3.2.2. Treize reste raide

Quand j’étais petit, je jouais aux boules, à la pétanque. A l’époque, nous jouions en 15, voire en 21 (il fallait arriver à marquer 15 ou 21 points pour avoir gagné) beaucoup plus rarement en 13.

Et quand l’une des équipes arrivait à 13, il y avait toujours quelqu’un de l’autre pour dire, plus ou moins sentencieusement "13 reste raide", ce qui signifiait qu’il avait l’espoir que l’équipe adverse arrivée à 13 allait y rester scotchée et que la sienne allait donc gagner, ralliant la première 15 ou 21.

L’Ombre du zèbre a failli ne pas arriver à treize et donc ne pas prendre le risque de rester raide. Mais il n’a que failli, nous en sommes donc au treizième numéro qui je l’espère sera suivi de bien d’autres.

Mais il y a eu un grand trou, une absence de bientôt deux ans puisque le numéro 12 date de juillet 99, je dois donc une explication.

Dans ce numéro 12, dont j’avais écrit qu’il était au delà de nos forces, et qui a été "fabriqué" à la va-vite, j’ai inséré, pour faire seize (pages, là on n’est plus aux boules) un texte que j’avais depuis longtemps au "frigo", un an, un an et demi peut-être et que j’avais oublié. Et de ce texte, j’en ai fait une lecture ou une relecture très rapide, trop rapide. Et ce numéro douze part vivre sa vie au soleil, nous étions alors en juillet.

Tout début septembre 99, à la rentrée, j’apprends que Le Zèbre est suspendu pour six mois. La cause en est un texte que certains surveillants ont jugé diffamatoire. La sanction est tombée, moi aussi, des nues. Je me rue sur un exemplaire restant, fonds sur l’article incriminé et m’aperçois, qu’effectivement, il y a un texte qui peut être légitimement lu comme attentatoire à la dignité des surveillants.

J’ai fait, ironie du sort , une erreur voire une faute de lecture comme il m’arrive de temps en temps de le faire remarquer à tel ou tel de mes élèves. Or je travaille dans cette prison depuis 10 ans et pense entretenir avec l’ensemble des surveillants des relations correctes, cordiales avec certains, plus distantes avec d’autres mais c’est le lot de tout un chacun vivant, travaillant avec plusieurs dizaines de personnes.

Je suis en conséquence allé rencontrer ces surveillants, un à un, et leur ai tenu à peu près ce discours : "Si vous faites partie des surveillants qui se sont sentis diffamés par l’un des articles parus dans Le Zèbre de juillet, je vous demande d’accepter mes excuses car telle n’était absolument pas mon intention." Et c’est ainsi que pendant trois semaines environ, j’ai rencontré bon nombre d’entre eux, d’entre elles.

Il y en a très probablement auprès de qui je n’ai pas effectué cette démarche, d’autres qui, quand je m’approchais d’eux me disaient : "Vous me l’avez déjà dit."Avant de me mettre à radoter j’ai cessé de chercher à dire ce que je n’avais pas dit à ceux à qui je ne l’avais pas encore dit.

Je profite de ce nouveau numéro pour le dire par écrit cette fois, à celles et ceux que j’ai loupé(e)s. Je m’efforcerai de ne plus commettre de telles erreurs de lecture. Un instit ne sachant pas lire, c’est quand même limite, limite !

D’autre part, le Gard – ainsi que d’autres départements – a vu se développer au cours du deuxième trimestre 1999-2000 un mouvement revendicatif à propos des postes d’enseignants. La grève a duré 5 semaines. Je m’y suis associé. Pas de Zèbre donc. Par la suite, quelques vacances, un certain manque d’énergie disponible m’ont fait remettre à un peu plus tard ce que j’aurais pu faire le jour même.

Par la suite, en avril – mai, je proposai un numéro qui resta à l’état virtuel. Nous tâchons donc de renouer un vieux lien avec nos lecteurs en espérant que nous tiendrons mieux et plus régulièrement un rythme bi ou trimestriel.

Toujours à propos de ce journal, mais sur un autre registre. Il m’a été dit à plusieurs reprises par des personnes travaillant à la maison d’arrêt que la tonalité des articles n’était pas franchement rose, voire carrément grise et qu’ils ne rendaient pas compte de la vie qui va, qui passe, en prison comme ailleurs. Et il est vrai que même en prison, au quotidien, en classe par exemple mais aussi ailleurs je suppose, s’échangent des sourires, voire des rires, existent des moments de gaieté – je n’oserai dire bonheur – comme dans toute collectivité, aussi dures soient les conditions d’existence.

Et il me semble fondé de trouver que Le Zèbre ne rend pas compte de cela. J’entrevois deux explications, une courte, une un peu plus longue.

D’abord, les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit-on, et les prisonniers en ont une.

Ensuite et probablement surtout, c’est que la vie qui va, qui passe, se vit, se passe au quotidien, dans l’instant, dans l’instantanéité du temps qui file comme ailleurs, peut-être plus lentement qu’ailleurs. Et que dans ce présent, dans cet instant peuvent prévaloir des sentiments, des impressions, des manifestations indépendants, un peu, du lieu où ils se situent.

Mais Le Zèbre ne recueille pas ces instants, n’en a pas la vocation et surtout ne le peut pas.

Ce que Le Zèbre recueille, ce sont des textes, des écrits, traces d’un travail de type réflexif, se retournant sur soi, s’installant dans la durée – le temps d’écrire le texte en question au moins, mais aussi de le préparer dans sa tête – de le retravailler éventuellement – et ce type de travail réflexif de mise à distance, d’écart par rapport à soi ne peut pas ne pas porter la trace, la marque de cette institution qu’est la prison.

Et sauf à être gravement daltonien, la prison à y réfléchir ne serait-ce qu’un peu, ce à quoi oblige nécessairement par lui même l’acte d’écrire, au-delà de la réflexion qui a engendré l’article, n’est pas rose. Si c’était le contraire, ça se saurait.

Néanmoins, dans ce numéro, comme dans les suivants, à notre mesure, avec nos moyens limités, nous essaierons de rendre compte, autant que faire se peut, d’activités qui se tenant en prison, contribuent à la rendre moins grise, moins inacceptable.

Enfin, avec une bonne année de retard, L’Ombre du zèbre se doit de publier les résultats obtenus aux différents examens des années scolaires 1998-1999, 1999-2000 et 2000-2001. (Au fur et à mesure que le journal n’était pas autorisé à paraître, les résultats s’accumulaient.)

  • 28 ont passé le CFG (Certificat de Formation Générale, remplaçant feu le Certificat d’études primaires), 24 l’ont réussi ;
  • 10 ont passé le Diplôme National du Brevet, 7 l’ont réussi ;
  • 1 a passé un CAP par unités capitalisables et y a partiellement réussi ;
  • 5 ont passé un Bac, 3 l’ont réussi ;
  • 1 a passé le DAEU (Diplôme d’accès aux études universitaires) et y a partiellement réussi ;
  • 1 a été reçu avec mention à sa première année de DEUG.

Bonne rentrée. Le Zèbre essaiera de renouer avec une parution plus régulière à partir de cette année.

JM Blanc

Fin de l’éditorial

Me lançant dans la réalisation de ce journal, je savais que je m’engageais sur une ligne de crête dangereuse. Je n’ai pas été déçu. Par delà ma personne, l’histoire de ce journal me paraît emblématique de l’entre-deux ou de la schizophrénie dans laquelle se trouve l'administration pénitentiaire, la maison d’arrêt de Nîmes n’en étant qu’une illustration caricaturale (eu égard aux questions de personnes dont il est à craindre qu’elles soient déjà cristallisées sinon fossilisées).

Si l’administration remplit très correctement sa mission de garde, c’est un lieu commun de dire qu’il en va autrement de sa mission de réinsertion sociale. J’aurai plus loin l’occasion de traiter plus amplement cette question.

Il me semble qu’il y a une contradiction maximale entre l’injonction renvoyant à la garde – File doux et tais-toi – et l’injonction symétrique, mais prononcée à voix basse, bien qu'elle soit omniprésente et d’autant plus omniprésente que sa réalité est ténue quand il s'agit de s’adresser au monde extérieur : prépare toi à te réinsérer dans la société, société de citoyens, libres, responsables …

C’est dans cet espace entre deux injonctions paradoxales que L’Ombre du zèbre a essayé de s’insérer. Au-delà de mes options pédagogiques relatives à l’écrit, si le droit d’expression est consubstantiel à l’état de citoyen et si le but ultime de la prison était vraiment de préparer la réinsertion des prisonniers qui sauf exception exceptionnelle sortiront un jour, tous, alors il faut rompre avec cette culture du secret, de l’entre-soi et autoriser et encourager toutes formes de médiation entre le dedans et le dehors. Mieux, si l’on peut penser, à juste titre, que les détenus sont en prison pour avoir commis des actes délictueux, qu’ils ont essayé de "résoudre" par eux-mêmes les problèmes qui étaient les leurs, alors il me semble de bonne pédagogie – je n’oserai pas dire de bonne politique – de travailler à les convaincre qu’une action collective, pacifique, dont les formes resteraient à inventer, est possible et pas toujours vaine. Dans son rapport paru en juillet 2000, la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale préconise bien qu'en matière de travail pénal, il faut "aller vers une application du droit du travail en prison" 173 .

Dans le même rapport, il est fait mention des "comités de détenus" au Canada. Dans ce pays, "la loi sur le système correctionnel précise, dans son article 73, que "les détenus doivent avoir, à l’intérieur du pénitencier, la possibilité de s’associer ou de participer à des réunions pacifiques." L’article 74 de cette loi indique également que le service correctionnel "doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité." En application de ces dispositions, il existe des comités de détenus dans tous les établissements qui sont invités à donner leur avis sur les questions touchant à la détention telles que l’emploi, les rémunérations, la politique antitabac, etc. Ils servent de lien entre la direction et la population carcérale." 174

Je tente une analyse de la chute de L’Ombre du zèbre dans la partie suivante.

Notes
173.

Rapport de la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale, La France face à ses prisons, p 287.

174.

ibid p 144.