1.4. Le téléphone et la psychologue

Depuis 1992, une psychologue clinicienne travaille à la maison d’arrêt de Nîmes. Elle était salariée de l’administration pénitentiaire mais depuis la réforme des services de soins en milieu pénitentiaire de 1994, elle est salariée de l’administration hospitalière, en clair le centre hospitalo-universitaire (CHU) de Nîmes. Cette réforme a rendu autonomes les services de santé par rapport à l’administration pénitentiaire en les rattachant à l’hôpital le plus proche.

Il lui arrive plus ou moins régulièrement d’accueillir et d’encadrer des étudiants en diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) de psychologie qui ont demandé et obtenu tant de la part de leur université d’origine que du CHU de Nîmes l’autorisation d’effectuer leur stage dans ce lieu particulier qu’est une prison. Le cas se produisit une fois encore au cours du deuxième semestre 2001. Une étudiante a ainsi obtenu cette double autorisation de l’université et du CHU et, comme il se doit, sollicite début décembre 2001, une autorisation d’entrer à la maison d’arrêt, autorisation qui ne peut bien évidemment lui être donnée que par le directeur, pour un stage devant commencer début janvier 2002.

Ne recevant pas de réponse, cette étudiante s’est adressée à sa tutrice professionnelle, la psychologue de la maison d’arrêt pour s’enquérir de la réalité pratique de son stage. Histoire de faire pleurer Margot, cette étudiante, déterminée à embrasser une carrière de psychologue en milieu carcéral, et rien d’autre, venait, après deux refus des autorités compétentes de s’inscrire pour préparer ce diplôme, l’université et/ou le CHU, de passer deux années comme caissière dans un supermarché.

Début janvier 2002, la psychologue, de sa résidence personnelle, elle était en congé, téléphone au directeur de la maison d’arrêt pour résoudre ce qui de son point de vue relève d’un simple retard de transmission de l’information. A part eux, nul ne saura vraiment ce qui s’échangea ce jour-là par l’intermédiaire de l’invention de Graham Bell. Toujours est-il que la psychologue, se vit signifier, après cette conversation téléphonique son … interdiction de rentrer dans la prison et donc d’exercer, ce qui en bon français doit pouvoir s’appeler une interdiction professionnelle. Quant à l’étudiante …Bienvenue au club !

Mais entre celle dont j’avais été frappé et celle qui stigmatisait cette psychologue, "interdiction notifiée par une note de service qui a laissé penser au personnel de la maison d’arrêt que j’étais coupable des pires agissements" 14 , de l’eau était passée sous les ponts, y compris ceux de la prison, pendant une année assez exactement, de décembre 2000 à janvier 2002.

Les travailleurs sociaux, fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, ce que ni les enseignants ni les soignants ne sont, mais qui relèvent depuis la réforme des services d’insertion et de probation de 1998 d’une hiérarchie propre, étaient en conflit ouvert avec la direction de la maison d'arrêt de Nîmes, et ce depuis quelque temps déjà. Au sein du monde pénitentiaire, stricto sensu, ils n’étaient eux mêmes pas tout à fait seuls.

Le 21 décembre 2000, soit quelques jours après la "clôture" de l’affaire des portes fermées, un tract signé de deux syndicats de travailleurs sociaux stipulait en titre : "A la maison d’arrêt de Nîmes, la direction continue d’afficher son mépris pour les personnels d’insertion" et en quasi conclusion : "L’établissement n’est pas un royaume dont les directeurs sont les monarques, et la politique d’insertion n’est pas la cinquième roue de leur carrosse."

Un peu plus d’un an plus tard, alors que la psychologue était interdite d’exercer, un tract cette fois signé des deux syndicats de travailleurs sociaux précités, mais aussi d’un syndicat hospitalier, c’est la moindre des choses, mais aussi et surtout de deux syndicats de surveillants présents à la maison d'arrêt de Nîmes dont celui très largement majoritaire selon les résultats des élections professionnelles de 1999, stipulait notamment : "Depuis des mois, l’intersyndicale des personnels pénitentiaires dénonce le despotisme de la direction de la maison d'arrêt de Nîmes et les pratiques d’un autre âge : mépris, chantage , mensonges, intimidations continuent d’être le mode de management. [ ] Les personnels ont tous eu à subir les excès d’autoritarisme, les colères spectaculaires, le harcèlement du directeur. [ ] Une fois encore le directeur outrepasse ses fonctions pour ne servir que son pouvoir personnel."

La psychologue reprit ses fonctions après une interdiction professionnelle de trois semaines. De là à dire qu’elle avait commis des fautes trois fois plus graves que celles que j’avais commises, moi qui n’avais été interdit qu’une seule semaine ! Mais ce ton badin ne doit pas faire oublier les souffrances qu’un tel climat engendre pour les personnels, en l’occurrence des personnes sincèrement attachées à leur métier, professionnellement irréprochables mais profondément blessées par ce "mode de management". 

Deux précisions néanmoins :

Le service médical s’est scindé en deux, les "pro" et "anti" psychologue, ce qui ne contribua pas vraiment à l’efficience de ce service de soins.

Pour revenir au monde de l’éducation nationale à la maison d’arrêt, le seul à n’avoir pas signé la lettre collective relative à la fermeture des portes est mon collègue à temps complet. Il a par la suite, en septembre 2001 accepté de remplir les fonctions de responsable local de l’enseignement dont je venais d’être démis.

Là est peut-être la "victoire" ultime de ce "mode de management" évoqué plus haut : celle de diviser des personnels qui, avant la "crise", sans être en ligne sur tout et tout le temps travaillaient à peu près de concert et de conserve. C’est aussi, de mon point de vue, ce "mode de management" qui, in fine, par contagion, fit que mon "collègue" à temps complet se crut autorisé à user à mon endroit de pratiques langagières et d’attitudes généralement absentes des relations professionnelles, quand bien même ces dernières ne seraient pas aussi cordiales que l’on pourrait le souhaiter.

Notes
14.

Lettre de la psychologue au directeur des relations humaines du CHU de Nîmes.