5.1.3. Les ajouts proprement dits

Comme je l'ai écrit précédemment, les ajouts de la convention de 2002 concernent essentiellement les unités locales d'enseignement, les services scolaires des prisons, qui n'existaient pas en tant que telles en 1995.

L'article 8 : "l'unité locale et le responsable local de l'enseignement " (25 lignes), l'article 10 : "la commission annuelle des unités locales d'enseignement" (19 lignes) y sont comme leurs intitulés l'indiquent exclusivement consacrés. L'article 9 "services pénitentiaires et service d'enseignement" (18 lignes) traite lui des rapports que ces services doivent entretenir afin de fonctionner au mieux. J'y reviendrai.

L'article 2 de la convention de 1995 se terminait par un paragraphe de 2 lignes relatif aux "dimensions de l'enseignement en milieu pénitentiaire". Sous cet intitulé, l'article 2 de la convention de 2002, développe ces dimensions sur 20 lignes, de fort bon aloi, puisqu'il expose de façon beaucoup plus détaillée ce que l'on peut attendre de l'enseignement en prison, s'inscrivant "dans la mission essentielle du service public d'éducation" : discrimination positive, parcours de formation, savoirs fondamentaux mais aussi responsabilité et citoyenneté, éducation permanente, formation tout au long de la vie, validation des acquis …

L'article 7 de la convention de 2002, sous le titre "convention et commission de suivi régionales" reprend en grande partie l'article 5 de celle de 1995, mais trois paragraphes (11 lignes) y ont été ajoutés. L'un d'entre eux concerne la nécessaire information de l'ensemble des unités locales d'enseignement du bilan annuel de l'unité pédagogique régionale. Cela peut sembler la moindre des choses ! Et la manifestation d'une certaine forme de transparence ne saurait être négligée ! Les autres traitent tous les deux des conventions régionales, inconnues dans la convention de 1995 et définissent "les moyens et conditions de mise en œuvre régionale des orientations fixées par les deux ministères". Parmi ces moyens, "un enseignant peut être affecté au siège de la DRSP [Direction Régionale des Services Pénitentiaires] auprès du responsable de l'U.P.R. pour soutenir l'animation pédagogique régionale. Cet enseignant expérimenté est nommé sur proposition du Recteur du siège de l'U.P.R. avec l'accord du Directeur régional des services pénitentiaires et après consultation du responsable de l'U.P.R. et des commissions administratives paritaires compétentes. Les conditions d'exercice de cette fonction sont définies dans le cadre des conventions régionales."

Par delà le flou et l'arbitraire d'une telle nomination, on peut s'interroger sur les "conditions d'exercice de cette fonction [ ] définies dans le cadre des conventions régionales" qui offrent la possibilité aux acteurs locaux, régionaux de s'affranchir d'un cadre de référence national auquel il me semble au contraire impératif de se rattacher. Par ailleurs, comme le remarquait un syndicat lors des consultations préalables à la publication de cette convention, ce type de nomination contribue à alourdir la superstructure sans augmenter pour autant les moyens d'enseignement. Enfin, s'il est nécessaire qu'un enseignant soutienne "l'animation pédagogique régionale", quelles vont être les prérogatives du directeur de l'unité pédagogique régionale qui "établit et met en œuvre le projet pédagogique de l'unité régionale" ? Il y a là aussi, me semble-t-il, un glissement des fonctions du responsable de l'U.P.R. dans une direction d'intégration toujours plus poussée au sein de l'administration pénitentiaire, dans laquelle il siège et travaille au quotidien., Il me fait avancer encore une fois que si la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu pénitentiaire y trouve son compte, il n'en va pas de même de la nécessaire distance qui doit être instaurée, restaurée entre l'éducatif et le coercitif, le premier s'accommodant mal du second, quand bien même, hors de toute naïveté par trop criante, il ne saurait être question de revendiquer une indépendance totale et absolue de l'enseignement par rapport au cadre général dans lequel il s'insère.

Il reste les articles 8, 9 et 10, totalement nouveaux, définissant le rôle et la fonction de l'unité locale d'enseignement et du responsable local de l'enseignement (article 8), installant la "commission annuelle des unités locales d'enseignement (article 10) et traçant le cadre général des rapports que doivent entretenir le monde pénitentiaire et celui de l'enseignement (article 9).

Ce dernier qui commence en affirmant que "Les services pénitentiaires doivent prendre en compte les actions de formation assurées par l'Education nationale afin de garantir leur cohérence et leur complémentarité avec les autres activités." ne pose pas de problème majeur, d'autant que par la suite, il stipule que "les modes d'organisation de la détention permettant aux détenus indigents de combiner enseignement et activités rémunérées" doivent être favorisées. Fort bien ! Une anecdote cependant.

Quand je suis arrivé à la maison d'arrêt de Nîmes, en 1990, les détenus travailleurs de l'atelier pénitentiaire, occupés par ce travail de 8 à 11 h le matin et de 14 à 17 h l'après-midi pouvaient fréquenter la classe entre 12 et 14 h deux fois par semaine. C'est ainsi que sur une trentaine de travailleurs, il y en avait plus ou moins régulièrement de cinq à huit qui venaient en classe, parfois moins, rarement plus. C'était un groupe forcément très hétérogène, avec des apprenants ne sachant pas lire d'un côté et d'autres préparant un brevet des collèges, un C.A.P. voire un baccalauréat agricole, pour l'un d'entre eux, en une seule occasion j'en conviens.

Pour des raisons de sécurité, pas de surveillants au rez-de-chaussée où se trouvent les salles de classe, et avec notre accord, il avait été décidé qu'entre le départ de l'équipe des surveillants du matin, en gros 12 h 30 et l'arrivée de celle de l'après-midi, en gros 13 h 30, nous serions enfermés en classe avec nos élèves. Puis, toujours pour des considérations sécuritaires, il fut décidé qu'il n'était plus possible de continuer ainsi et que nous ne pouvions plus travailler au moment de la pause de midi. Par contre, il nous fut proposé de consacrer deux demi-journées aux détenus travailleurs en leur réservant des créneaux supposés leur permettre de s'absenter, pendant les heures ouvrables, de l'atelier pénitentiaire. Pour des raisons probablement multiples, l'expérience fut un échec patent. Quand, dans les plages horaires réservées aux travailleurs, il y en avait un venant de l'atelier, nous étions comblés. Le service scolaire, prenant en compte les impératifs de la prison - il n'en pouvait mais – venait à la lumière de cet exemple de se couper d'une part non négligeable de la population carcérale à laquelle, par essence il lui aurait fallu consacrer le plus d'efforts, les travailleurs de l'atelier étant très souvent parmi les détenus les plus démunis, à tous les sens du mot.

Au nom du souhait de cette cohérence et de cette complémentarité, de l'articulation des activités d'enseignement et d'autres "secteurs d'activités pilotés par l'administration pénitentiaire", il est recommandé que le "bilan des activités pédagogiques et le projet pédagogique de l'année à venir dans chaque établissement soient connus et présentés régulièrement aux différents responsables des services pénitentiaires du site comme aux services départementaux de l'éducation nationale." Fort bien encore !

Mais cet article, qui, au risque de me répéter ne pose pas de problème majeur commence de tracer les contours d'une intégration sans retenue de l'éducation nationale au sein du monde pénitentiaire. Les deux autres enfoncent le clou.

L'article 8 stipule que le responsable local de l'enseignement, élabore, certes "avec son équipe le projet pédagogique local de l'enseignement" mais qu'il doit tenir "compte des orientations générales rappelées par projet de l'U.P.R., des caractéristiques du site pénitentiaire, du projet élaboré par le chef d'établissement ainsi que du projet départemental du service pénitentiaire d'insertion et de probation." Ce responsable local doit aussi veiller à "l'articulation des activités d'enseignement avec les actions pilotées par les services pénitentiaires, notamment sur les champs du travail, de la formation professionnelle et de l'action culturelle." Enfin, "En tant que responsable du service, il participe régulièrement au titre de l'enseignement aux réunions des chefs de service et au dispositif d'insertion : commission locale de formation, commissions pluridisciplinaires …"

Il y a là, manifestement, un souhait très affirmé de constituer les unités locales d'enseignement en un service de la prison comme les autres. Mais dans une institution comme la prison, dont il est superflu de rappeler le caractère coercitif par excellence, je ne suis pas sûr que le service scolaire par essence éducatif' – oserai-je libérateur ? – s'inscrivant radicalement à contre courant du reste de l'institution ait beaucoup à gagner à cette immersion totale dans le monde pénitentiaire, dans son fonctionnement au quotidien, dans ses rouages les plus fins.

Au titre d'une autre anecdote, le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes a commencé de participer aux réunions hebdomadaires dites du "rapport" (réunion des chefs de service administratifs) à partir du début de l'année 2000. Il y avait alors dix ans que je travaillais en prison et je n'avais jamais eu l'impression que cette non participation à ce "rapport" pendant ces dix années avait été préjudiciable à l'efficacité du service scolaire, au contraire. En reprenant la thématique développée dans Refuser de savoir de la partie C'est la moindre des choses, il me semble qu'un service scolaire n'a rien à gagner à connaître tous les arcanes de la prison, tous les enjeux, majeurs ou dérisoires qui s'y heurtent, toutes les injonctions plus ou moins variables et évolutives qui seront énoncées là ou ailleurs, au nom de la sécurité par exemple, etc. Ce qui ne signifie pas qu'il faille se replier dans un splendide isolement ni dans une confortable tour d'ivoire. Mais une fois encore, pour dérouler le parallélisme avec le service de santé, jamais le médecin coordonnateur de l'unité de consultations et de soins ambulatoires (U.C.S.A., l'infirmerie de la prison) n'assista pendant que j'y allais au fameux rapport. Je ne pense pas que ce service s'en soit plus mal porté.

L'article 10 enfin, intitulé : "la commission annuelle des unités locales d'enseignement". Cette commission, qui a vocation à rassembler les chefs d'établissements pénitentiaires, les directeurs des services d'insertion et de probation, les responsables locaux de l'enseignement, l'inspecteur d'académie, l'inspecteur chargé de l'adaptation et de l'intégration scolaires, l'inspecteur de l'orientation, … des acteurs du réseau public d'insertion des jeunes comme la protection judiciaire de la jeunesse (P.J.J.)" se réunit annuellement à l'instigation et sous la co-présidence du responsable d'U.P.R. et du chef du département insertion et probation" certes "sous la responsabilité des recteurs concernés et du directeur régional des services pénitentiaires." Là, "la messe est dite". Avec cette commission réunie "à l'instigation et sous la co-présidence du responsable d'U.P.R. et du chef du département d'insertion et de probation", l'enseignement en milieu carcéral a basculé dans le camp pénitentiaire, s'affranchissant de façon radicale de l'éducation nationale ordinaire.

Sans vouloir forcément terminer cette partie crescendo, la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral trouve ici un terme dont on verra par la suite qu'il n'est pas l'ultime.