1.2. Quelques mois auparavant

Après plus d’un an de fermeture, pour des travaux structurels, le quartier des mineurs de la maison d’arrêt de Nîmes rouvre ses portes au printemps 1999. Comme avant sa fermeture, le service scolaire – et d’autres – y retourne mais très vite la nécessité d’organiser le travail, de le rendre plus cohérent, de l’articuler devient impérative pour toutes les parties concernées. Ayant déjà quelques années d’expérience, nanti de mon beau titre de responsable local de l’enseignement, j’accepte un jour, vers la fin de l’année scolaire, de réfléchir à un mode d’organisation qui pourrait devenir effectif à partir de la rentrée suivante. Heureux hasard : il se trouve qu’une "grand messe" est justement prévue à propos de ce "nouveau" quartier des mineurs au cours de la première quinzaine de juillet 1999. Je m’engage donc à mettre sur papier les trois idées auxquelles j’ai déjà réfléchi, ce que j’appellerai le petit projet pour le quartier des mineurs, le PPQM.

J’y développais les deux options suivantes, assorties de conditions, dont l’une essentielle : pour que le quartier des mineurs fonctionne, c’est à dire pour que, autant que faire se peut, le séjour des mineurs en prison ne soit pas une simple mise entre parenthèses d’un moment de leur vie, pour que la prison serve peut-être à quelque chose, pour qu’elle ne soit pas seulement un "diplôme de voyoucrate" que ses résidents tireraient peut-être gloire de l’avoir obtenu, il fallait pouvoir proposer aux mineurs une espèce de règle de vie qui, pour ce qui relevait des activités socio-éducatives – terme générique regroupant les activités scolaires comme les autres – soit fondée sur un large choix et une obligation minimale.

Le large choix : arriver à proposer, toutes "disciplines" confondues, scolaires et autres, le plus grand nombre d’activités possibles, soit au moins une par demi-journée.

L’obligation minimale : demander, exiger des mineurs dont l’immense majorité n’est plus astreint à l’obligation scolaire, ayant plus de seize ans, de participer à un nombre minimal d’activités socio-éducatives, ce nombre étant bien sûr très directement en rapport avec le nombre total d’activités proposées.

La condition essentielle : pour que la communauté des adultes tienne sinon le même discours mais au moins travaille de façon coordonnée, pour que les mineurs incarcérés, très majoritairement déstructurés à de nombreux points de vue puissent, peut-être "bénéficier" de leur séjour intra-muros, il fallait que se constitue la fameuse équipe pluridisciplinaire (surveillants, travailleurs sociaux, soignants, direction, …) dont j’ai déjà parlé. Et en prison comme ailleurs, une équipe se constitue en tant que telle en … faisant des réunions d’équipe.

La grand-messe – magistrats, médecins, travailleurs sociaux, direction, enseignants – entérina le projet que je lui soumis. Je me dois de dire qu’il n’y eut pas vraiment débat entre plusieurs propositions. Mais si l’une, fût-elle la seule, requiert l’assentiment de toutes les parties concernées, au diable l’avarice et peu importe sa paternité.

Mais à chacun ses responsabilités : s’il était en mon "pouvoir" de proposer, je ne pouvais décider. Conformément aux textes officiels co-signés par l’administration pénitentiaire et l’éducation nationale, les quartiers des mineurs doivent être dotés d’un référent qui ne peut être qu'un fonctionnaire pénitentiaire, ce que je n’étais pas. Par ailleurs, un instituteur n’ayant autorité sur personne ne pouvait être l’organisateur, le "convocateur" de ces réunions. Ce pouvoir incombait à l’autorité hiérarchique principalement en charge de ce quartier, la direction de l’établissement.

Six mois plus tard, en décembre 1999, bien qu’il en ait été question entre deux portes, avec l’un, avec l’autre, la première réunion de cette équipe se faisait toujours attendre. Ce qui me parut largement suffisant pour écrire ce que j’écrivis, de façon toutefois très euphémisée. Mais il n’est jamais bien vu de dire que le roi est nu. Le faire savoir, par écrit qui plus est, relève de la plus profonde naïveté. Bref, ayant plaidé comme le préconisent les textes, comme la grand-messe l’avait entériné, pour des réunions d’équipe au quartier des mineurs, je me retrouvai à participer à la réunion quasi hebdomadaire du rapport suite à la commission de conciliation du 3 février que j’ai précédemment évoquée. Toutefois, la première réunion à propos du quartier des mineurs eut lieu le lendemain, le 4 février 2000.

Le responsable actuel de l’unité pédagogique régionale de Toulouse écrivait en conclusion de son mémoire rédigé dans le cadre du CNEFEI 10  : "L’enseignant a sans doute de par son omniprésence et sa relative indépendance un rôle crucial à jouer dans la constitution effective de cette équipe socio-éducative en milieu carcéral." 11 C’était en 1978.

Ces réunions se poursuivirent globalement sur un rythme bimensuel jusqu’à la fin de l’année. En 2000-2001, les choses continuèrent d’aller cahin-caha. Au début de l’année scolaire 2001-2002, la direction de la maison d’arrêt programma trois séances de travail ayant pour but de formuler des propositions concrètes quant au fonctionnement du quartier des mineurs, probablement en tenant compte de son fonctionnement plutôt chaotique jusqu’alors.

La première séance de travail eut lieu le mardi 6 novembre 2001 et réunit la direction, les quatre surveillants affectés à ce quartier, un travailleur social, un chef de service pénitentiaire, un moniteur de sport et l’emploi-jeune rattaché au service des sports, la psychologue en charge du suivi des adultes travaillant dans ce quartier et les deux enseignants à temps complet. La deuxième eut lieu le 4 décembre, mais je n’y participai pas, étant ce jour-là à Suresnes au colloque "officiel" (voir le sous-chapitre 3.1. D’un colloque l’autre).

Une troisième séance, la finale, devant déboucher sur la rédaction d’un "contrat pour le quartier des mineurs" aurait dû se tenir un jour, où, pas de chance, les surveillants de la maison d’arrêt avaient décidé, à propos du conflit sur les 35 heures, de bloquer les portes et donc d’interdire notamment l’entrée des intervenants extérieurs. La réunion ne se tint donc pas ce jour-là non plus que les suivants.

Arrivèrent les vacances de Noël, puis la rentrée de janvier 2002, la troisième réunion autour du quartier des mineurs avait disparu de l’horizon. Il est vrai qu’à ce moment-là, "l’affaire" de la psychologue battait son plein (voir le sous-chapitre 1.4. Le téléphone et la psychologue).

Mais auparavant, le responsable local de l’enseignement que je n’étais plus (voir le sous-chapitre 3.1. D’un colloque l’autre) mon successeur donc, rédigea en décembre 2001 ou en janvier 2002 le rapport semestriel dont j’ai évoqué l’existence précédemment. Il y notait qu’une "équipe pluridisciplinaire a pu se réunir afin de travailler réellement (ce n’est pas moi qui souligne) sur le quartier des mineurs", ce qui lors de la rédaction du dit rapport n’était pas faux. Mais comme on l’a vu précédemment, la troisième réunion relative à ce quartier n’eut jamais lieu, ni la suite qui eût été logique, à savoir le "travail réel" de cette équipe autour du quartier des mineurs.

Le rapport semestriel de juillet 2002 ne souffla mot de cette équipe pluridisciplinaire qui avait disparu corps et biens. Quant au travail réel, il restait toujours à faire … Mais je suis un peu injuste en écrivant cela : en effet, en date du 6 juin 2002, une note de service de la maison d’arrêt invitait un certain nombre de personnels à une "réunion de synthèse" autour du quartier des mineurs, réunion dont l’impréparation radicale fit qu’elle ne se tint pas. Mais elle avait été prévue. Il faut dire qu’elle entra de plein fouet en collision avec une autre réunion, prévue de plus longue date, à l’initiative de la psychologue (une autre) conduisant des séances de régulation avec l’équipe des surveillants du quartier des mineurs. La collision fut si brutale que ni l’une ni l’autre ne se tinrent.

Il faut dire qu’entre le 3 et le 5 juin, selon un article paru le 18 juillet 2002 dans le quotidien régional, Midi Libre, un mineur en avait sauvagement agressé un autre, l’avait violé pour être plus précis.

Faut-il voir entre cette histoire sordide et la surprenante réunion de synthèse une relation de causalité, de concomitance ou de simple coïncidence ?

Notes
10.

Centre National d'Etudes et de Formation pour l'Enfance Inadaptée, sis à Suresnes où se forment notamment les enseignants souhaitant diriger un établissement spécialisé.

11.

C. Jordaney, L'éducateur de l'Education Nationale au sein de l'équipe socio-éducative en milieu carcéral, p 48.