier par la mise en place de l’équipe pluridisciplinaire qui pour l’instant n’existe pas vraiment." Ces rapports semestriels sont destinés à la direction de l’administration pénitentiaire qui les collecte via les UPR 3 , après bien sûr que les directeurs d’établissement aient donné leur avis sur le dit rapport, quant à leur appréciation du fonctionnement du service scolaire.

Un exemplaire de ce rapport est aussi envoyé à notre propre hiérarchie, celle de l’éducation nationale, à savoir les inspecteurs dont nous relevons. Il est très rarement arrivé que me soient communiqués les commentaires rédigés par le directeur de la prison quant au rapport que je lui remettais pour qu’il suive son cours administratif. Et pourtant …

Mais quand les choses vont à peu près, sinon bien …

Vers la fin du mois de janvier 2000, mon collègue responsable de l’UPR de Toulouse dont je relève me téléphone et me demande un rien anxieux ce qui se passe à la maison d’arrêt de Nîmes. Voyant que je ne comprends pas, il me parle du commentaire du directeur à propos du fameux rapport semestriel et je subodore alors qu’un petit coup de tonnerre vient d’éclater dans un ciel que jusqu’alors j’estimai serein.

Pour aplanir les difficultés, les problèmes dont je viens de découvrir l’existence mais sans en connaître la nature, nous convenons d’une rencontre entre le directeur de la maison d'arrêt de Nîmes, le responsable de l’UPR et le service scolaire, en la personne des deux enseignants à temps complet.

Au cours de cette réunion, un rien tendue, il m’est reproché, en substance, de plaider pour une réunion d’équipe pluridisciplinaire à propos du quartier des mineurs – direction, travailleurs sociaux, enseignants, médecins – prévue par les textes alors que je ne participe pas à d’autres par exemple celle dite du rapport, réunion à peu près hebdomadaire des chefs de services administratifs, instance au sein de laquelle je n’ai jamais été invité et à laquelle par ailleurs je n’avais jamais demandé à participer.

Afin de calmer le jeu, j’accepte de me rendre désormais au rapport du lundi matin, ce que je fis avec scrupule et régularité tout en me félicitant de ne pas y être allé auparavant car si de toute réunion il y a toujours des informations intéressantes à retirer, je dois avouer que la bonne intégration du service scolaire au sein de la maison d'arrêt pouvait très largement se passer de la présence de son responsable local à ce type de réunions, ce qui fut le cas au moins les dix années précédentes.

Mais était-ce une subite lubie de ma part de demander une réunion d’équipe autour du quartier des mineurs auquel nous devons, dûment chapitrés par nos deux administrations – l’administration pénitentiaire et l’éducation nationale – apporter un soin extrême ?

Notes
1.

CNED : Centre National d’Enseignement à Distance relevant de l’Education Nationale. Les cours sont payants.

Auxilia : association dispensant des cours quasi gratuits, ces cours étant aussi et peut-être surtout le support d’ échanges épistolaires entre un détenu et un enseignant bénévole.

2.

RLE : Responsable local de l’enseignement. Ce sigle inventé en 1995 distingue un des enseignants à temps complet de la prison qui ainsi "reconnu" fait office d’animateur, coordonnateur du service scolaire. Ce RLE n’a aucune fonction hiérarchique. J’ai occupé les fonctions de RLE de 1995 jusqu’à ma destitution de ce "poste" en septembre 2001. Dans nombre de prisons, il n’y a qu’un enseignant à temps complet, qui est d’office RLE. A la maison d’arrêt de Nîmes, nous sommes deux à temps complet et une dizaine de vacataires.

3.

Les UPR (Unités Pédagogiques Régionales) regroupent les enseignants d’une même direction régionale de l’administration pénitentiaire. Il y a dix régions pénitentiaires. Le responsable de l’UPR, qui est un enseignant, anime et coordonne les activités des enseignants travaillant dans les prisons du ressort de la direction régionale à laquelle il est rattaché. Il n’a pas de fonction hiérarchique à proprement parler, les supérieurs hiérarchiques des enseignants en prison étant, comme pour tous les autres les inspecteurs de l’éducation nationale pour ceux du premier degré, les inspecteurs pédagogiques régionaux pour ceux du second.