3.1. D’un colloque l’autre

Je suis devenu enseignant il y a une trentaine d’années et ai travaillé en milieu carcéral plus de douze ans. J’avais depuis longtemps l’impression que les enseignants en prison, des instituteurs très majoritairement, mais aussi quelques professeurs du second degré (plus de 350 dont une très grande majorité du premier degré) étaient sinon inconnus, du moins invisibles. Il me semblait que lors des débats de société autour de ce thème s’exprimaient des travailleurs sociaux, des visiteurs de prison, des aumôniers, d’anciens détenus, des médecins, des directeurs, des Génépistes 139 , plus rarement des surveillants sauf lors de conflits sociaux, mais très rarement sinon jamais des instituteurs ou professeurs de l’éducation nationale travaillant en prison.

Préparant un diplôme d’études approfondies (D.E.A.) en Sciences de l’éducation, je lus un certain nombre d’ouvrages relatifs à la prison. Je n’évoquerai que deux de ceux-ci, l’un de Corinne Rostaing La relation carcérale sous-titré Identités et rapports sociaux dans les prisons de femmes et l’autre de Philippe Combessie Prisons des villes et des campagnes sous-titré Etude d’écologie sociale.

Dans la troisième partie du premier ouvrage intitulée La dynamique des relations, Corinne Rostaing consacre un chapitre aux personnels sociaux, appellation sous laquelle elle regroupe les assistants sociaux et éducateurs, les personnels soignants (médecins, infirmiers, psychologues, internes en médecine …) et les instituteurs, professeurs, et autres intervenants auxquels elle assigne la mission de … formation / animation. 64 lignes sont consacrées aux premiers, 75 aux seconds, les instituteurs, professeurs, consultants et autres intervenants étant gratifiés de … 14 lignes, étant entendu que "ces personnes symbolisent l'entrée de la culture et des loisirs en prison." 140 . Il faut reconnaître que quelques lignes plus loin, elle ajoute : les "instituteurs qui travaillent à plein temps en prison" sont crédités d'encadrement d' "activités de loisirs ou [de] formations." 141

Dans son ouvrage, Philippe Combessie consacre douze pages à la maison centrale de Clairvaux dans la troisième partie titrée A chaque milieu sa prison, la sous-partie consacrée à Clairvaux étant elle-même intitulée : A Clairvaux, le pouvoir des surveillants : il y traite des directeurs, des visiteurs de prison, des aumôniers, des religieuses, des médecins, des élus locaux, des Génépistes (pour regretter qu'il n'y en ait pas) mais n'a pas une ligne, pas un mot pour les instituteurs. Et pourtant, selon mes informations, il y en a au moins un à temps complet, et ce depuis le milieu des années 60. Mais Clairvaux est Clairvaux, une maison centrale à la réputation établie, dure, "le paradigme de l'établissement sécuritaire". 142

On pourrait penser qu'il en irait autrement d'un autre établissement pénitentiaire, la maison d'arrêt de Bois d'Arcy dans le département des Yvelines.

Dans les quatorze pages consacrées à cette prison que P. Combessie a titrées : "A Bois d'Arcy, le pouvoir des agents investis de missions "socio-éducatives", on pourrait imaginer que les enseignants vont enfin apparaître et que faisant partie, à l'évidence, des personnels investis de missions socio-éducatives, il va en être question, ils vont entrer en scène et se mettre à exister. Et effectivement, ils ou plutôt elles apparaissent, à deux reprises : une première fois parce que le premier directeur de la maison d'arrêt de Bois d'Arcy est l'époux d'une institutrice qui a mis à contribution ses collègues institutrices elles aussi afin que certains de leurs maris aux positions sociales enviables soient approchés pour devenir visiteurs de prison.

La deuxième apparition tout aussi furtive, advient par le biais de "l'infirmière chef de service", qui, citée par l'auteur déclare : "Je vais voir les enseignants aussi en leur demandant de me signaler si un gamin dort beaucoup, etc. On se passe les informations." 143 Quand même : dans un numéro de Télérama - n° 2619 du 25 au 31 mars 2000 - un dossier de 30 pages (publicité comprise), relatif à cette même prison de Bois d'Arcy met en scène à deux reprises une séquence d'enseignement, l'une de français, l'autre de mathématiques. La présentation de ces deux activités occupe 28 cm/colonne, l'ensemble du dossier s'exposant lui-même sur 680 cm.

J’ai essayé, à travers mes impressions et les deux auteurs cités précédemment, d'étayer l'idée selon laquelle les enseignants travaillant en prison sont … invisibles. Et pourtant, il y en a plus de 300 à temps complet (307,5 postes d'instituteurs, 35,5 postes de professeurs du second degré) 144 et un plus grand nombre encore intervenant à temps partiel en heures supplémentaires.

A la maison d'arrêt de Nîmes, alors qu'il n'y a que deux postes d'enseignants du premier degré à temps complet, il y a dix enseignants qui viennent y effectuer chacun quelques heures par semaine, trois en général, trente en tout (soit sur la base d'un service médian de vingt heures hebdomadaires, l'équivalent d'un temps complet et demi).

J’ai du mal à m’expliquer cette "invisibilité" des enseignants en prison sauf à invoquer une "culture" professionnelle faite de retenue, d'effacement ou, plus gravement, d'une teinture couleur muraille que les enseignants en milieu carcéral auraient fini par adopter, se coulant de façon confortable dans un monde où il est plutôt de bon ton de passer inaperçu.

Une autre explication me paraît plus sérieuse : contrairement à d'autres personnels travaillant en prison comme les médecins, les travailleurs sociaux qui rencontrent tous les détenus, au moins lors de leur arrivée, les enseignants ne travaillent qu'avec ceux qui le veulent bien, la scolarité n'étant bien évidemment pas obligatoire. Qui plus est, participer à des activités scolaires témoigne d'un certain équilibre de la part des détenus, d'une intégration minimale ou à tout le moins d'une "adaptation" plus ou moins réussie à ce monde particulier.

Il en va autrement des médecins, qui, en prison comme ailleurs, sont des professionnels que l'on cherche à rencontrer quand cela va mal, plus ou moins mal, mais plus rarement quand corps et esprit sont disposés à entrer dans un processus de formation. Il en va de même pour les travailleurs sociaux qui, globalement et de façon un peu rapide, ont pour objet de régler les difficultés que rencontrent les détenus dont ils ont la charge, dans les rapports qu'ils doivent néanmoins continuer à entretenir avec leur entourage resté au dehors de la prison.

J’en vois cependant une troisième, moins "angélique". Il se pourrait que les enseignants travaillant en prison aient mauvaise conscience. Non pas de ce qu'ils font, ni de ce qu'ils sont, non pas non plus de l'endroit où ils travaillent mais du rôle, de la fonction, au sens sociologique, qu'à leur corps défendant, l'institution carcérale leur fait jouer, de la situation dans laquelle ils se trouvent de fait "enfermés".

Mon collègue Jean Armand Hourtal a écrit dans sa thèse : "La présence de l'éducateur en milieu carcéral, travaillant à son œuvre éducative et de réinsertion, même empêché dans les paradoxes des différentes contraintes, est une justification éthique de la prison. Peut-être même la seule justification." 145 Je me retrouve dans une telle affirmation, même si je ne suis pas professionnellement parlant éducateur mais instituteur. Quoi qu'il en soit, éducateurs et instituteurs peuvent, dans le cadre carcéral au moins, et d'un point de vue éthique, être assimilés les uns aux autres.

Si tant est qu'une administration puisse éprouver des sentiments, je pense que l' administration pénitentiaire n'est pas mécontente de publier chaque année des statistiques mettant en exergue le nombre de reçus à différents examens - si ce nombre augmente d'une année sur l'autre, c'est encore mieux - le nombre de ceux ayant passé le test de dépistage de l' illettrisme, le nombre de prisonniers ayant été scolarisés … toutes activités dont sont plus ou moins "responsables" les enseignants en milieu carcéral.

Ainsi, ne suis-je pas peu fier d'avoir par exemple, contribué à hauteur de 4 % au nombre de détenus reçus au baccalauréat en 1999 alors que la maison d'arrêt de Nîmes héberge 0,5 % des personnes emprisonnées en France. Et ces deux lauréats n'étaient pas des candidats de "raccroc" ; je veux dire par là de jeunes hommes incarcérés par exemple en avril alors qu'ils étaient scolarisés en terminale. C'étaient deux "vrais" détenus ayant déjà quelques années de prison derrière eux, que l'équipe des enseignants de la maison d'arrêt, aidée par des cours par correspondance, a préparés pendant près de deux ans.

Je conjecture, au titre de cette troisième hypothèse concernant l'invisibilité des enseignants en prison, qu'ils sont conscients du décalage entre réalité et affichage, affichage que par ailleurs ils contribuent à entretenir. Ils savent bien que le fond de leur travail est ailleurs, dans la remise à flots des plus perdus, dans la lutte au quotidien et toujours renouvelée contre l'illettrisme voire l'analphabétisme, contre la misère culturelle … pour ceux qui veulent bien venir en classe ; cette dernière restriction est d'importance.

Mais en fin d'année scolaire, quand il s'agit de rédiger le rapport d'activités ce sont les "chiffres" que l'on demande. Ô cette fascination qu'exercent sur notre société dans son ensemble, les nombres, dont le bon ordonnancement, la correction au centième de pour cent près sont gages de "représentation" correcte et fiable de la réalité, réalité on ne peut plus humaine en ce qui nous concerne, dont il me semble tout à fait illusoire de prétendre en rendre compte à la seule aune des dits nombres. Il en est ainsi.

Je propose en conséquence, cette formulation quant à la présupposée mauvaise conscience des enseignants en prison : l'invisibilité des enseignants en prison et de leur travail est pour partie due à la mauvaise conscience dont ils sont porteurs. Cette mauvaise conscience est imputable au fait que, par leur travail, leur activité propre d'enseignants, ils contribuent de bon ou mauvais gré, à fournir, de façon objective et chiffrée - les fameux nombres - des raisons justifiant pour une part l'existence même de la prison, lieu dont j’ai déjà dit qu'il n' était pas par nature un établissement d'enseignement.

En bon apprenti universitaire, je me suis donc dit que si on ne parle pas des enseignants en prison, s’ils sont aussi "invisibles", une façon de faire connaître leur existence, leurs difficultés et problèmes mais aussi leurs réussites et réalisations est d’organiser un colloque autour du thème de l’enseignement en prison, thème que j'ai abordé dans mon mémoire de D.E.A. 146 Philippe Meirieu, qui a encadré ce mémoire me donne son accord de principe pour participer à une telle aventure à l’horizon de mi novembre 2001. Nous sommes alors en septembre 2000, l’entreprise est jouable.

Fin septembre 2000 a lieu dans l’Aveyron un regroupement des responsables locaux de l’enseignement du ressort de la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse (soit Languedoc Roussillon et Midi Pyrénées) où je retrouve mes collègues des autres établissements pénitentiaires de la région. Je commence de les connaître un peu, les sonde quant à cette idée de colloque et en convaincs quatre ou cinq de s’associer à cette entreprise, eu égard à ce que je peux savoir de leurs centres d’intérêt pédagogique, de leurs pratiques, de ce qu’ils ont mis en place …

Par ailleurs, j’en parle au responsable de l’unité pédagogique régionale qui m’assure de son soutien ainsi qu’au coordinateur national des enseignants en milieu carcéral venu participer à ce rassemblement qui me signifie son intérêt pour un tel colloque.

En outre, j’ai sollicité d’autres personnes : mon frère, maître de conférences en sociologie, spécialiste de cette autre forme d’exclusion qu’est le handicap, un ancien visiteur de prison à la maison centrale de Nîmes, mon collègue responsable local de l’enseignement de la maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelonne (Montpellier) et l’inspecteur de l’éducation nationale en charge de l’AIS (Adaptation et Intégration Scolaire) dans le Gard, ces deux derniers acceptant de s’impliquer un peu plus et de devenir ainsi, avec moi, les chevilles ouvrières du colloque.

Enfin, Nîmes présente la particularité d’avoir depuis une dizaine d’années un centre universitaire installé dans les murs d’une ancienne maison centrale. Une université à la place d’une prison – même le vieil Hugo n’en aurait pas rêvé ! – pour tenir un colloque sur l’enseignement en milieu carcéral, la chose se présentait sous les meilleurs auspices. La suite me prouva que non.

Je rédige un premier texte que je soumets aux deux autres chevilles ouvrières, que j’adresse aux "colloqueurs" pressentis et continue mon bonhomme de chemin, en lisant, en écrivant, en rencontrant des personnes intéressées par la question de la prison, de la peine, du jugement, par ce qui est possible une fois entre les murs …

Peu à peu s’impose à moi l’idée que si les enseignants ont bien sûr leur mot à dire quant au comment enseigner - ils ne sont pas les seuls tout en étant les plus concernés – ils sont loin d’être les seuls quant à la raison d’être de leur travail, tout comme les enseignants de milieux plus "ordinaires" ne sauraient être les seuls à tenir un discours autorisé sur l’Ecole.

C’est ainsi que chemin faisant, les dates se précisent, le contenu aussi, les intervenants itou. Le colloque se tiendra sur trois jours, un jeudi, un vendredi et un samedi, le samedi étant l’unique jour de la semaine où le centre universitaire Vauban sur-occupé en semaine est disponible. De plus il est possible d’investir plusieurs petites salles pour y organiser des ateliers thématiques.

Le vendredi, il aura lieu dans la salle de conférences de la médiathèque de Nîmes, une salle de 200 places au sous-sol du beau bâtiment dessiné par Norman Foster situé au centre ville en face de la Maison Carrée.

Le jeudi, en soirée, Philippe Meirieu a accepté de prononcer une conférence ouverte au public dans un grand amphithéatre (600 places) du centre universitaire à propos de Ethique et pédagogie.

Le colloque est sur les rails : une conférence destinée à un large public en ouverture, un premier jour à connotation plus anthropologique s’achevant sur des interventions se rapprochant du thème central, un deuxième jour comportant une dizaine d’ateliers thématiques au cours de la matinée suivis d’une mise en commun l’après-midi avant la séance de clôture. Rien de révolutionnaire !

Courant mai 2001, les choses se précisent, j’entrevois le terme de la première phase et envoie à chacun des intervenants pressentis le texte ci-dessous, à charge pour eux de me dire s’ils se retrouvent dans la présentation que je donne de la nature de leur communication, avant une "diffusion publicitaire" plus large.

Pédagogie et prison 147

&

L’Ombre du zèbre 148

COLLOQUE : ENSEIGNER EN PRISON : POUR QUOI,  COMMENT ?

8, 9 et 10 novembre 2001 à Nîmes

Après l’avènement de la prison comme sujet de société, après de multiples manifestations médiatiques de son existence (pour mémoire deux émissions télé le même jour, le 26 mars 2001, dont une à une heure de grande écoute sur une grande chaîne publique), après la publication des rapports des commissions parlementaires sur l’état des prisons françaises, avant la discussion et le vote d’une « grande loi pénitentiaire », il nous a semblé pertinent et opportun que les enseignants travaillant en prison (350 à temps complet, des centaines de vacataires) fassent connaître les fondements, le sens, la nature de leur quotidien professionnel dans ces lieux qui ne sont pas, prioritairement, des établissements d’enseignement.

Par ailleurs, au nom de l’hypothèse selon laquelle la marge éclaire l’ensemble de la page du cahier, nous pensons que l’enseignement en milieu « ordinaire » peut tirer quelques bénéfices, quelques réflexions, quelques enseignements de ce que font les instituteurs et professeurs exerçant en milieu pénitentiaire, confrontés à des publics majoritairement de bas niveau, à « durée de vie » très aléatoire, à composition hasardeuse, à motivation à géométrie variable …

De façon symétrique, nous affirmons aussi que sortant pour une fois de nos geôles à la rencontre du vaste monde, nous avons tout à gagner à dialoguer avec ceux de nos collègues et apparentés qui certes en d’autres lieux se collettent avec l’un des trois métiers impossibles selon Freud, les deux autres étant gouverner et soigner.

Nous nous efforcerons de mettre en regard réflexion théorique et pratiques professionnelles, la dialectique de l’une aux autres étant en prison comme ailleurs, peut-être plus qu’ailleurs, d’une vitale nécessité. A titre d’exemple, nous avançons que « le recours à l’éthique [qui] est de mise dans les domaines les plus divers et sous les formes les plus disparates » (Saül Karsz) doit être creusé, approfondi, pensé dans ce cadre particulier qu’est une prison mais aussi s’inscrire dans le plus trivial des quotidiens banals.

Ce colloque se déroulera en trois temps, les jeudi 8, vendredi 9 et samedi 10 novembre 2001.

  • Jeudi 8 novembre (fin d’après midi, heures à préciser)

Philippe Meirieu, professeur en Sciences de l’Education à Lyon II prononcera une conférence « ouverte » sur le thème : Ethique et pédagogie.

  • Vendredi 9 novembre : autour du « pour quoi ? »

Le docteur Hélène Dorlhac de Borne évoquera son expérience d’ancienne Secrétaire d’Etat à la Condition pénitentiaire de 1974 à 1976 et mesurera le chemin parcouru dans le monde carcéral depuis cette époque. Alain Blanc, sociologue à Grenoble II, spécialiste de cette autre forme d’exclusion qu’est le handicap, fera un exposé sur Erving Goffman, père des « institutions totales », concept d’une rare fécondité pour commencer à comprendre la prison.

Cette table ronde du vendredi matin se poursuivra avec Léonore Le Caisne, ethnologue, dont la communication évoquera les différentes identités, les types de figure permettant de tenir, l’impossible et néanmoins nécessaire altérité du détenu et les rôles dans leur aspect identitaire que peuvent jouer les intervenants extérieurs, enseignants compris.

De façon plus ancrée dans la quotidienneté carcérale Claudérique Blanchemain, psychologue à la Maison d’Arrêt de Nîmes livrera ses réflexions issues de sa pratique professionnelle sous l’intitulé : « d’enseigner à transmettre ».

Débat avec la salle

La séance du vendredi après midi commencera par un exposé de Dominique Lhuilier, maître de conférences à Paris VII, spécialiste des questions carcérales qui traitera des différentes façons de « faire sa prison » et de l’ambivalence essentielle, intrinsèque d’un tel lieu, partagé, tiraillé, - écartelé ? – entre ses fonctions de garde et de réinsertion voire d’insertion.

Rémi Canino, de son poste d’observation du C.N.O. (Centre National d’Observation) où il est psychologue parlera du travail et de la formation en prison, y compris de l’enseignement donc et de leur pertinence pour la trajectoire, le cheminement des détenus.

Alain Hirt, inspecteur de l’Education Nationale en charge de l’AIS (Adaptation et Intégration Scolaire) dans le Gard présentera les raisons d’ordre éthique, politique, social expliquant et justifiant la présence d’enseignants relevant de l’Education Nationale en prison.

Jean Pierre Laurent, coordinateur national des enseignants en milieu pénitentiaire fera le lien avec la journée du samedi consacrée au « comment » en décrivant le « paysage » de l’Education Nationale en prison.

Débat avec la salle

  • Samedi, autour du « comment »

Le samedi matin, une douzaine d’ateliers thématiques seront organisés (entre parenthèses les noms de leurs animateurs, liste non définitive bien sûr) : 149

  • L’enseignement auprès des mineurs ; (S. Jaquey, instituteur M.A. Chambéry)
  • Philosopher en prison. (G. Boisson, P.Ginot, M.A. de Montpellier)
  • Organisation des services scolaires et leur intégration dans le monde carcéral. (C. Jordaney, responsable de l’UPR de Toulouse et J.P. Laurent)
  • De la nécessité, de la pertinence des groupes de parole. (F. de Montalti, psychologue à la M.A. de Montpellier)
  • Référentiels, formation professionnelle et permis de conduire mais sans raton laveur. (D. Depond, instituteur à la M.A. de Tarbes et J.F. Cariveninstituteur au C.D. de Saint Sulpice)
  • La lecture en prison, l’arrivée des bibliothèques de ville. (M.F. Bernard, conseillère d’insertion et de probation à la M.A. de Nîmes)
  • La préparation à la sortie. (I. Smarz, formatrice AFIG, M.A. de Nîmes)
  • Un journal en prison. (T. Chavard, instituteur à la M.A. de Montpellier)
  • Action culturelle et enseignement. (A. Escudié, instituteur à la M.A. de Montauban)
  • Les luttes contre l’exclusion : retrouve-t-on dedans ce qui se fait dehors ? (N. Lété, directrice du SPIP du Gard et ?)
  • Fort Vauban ; une université dans une ancienne maison centrale. (M. Ranquet, ancien visiteur de prison à Nîmes)
  • De l'intérêt des activités d’enseignement au sens large pour la gestion d’une détention (S. Moutot, directrice adjointe de la M.A. de Montpellier)
  • Les perspectives d’action. (R. Canino)

Durant cette matinée du samedi, les participants au colloque auront la possibilité de collaborer aux travaux de deux des ateliers précédemment cités.

……………………

Samedi après midi : en début de séance, chacun des ateliers disposera de quelques minutes pour présenter une synthèse de ses travaux.

De façon un peu plus développée, R. Canino présentera les perspectives d’action élaborées au cours de l’atelier qu’il aura animé le matin en y intégrant les éventuelles propositions émanant des autres groupes de travail, puis N. Pessé, chef du service scolarité à l’université Lille II en charge des étudiants « empêchés » témoignera de la pertinence de la conjugaison d’un professionnalisme pointu et d’enthousiasme militant.

Débat avec la salle. Clôture du colloque : M. ou Mme X (contacts en cours)

Deux « Persans », P. Meirieu et A. Blanc, auront la charge, tout au long de ces deux journées de faire part de leurs réactions de … « Persans ».

Ce courrier donne lieu à quelques échanges avec les uns et les autres, pour préciser tel ou tel point, et en particulier avec le coordinateur national des enseignants en milieu pénitentiaire qui me fait part de quelques réserves mais confirme, ce dont nous avions déjà parlé auparavant, que l’administration pénitentiaire est disposée à financer une telle entreprise à hauteur de 6000 €.

L’aspect "scientifique" du colloque étant à peu près calé, deux ou trois intervenants supplémentaires étant néanmoins nécessaires 150 , je me mis en devoir de résoudre les problèmes matériels inhérents à une telle organisation : réservation de salles et amphithéâtres au centre universitaire Vauban, réservation de la salle de conférences de Carré d’art avec recherche de gardiennage pour une heure d’ouverture plus matinale que prévue ordinairement, prise d’options pour des chambres d’hôtel devant accueillir les intervenants, de places dans plusieurs restaurants de la ville avec qui je négocie les menus, le "timing" des repas, en particulier pour ceux de midi …

Mais un doute devait m’habiter, je n’avance pas un franc au titre des options que j’ai posées dans différents lieux. Début juillet, étant encore au travail, je me décide, histoire de partir en vacances l’esprit tranquille, à demander un écrit à propos du financement que l’administration pénitentiaire, par la voix du coordinateur, m’a promis. Ce financement est le plus important et conditionne les autres. Je l’appelle, et là ô surprise, je l’entends me dire qu’il ne faut plus compter sur les 6000 €, ni sur la participation défrayée de mes collègues enseignants en France en milieu carcéral qui représentaient quand même le "cœur de cible" de cette entreprise. Pour un coup de bambou …

Une réunion des chevilles ouvrières était prévue peu après, et nous convînmes qu’après un tel revirement qui engageait autant l’administration pénitentiaire que l’éducation nationale, il n’était pas possible de persévérer. Nous nous dîmes, pour sauver la face, mais sans que personne y croie que c’était partie remise, et que plus tard, peut-être, probablement, etc.

Car nous avions appris qu’un colloque, officiel celui-là, devait se tenir sur le même thème les 17 et 18 octobre 2001. Je ne suis certes pas au courant de tout bien sûr, mais je n’en avais jamais entendu parler. Il avait bien été question que se tienne quelque chose autour de l’illettrisme en milieu carcéral, une journée, de formation, d’information, des rencontres mais rien de particulièrement précis.

Je reçus quelques jours plus tard un courrier daté du 4 juillet 2001 me signifiant l’impossibilité de financer le colloque de Nîmes "bien que les thèmes retenus par vous et les intervenants pressentis présentent un intérêt certain" dans la mesure où "il ne paraît pas opportun de soutenir les deux projets de colloque la même année."

Je laissai passer l’été, qui ne fut pas de trop pour me remettre de cette claque, mais non totalement dupe de ce qui venait de se passer, je répondis le 3 septembre 2001 à la lettre de l'administration pénitentiaire qui m’avait annoncé la tenue de ce colloque officiel.

En voici la teneur :

‘"J’ai bien reçu votre courrier du 4 juillet 2001 et vous en remercie.’ ‘Cela fait maintenant 11 ans que je suis instituteur en prison et, jusqu’à une date récente, n’avais jamais entendu parler de … colloque sur l’enseignement en prison.
Je me réjouis que "la direction de l’enseignement scolaire et la direction de l’administration pénitentiaire [organisent] sur ce même thème un colloque officiel les 17 et 18 octobre 2001 au centre national de Suresnes, le CNEFEI ".
Il est vrai que je n’ai commencé à parler de "celui de Nîmes" qu’en septembre 2000 et comprends tout à fait qu’il ne paraisse "pas opportun de soutenir les deux projets de colloque la même année", la programmation du colloque officiel étant très probablement largement antérieure.
Je vous remercie de noter que "les thèmes retenus [ ] et les intervenants pressentis [pour le colloque de Nîmes] présentent un intérêt certain" et espère sincèrement qu’une autre année, en 2002 par exemple, la direction de l’enseignement scolaire et la direction de l’enseignement pénitentiaire soutiendront une initiative certes non officielle mais qui avait reçu un accueil très favorable de la part de personnels des administrations concernées bien sûr, mais aussi largement au-delà.
Continuant malgré tout à m’intéresser à mon travail et aux différents types de réflexion qu’il peut susciter, je vous serai reconnaissant, dans la mesure du possible, de me tenir informé des travaux préparatoires au colloque de Suresnes, lesquels, eu égard à la proximité des dates retenues, doivent être très avancés.
Je vous prie de croire …" ’

Ce colloque officiel eut lieu les … 3 et 4 décembre 2001, se vit transformé, au gré des courriers en journées d’études, de regroupement… pourquoi pas ?, dont le programme, le contenu, fut envoyé à certains des participants le … 28 novembre 2001. Il était temps ! Et c’est ainsi que début décembre se retrouvèrent à Suresnes une bonne centaine de participants, tous "filtrés" par le canal de l’administration pénitentiaire, les cadres de celle-ci, les responsables d’unité pédagogique régionale notamment, étant tous mobilisés. Entre soi, c’est plus sûr !

Deux réflexions et un constat :

  • un collègue que j’avais sollicité, sans le connaître, mais j’avais lu certains de ses écrits, me fit cette réflexion quand, début juillet, je l’avertis, comme tous les autres de la "suspension" du colloque de Nîmes : "Quand la base travaille, et qu’en plus elle entend le faire savoir …" ;
  • le directeur régional des services pénitentiaire de Toulouse, que j’avais comme il se doit, sollicité pour une communication me répondit que "L’administration Centrale [ ] souhaite plutôt privilégier [ ] des échanges organisés par les administrations concernées." Voilà qui a le privilège de la franchise ! J’aurais aimé en être informé quelques mois plus tôt ! ;
  • dans un courrier du 6 septembre 2001, que je découvris en allant consulter mon dossier administratif, l’administration pénitentiaire en sa version régionale demandait que je sois remplacé en tant que responsable local de l’enseignement à Nîmes. Coïncidence ? Corrélation ? Causalité ? Je le fus à la date du 14 septembre 2001. Qui soutiendra encore que les administrations sont longues à se décider ?

C’est le coordonnateur de l’enseignement en milieu carcéral qui disait : "Il est par ailleurs nécessaire de beaucoup convaincre et d’assurer une politique de communication : on ne sait pas ce que font les enseignants dans le carcéral …" 151

Un ami, lecteur-témoin attentif me fit la remarque qu'il était d'une grande naïveté de penser et de croire qu'une initiative comme celle du colloque saurait venir de la base, encore moins sa mise en œuvre effective. Il ajoutait : …"surtout il va de soi [ ] que jamais un subordonné ne peut être à l'origine d'une belle opération ou auteur d'une bonne idée. L'échec de ton projet est lié au principe en vigueur que la qualité intellectuelle et l'intérêt des initiatives qui en découlent sont consubstantielles du niveau hiérarchique." 152 Il a probablement raison. Je n'arrive toutefois pas à me convaincre que la "naïveté" est un vilain défaut.

Notes
139.

Etudiants du GENEPI (Groupement Etudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) intervenant bénévolement en prison pendant le temps de leurs études. Le GENEPI est un partenaire officiel de l’administration pénitentiaire.

140.

C. Rostaing, La relation carcérale p 189.

141.

ibid, p 189.

142.

P. Combessie, Prisons des villes et des campagnes p 219.

143.

ibid p175.

144.

Source : administration pénitentiaire, février 2000

145.

J.A. Hourtal, La volonté incarcérée, p 207.

146.

Enseigner en prison : pour quoi, comment ?, soutenu en 2000.

147.

Association sise à Montpellier.

148.

Journal de la Maison d’Arrêt de Nîmes édité par l’Association pour le Soutien et le Développement des Activités Socio-éducatives et Sportives.

149.

Il me faut préciser ici que je n’ai pas "inventé" ces différents ateliers, tout seul, dans mon coin. Bien sûr, là comme ailleurs, l’occasion fait le larron. Après plus de dix ans de travail en prison, j’avais rencontré, directement ou par lectures interposées, un certain nombre de personnes que, atomes crochus ou connivence intellectuelle aidant, j’avais sollicitées. Mais aussi et surtout, je m’étais livré à une analyse de contenus, certes assez sommaire, des deux "revues" publiées par des enseignants en milieu carcéral, Le Bulletin de l’enseignement en milieu pénitentiaire (réalisé à l’initiative du coordonnateur national de l’enseignement en milieu carcéral, 6 numéros parus à l’époque, pas un autre depuis) et Identités, publié par les enseignants relevant de la direction régionale des services pénitentiaires de Paris (4 numéros parus à cette date, 2 depuis). C’est en "mesurant" les occurrences de différents thèmes traités dans ces publications que je les hiérarchisai et essayai, dans la mesure du possible, de les intégrer dans la programmation générale du colloque. (note ajoutée en 2003)

150.

MM Gilles Sainati, vice-président du syndicat de la magistrature et Jacques Floch, député de Loire Atlantique, à l’époque Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants, que j’avais sollicité en tant que rapporteur de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les prisons, m’avaient fait part de leur intention de participer à ce colloque.

151.

C. Montémont, Place et rôle des enseignants dans la lutte contre l’illettrisme en milieu carcéral, p 46.

152.

Lettre dans laquelle cet ami me faisait part de ses réflexions et commentaires à propos d'une mouture antérieure de ce texte.