1.8. Le bimestre et l’aléatoire

Il n’est pas un syndicat de surveillants de prison qui ne revendique, à juste titre, la dimension sociale, de réinsertion, ou d’insertion de leur mission, un travail dont on peut comprendre aisément qu’il est d’une grande complexité. Cette dimension-là me paraît d’autant plus fondamentale si on réfléchit à la signification que peut avoir pour un homme ou une femme le fait d’en enfermer un ou une autre, indépendamment de ce qui est potentiellement (cas du prévenu) ou de façon avérée (après le jugement) reproché à l’enfermé(e).

Quelle que soit la situation, les surveillants parleront de la nécessité de faire avec, de trouver un modus vivendi permettant de rendre vivable la vie en prison, pour les détenus comme pour celles et ceux qui les gardent.

Il n’est pas un syndicat de surveillants qui ne rajoutera aussi, et avec raison quand c’est avéré, que travailler à la réinsertion avec 100 détenus à son étage …, que s’occuper de tout un chacun quand il y en a trop et que l’on est soi-même en sous effectif, et ceci de façon chronique etc. Tout ceci est frappé du coin du bon sens et devrait ô combien pouvoir être entendu.

Jusqu’à une date récente, fin 2001, les surveillants de la maison d’arrêt de Nîmes fonctionnaient selon la règle dite du bimestre. Cela signifiait que tel surveillant affecté à un étage allait y travailler très régulièrement pendant deux mois avant d’être, pour un autre bimestre, chargé d’une autre tâche.

On peut penser que deux mois peuvent suffire pour, si les conditions matérielles le permettent, tisser des liens avec tel ou tel détenu, apprendre à le connaître, apprivoiser un "sauvage" et rendre effectif ce nécessaire volet social d’une telle fonction.

Pour des raisons que je n’ai pas vraiment comprises, les organisations syndicales représentatives présentes à la Maison d’Arrêt de Nîmes ont demandé et obtenu de la direction que soit mis en place un autre système que j’ai baptisé aléatoire : et c’est ainsi que, quelques jours à l’avance, les surveillants "découvrent" que pour la demi-journée du tant, ils seront affectés qui au mirador, qui au parloir, qui à tel ou tel étage …

Dans ces conditions, évoquer le suivi, la connaissance des détenus afin de remplir au mieux les fonctions qu’assigne la société à la prison témoigne au mieux d’un manque de cohérence, au pire de la réalité d’un pouvoir de décision quant à l’organisation interne qui, en toute logique devrait relever d’un autre échelon administratif, d’une autre autorité hiérarchique.

Dans ce chapitre comme dans le précédent, je ne m’en prends pas aux organisations syndicales de surveillants présentes à la maison d’arrêt de Nîmes. Elles n’ont pas en charge l’intérêt général qui relève d’autres instances, mais celui de leurs mandants. Que cela soit regrettable ou non n’entre pas dans le propos que j’entends tenir ici.