5.2.2. Les vrais ajouts de 2002

Le chantier est plus important que celui des disparitions de la circulaire de 1995 ; il concerne 85 lignes (313 – 228) soit un bon quart (27 %) de cette circulaire de 2002. Avant de traiter des "vrais ajouts", significatifs, il me faut rapidement aborder ceux que je qualifie de "faux ajouts" dans la mesure où ils relèvent de la pure nécessité formelle. Ce sont :

Les "faux" ajouts occupant 25 lignes, il reste donc 60 lignes (85 – 25) porteuses de ces "vrais" ajouts. On peut les classer en deux catégories : celle des adjonctions de "longue portée", relevant de la politique de l'enseignement en prison et celle des apports plus terre à terre, plus conjoncturels, plus précis quitte à arriver, dans un souci de précision trop précise et d'exhaustivité trop exhaustive, à pouvoir passer pour inutilement contraignants voire enfermants, ou dit autrement ceux porteurs d'une "vraie" nouveauté et les autres se contentant souvent de reprendre en les amplifiant des thèmes plus succinctement abordés dans la circulaire de 1995. Ces ajouts sont les suivants : (ils sont en italiques)

Il y a donc quatre ajouts de longue portée dont trois, qui se complètent les uns les autres. 267 La référence au niveau V de qualification (C.A.P. et B.E.P.) dans le titre 1, la prise en compte de la réinsertion dans la vie sociale et professionnelle dans le titre 2 tout comme celle de la validation des acquis dans le titre 3.2. témoignent du souhait d'ancrer l'enseignement en prison dans une dimension pratique, pragmatique, qui n'est pas en soi une injure à l'enseignement général, bien au contraire. L'invitation à prendre en compte cette dimension professionnelle de l'enseignement, à destination d'adultes pour lesquels ce type de certification est un horizon envisageable me semble parfaitement bienvenue, même si sa mise en œuvre n'est pas facile.

Bien avant que cela soit stipulé par la circulaire de 2002, le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes avait permis l'inscription de dizaines de candidats aux C.A.P. et B.E.P., comme à d'autres examens bien évidemment. Nombre d'entre eux en avaient réussi les épreuves d'enseignement général et pour quelques uns d'entre eux qui avaient préparé un B.E.P. "bureautique" l'avaient obtenu en totalité, les épreuves professionnelles et techniques ayant été organisées à l'intérieur de la prison. Il n'en allait pas de même pour un candidat au C.A.P. de chauffeur routier … Il est même arrivé qu'après de longues discussions avec le centre de validation du Gard et le centre académique de formation continue (C.A.F.O.C.) de l'académie de Montpellier, des détenus passent des épreuves de C.A.P. par unités capitalisables. Un détenu entama même une démarche pour passer un baccalauréat professionnel par l'intermédiaire de la validation des acquis professionnels (V.A.P.) mais une divergence de vues entre Nîmes et Montpellier quant à la façon de comptabiliser ses années de vie professionnelle ne lui permit pas d'aller au bout de cette entreprise.

Je veux faire un sort particulier à l'adjonction du mot "travail" (dans le sous-chapitre 3.2.1. "Le projet pédagogique") que l'on retrouve parmi les activités socio-éducatives qu'il s'agit d'articuler avec celles d'enseignement. Tout un chacun est convaincu de l'importance du travail comme activité certes rémunératrice mais aussi sociale, porteuse de liens, de reconnaissance, d'inscription dans une collectivité humaine etc. d'aliénation aussi, et cela dans le monde libre comme en prison.

Mais en prison, les conditions sont un peu différentes de celles prévalant à l'extérieur. Je suis persuadé que pour nombres de détenus, apprendre ou réapprendre à avoir des obligations et à les accepter, se lever régulièrement à une heure précise être en contact prolongé avec d'autres personnes avec comme objectif une quelconque production … est la première marche à gravir sur le chemin de quelque insertion ou réinsertion que ce soit. Il en va par ailleurs exactement de même pour nombre des "exclus" de notre société, allocataires du revenu minimum d'insertion (R.M.I.) par exemple, à qui les associations d'insertion ont parfois le plus grand mal à faire admettre les règles communes de la vie courante, ordinaire de notre société. La régularité, l'obligation de se colleter avec la nécessité de vivre des moments en commun avec ses semblables dans le respect des règles de "convenance sociale", par l'intermédiaire du travail notamment est incontestablement un puissant levier de réadaptation. Ce postulat n'épuise bien sûr pas la question de la nature du travail considéré.

Le souci de la conciliation du travail pénitentiaire et des activités d'enseignement n'a pas attendu la parution de la circulaire de 2002 pour être pris en compte par le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes.

J'ai raconté précédemment comment, au quartier des hommes, le service scolaire avait perdu nombre de ses élèves détenus travailleurs quand, pour des raisons de sécurité, il ne fut plus possible de les accueillir pendant le temps de la pause de midi. Je vais maintenant raconter comment une réorganisation du travail pénitentiaire au quartier des femmes, élaborée de façon réfléchie, conduisit néanmoins à un résultat somme toute peu différent de celui obtenu au quartier des hommes.

De toute éternité ou presque, les séances d'enseignement au quartier des femmes avaient lieu l'après-midi. D'abord, parce qu'avant le décloisonnement (voir le sous chapitre 2.1. Du décloisonnement), c'était un enseignant du premier degré venu de l'extérieur qui assurait ces heures supplémentaires, donc forcément un mercredi, et donc le mercredi après-midi. Ce choix de l'après-midi se justifiait par la nécessité de ne pas entrer trop violemment en concurrence avec le travail pénitentiaire qui occupait une grande proportion des détenues d'un quartier comptant usuellement entre 20 et 30 prisonnières, la séance de travail du matin étant considérée comme la plus importante. Et puis, il fallait quand même bien que des moments de la journée soient officiellement disponibles pour que des activités tout à fait réglementaires et officiellement encouragées puissent se tenir.

Pendant des années donc, l'atelier pénitentiaire a été ainsi en concurrence très directe, au moins les après-midi, avec les activités socio-éducatives, dont l'enseignement. Et le travail de l'atelier du quartier des femmes, comme celui du quartier des hommes, est un travail quasi exclusivement de conditionnement. Avec des éléments arrivant en vrac dans des cartons, il s'agit de constituer des ensembles plus ou moins importants à partir des ces éléments qu'il faut ranger d'une certaine façon. A titre d'exemple, les détenus hommes confectionnaient des paquets de trois ou cinq cintres de différentes couleurs à partir de cartons remplis de cintres d'une seule couleur.

Au quartier des femmes, il s'agissait à partir de "pastilles" de différentes couleurs, formes, tailles, senteurs de fabriquer de petits sachets, ceux que l'on trouve pour parfumer les toilettes par exemple, contenant un nombre ou un poids déterminé de ces différentes pastilles. Bref, un travail d'équipe ! Autour d'une grande table, l'une dépliait le sachet, la deuxième pesait ou comptait les pastilles A, la troisième les pastilles B …l'avant dernière nouait les sachets et la dernière les rangeait dans des cartons prévus à cet effet, à charge pour elle d'en disposer 50 si tel était le nombre requis et non 49 ou 51. Et si l'une venait à être absente, le travail d'équipe en était affecté, la production amoindrie, la rémunération baissée et le concessionnaire – l'entrepreneur fournissant le travail – mécontent car ne récupérant pas à la fin de la semaine le nombre de cartons qu'il escomptait.

Il y avait une pression constante pour que les "occupées" (celles qui travaillaient) ne se laissent pas distraire par d'autres activités. C'est ainsi que l'une des détenues qui voulait absolument préparer un B.E.P., et qui l'obtint, me disait qu'il fallait qu'elle se dispute pour faire admettre de ses collègues de travail (le reste de l'équipe), mais aussi de la contremaîtresse, une détenue chargée de l'organisation du travail, des surveillantes cherchant à faire tourner "leur" atelier au mieux, qu'elle voulait bien travailler, elle avait besoin du peu d'argent qu'elle gagnait ainsi, mais qu'elle voulait aussi, ce qui en droit était un dû, aller en classe une ou deux fois par semaine. Et la lutte était sévère, toujours recommencée, avec le risque pour la détenue scolarisée de se voir "déclassée" c'est à dire renvoyée de ce poste de travail, bien sûr sans préavis ni indemnités. Qui plus est, il arrivait fréquemment qu'il y ait plutôt pénurie de travail que pléthore, et donc une liste de "chômeuses" en attente d'un emploi.

Cette situation était des plus inconfortables, pour les détenus concernées mais pour les enseignants aussi. Au milieu des années 90, après en avoir beaucoup parlé avec les uns et les autres, la direction de l'époque instaura la journée continue. Le travail à l'atelier était censé avoir lieu le matin puis, après une courte pause d'une heure, entre midi et 14 h, l'après-midi étant réservé aux autres activités. On pouvait donc penser que la redoutable concurrence entre le travail et l'enseignement était terminée. C'était formellement le cas !

Mais en fait, quand vers 14 h, j'arrivais au quartier des femmes et qu'avant d'entrer en classe, j'allais saluer celles qui étaient au travail dans les deux ateliers existants, il arrivait plus fréquemment que je ne l'avais pensé auparavant que l'une des élèves "potentielles" me dise qu'elles avaient pris du retard, qu'il fallait absolument en finir avec telle ou telle commande avant la fin de la semaine et qu'en conséquence, aujourd'hui, elle ne pourrait pas venir. D'autres fois, alors que le temps était au beau, l'une me disait qu'elle était fatiguée de sa journée de travail et que n'étant pas encore sortie elle avait envie d'aller prendre le soleil, et qu'en conséquence là aussi, elle remettait sa participation à "l'école" à la prochaine séance. Bref, il n'y avait plus de concurrence officielle, mais un état de fait qui, peu ou prou, présentait les mêmes difficultés.

Mais pourquoi ce large détour par l'atelier du quartier des femmes dans un chapitre consacré aux textes régissant l'enseignement en prison ? Pour montrer que l'articulation entre le travail pénitentiaire et les autres activités est plus que difficile. Le délicat équilibre qui règne en prison est tributaire, notamment, de considérations financières - que les détenus puissent "cantiner", dépenser de l'argent intra-muros - et tout ce qui peut contribuer à alimenter cette manne est le bienvenu, une forme de garant de la tranquillité, ou à tout le moins, d'injection d'un peu d'huile dans les rouages carcéraux. C'est un fait et il n'y a pas à s'en offusquer outre mesure sauf si ce souci prévaut sur tous les autres (voir le sous-chapitre 1.6. L'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes et les pastilles rouges) et sauf à considérer les choses d'un point de vue non exclusivement carcéral, peut-être sociétal.

Si du point de vue de l'équilibre interne de la prison, il est de la plus extrême importance que règne le calme que permet entre autres et comme à l'extérieur, la possibilité "offerte" aux détenus de consommer – pour beaucoup de façon ô combien modeste - objectif auquel tout un chacun peut souscrire, d'un point de vue extérieur, sociétal, il me paraît légitime de s'interroger sur cette primauté absolue du travail dont j'ai dit combien il pouvait être un puissant facteur d'insertion mais dont on peut questionner le "gain" qu'il est capable d'offrir aux "sortants" que seront tous, un jour ou l'autre, les détenus. En quoi la société pourra-t-elle s'estimer quitte quand tel détenu analphabète retrouvera le "monde libre" après avoir passé son temps de peine à ensacher des clous ?

Il est vrai que de telles interrogations questionnent certes l'organisation interne de la prison mais aussi et peut-être surtout le sens de la peine que je n'aurai pas la prétention d'aborder ici. Il fut question, lors de l'adoption du RMI à la fin des années 80, de ne pas en exclure les détenus. Puis l'on se ravisa. C'est fort regrettable. Mais c'est une autre histoire !

Ces différents ajouts se déploient bien sur 60 lignes (2 + 10 + 7 + 24 + 17), la précision, à la ligne près, étant toutefois un brin artificielle dans la mesure où, encore une fois, il arrive que d'une circulaire à l'autre, les mêmes contenus puissent être rédigés de manière sensiblement différentes et leur transcription en nombre de lignes varier légèrement de l'une à l'autre. Il y en donc quatre, à propos de l'accueil, de la période détention, de la préparation des diplômes et de la validation des acquis et du niveau local.

Le premier traite de l'accueil. Il concerne essentiellement le dépistage systématique de l'illettrisme alors qu'auparavant, dans la circulaire de 1995, les équipes pédagogiques se donnaient "pour priorité de repérer les détenus illettrés". Par ailleurs, il insiste sur l'aspect intégré de l'enseignement dans le dispositif d'accueil alors qu'en 1995 il s'agissait seulement de "définir avec la direction de l'établissement, les moyens d'informer tous les détenus entrant de l'existence du dispositif d'enseignement de l'établissement et les modalités d'accès à ce service." Bien avant la circulaire de 2002, le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes "voyait" tous les détenus repérés comme illettrés par les travailleurs sociaux lors de leur entretien obligatoire avec ces derniers. Nous avions mis au point une fiche "de rien du tout" que les travailleurs sociaux remplissaient et qu'ils nous communiquaient le cas échéant. C'est muni de ces fiches qu'il m'est arrivé pendant des années d'aller faire passer ce test de dépistage de l'illettrisme à des détenus affectés à l'atelier pénitentiaire dans les quelques jours ayant suivi leur incarcération et qu'en conséquence nous n'avions pas eu le temps de rencontrer en détention. Je rappelais ainsi à quelques uns, physiquement, en leur parlant, qu'un service scolaire existait et qu'ils pouvaient recourir à ses services. Dire que ce fut toujours un immense succès serait déplacé.

Le deuxième est dans le sous chapitre 3.2.3. "La période de détention" et s'avère n'être qu'une simple amplification, un simple développement de la "pédagogie par alternance" qui clôt le même sous-chapitre dans la circulaire de 1995. Cet ajout théorise, de façon un rien convenue, la nécessité d'articuler temps d'enseignement et temps d'activités rémunérées, de pratiquer l'alternance donc entre "une action à caractère professionnel" et l'enseignement général. Soit. Je ne rajouterai rien quant aux "possibilités de choix sur des parcours plus individualisés" grâce à la diversification des activités, dont je pense avoir montré combien, à Nîmes au moins, ce n'était pas si facile. Mais je concède volontiers que la vocation d'un texte comme cette circulaire est de se déployer sur l'horizon du souhaitable sinon du possible, de tracer des perspectives, d'offrir des axes de réflexion, d'action …

Le troisième, le sous-chapitre 3.2.4. "La préparation des diplômes et la validation des acquis", qui n'existe pas en tant que tel dans la circulaire de 1995, est lui aussi une large amplification d'un thème uniquement traité dans "La préparation à la sortie" dans la circulaire de 1995. Je ne m'y attarderai pas beaucoup, notamment parce qu'il s'éloigne très sensiblement du registre pointé ci-dessus, l'horizon du souhaitable et qui me semble-t-il sied à un texte de portée générale, pour s'aventurer dans des détails, des précisions dont la présence continue à me surprendre, et dans la recherche d'une intégration du service d'enseignement au sein de la prison toujours plus poussée. Il y est question du "livret d'attestation des parcours de formation générale" dont l'utilisation "doit être généralisée pour les mineurs scolarisés et les adultes volontaires afin de permettre un suivi adapté et une continuité des études en cas de transfert d'une maison d'arrêt dans un établissement pour peines ou lors de la libération". 268 J'avais eu l'occasion, au cours de réunions d'enseignants en prison de dire combien je m'interrogeais à propos de cette mesure 269 , même si j'entendais le souci de cohérence, de suivi … sur l'espèce de "fil à la patte" plus ou moins stigmatisant, surtout "lors de la libération", et dont l'existence pourrait se justifier néanmoins si, d'une prison à l'autre les structures pédagogiques étaient au minimum ressemblantes, similaires. Je reviendrai sur ce point quand je traiterai, en conclusion des unités pédagogiques régionales.

Par ailleurs, consacrer dix lignes d'un texte à vocation générale, à l'organisation des examens, à la nécessité de se mettre en relation avec le service des examens et concours d'autres académies en cas de transfert de détenus inscrits à ces examens relève de l'enfoncement de portes ouvertes. Bien avant cette circulaire, nous le faisions et j'ai la conviction que mes collègues de la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse faisaient de même. Il m'est arrivé d'organiser avec mon collègue de Montpellier des transmissions de sujets et ensuite de copies d'examens universitaires, un détenu inscrit alors qu'il était à Nîmes ayant été transféré à Montpellier sans que l'université où il était étudiant ait pu prendre acte de ce soudain déménagement. Quant à tenir informée la direction de l'établissement de l'état des inscriptions aux examens, afin de prévenir autant que faire se peut les transferts intempestifs, cela se faisait depuis des lustres à la maison d'arrêt de Nîmes. Il m'est arrivé, à ce propos, de demander et d'obtenir qu'un détenu régulièrement inscrit à un examen, mais qui avait été malencontreusement transféré quelques jours seulement avant les épreuves, revienne à Nîmes pour pouvoir composer. C'était au milieu des années 90 !

C'est ce type de "préconisations précises" qui m'a fait écrire au début de cette partie, que cette circulaire pouvait donner l'impression de vouloir tout dire, tout prévoir et tant qu'à faire dans le bon ordre. C'est une tentation qui est éminemment dangereuse, ne serait ce que dans la mesure où elle témoigne d'une défiance certaine à l'égard des personnels, certes de base, mais qui pour la grande majorité d'entre eux sont quand même capables de téléphoner à l'un de leurs collègues pour l'avertir qu'un candidat à un examen vient d'arriver dans son établissement.

Enfin, il me semble tout à fait pertinent d'encourager la signature "de conventions entre la direction régionale des services pénitentiaires et des établissements publics d'enseignement, des universités ou des organismes de formation pour enrichir les enseignements proposés et présenter des personnes à des validations par unités capitalisables ou par contrôle en cours de formation." C'est très exactement ce que, à mon initiative et bien avant la publication de cette circulaire, le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes mit en place pour les C.A.P. par unités capitalisables (voir ci-dessus) et pour le diplôme d'accès aux études universitaires (D.A.E.U.) avec l'université d'Avignon. C'était en 2000.

Le quatrième, dans le sous chapitre 4.1.3. "Au niveau local", traite, comme son titre l'indique, de l'organisation de l'enseignement au niveau de l'unité locale.

Le premier alinéa clarifie ce que recouvre la notion, pas tout à fait stabilisée, d'unité locale d'enseignement. Je le cite presque in extenso. "Dans chaque site pénitentiaire, l'unité locale d'enseignement intègre l'ensemble des moyens mis à sa disposition par l'éducation nationale (emplois et heures d'enseignement) et par l'administration pénitentiaire. Bien que relevant pour sa gestion du rectorat ou de l'inspection académique, la dotation de l'éducation nationale en emplois et heures supplémentaires est identifiée comme moyen mis à la disposition de l'unité pédagogique régionale." Cette partie que l'on retrouve textuellement dans la convention de 2002 (il y en a d'autres) a appelé pour sa deuxième phrase le commentaire suivant de la part d'un syndicat au moment de l'élaboration de la convention : "Notons la saveur, et l'aspect équilibriste de [cette] phrase" puis : "c'est une "illustration parfaite de la contradiction notée plus haut : de fait ces moyens ne peuvent être gérés que dans le cadre de l'U.L.E., pas au niveau régional." Toujours selon la même source, la contradiction est la suivante : " De surcroît, le fait de rattacher les moyens en personnels (issus rappelons-le de plusieurs rectorats et plusieurs inspections académiques, attribués pour des besoins locaux) aux UPR n'est qu'un artefact ne pouvant masquer la réalité : les UPR n'ont aucune des caractéristiques d'un établissement d'enseignement, les moyens n'y sont pas interchangeables, et les personnels n'ont pas vocation à changer de lieu d'exercice au gré des décisions. Une telle option, purement administrative, ne sert qu'à complexifier la situation et à handicaper l'efficacité fonctionnelle." Je n'ai rien à rajouter.

Le deuxième alinéa, que l'on retrouve lui aussi quasi textuellement dans la convention est ainsi rédigé : "L'un des enseignants titulaires exerçant sur le site pénitentiaire est nommé par l'autorité académique compétente dans la fonction de responsable local de l'enseignement. Cette nomination est effectuée après avis du responsable de l'unité pédagogique régionale et du chef d'établissement pénitentiaire et consultation des commissions administratives paritaires compétentes." Dans la circulaire de 2002, il est rajouté : "A titre personnel, les enseignants ayant bénéficié de conditions différentes de nomination sont maintenus sur leur emplois." (sic) De façon tout à fait étonnante, il n'est rien dit quant à la destitution du poste de RLE, et pourtant le cas s'était produit, et pas uniquement à Nîmes. Mais ne rien prévoir laisse toute la place à l'éventuel arbitraire très pratique quand il s'agit de régler "en famille" un conflit qui ne saurait "décemment" être exposé en place publique !

Le dernier alinéa de cette partie consacrée au niveau local expose la possibilité qu'a l'un des enseignants de "se voir attribuer par le RLE et le responsable de l'UPR, la responsabilité d'actions telles que le rôle de référent de l'enseignement pour un quartier mineur ou le suivi de l'enseignement à distance." Bien avant la publication de cette circulaire, et ce sera la dernière fois que j'écris une telle expression, mon "collègue" était pour le service scolaire de la maison d'arrêt de Nîmes le référent pour le quartier mineur.

Si la thèse de la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral telle que je l'ai ébauchée dans la partie précédente n'a pas avancé de façon remarquable, néanmoins l'intégration toujours plus affirmée de l'enseignement au sein de l'ensemble pénitentiaire, en l'obligeant à intégrer des considérations certes réelles mais qui relèvent d'autres logiques que la sienne, l'invite à se couler dans ce moule général dans lequel prévalent des valeurs qui ne peuvent être celles d'un service d'enseignement. L'exemple du travail me paraît tout à fait éclairant du propos que je viens de tenir. Une circulaire du ministère de la justice du 29 mai 2000 relative au plan d'amélioration des conditions de travail et d'emploi dit PACTE 2 (il y en avait eu un autre auparavant) précisait dans son : Objectif 1 :

‘"Procurer une activité rémunérée à tout détenu qui en fait la demande. L'administration doit être en mesure, d'ici la fin de l'année 2003, d'apporter une réponse adaptée aux demandes d'emploi des détenus, soit en leur proposant une activité en production ou au service général, soit en formation. En conséquence, pour ce faire, les établissements développeront leur offre d'activités rémunérées, selon leurs possibilités, en termes de postes de travail ou d'actions de formation."’

Il n'est pas question dans cet extrait d'enseignement général, mais de formation dont la principale vertu n'est pas de … former mais de procurer des revenus. Il y a là une forme peut-être plus subtile mais probablement plus pernicieuse de ce que faute de mieux, je continuerai à nommer la "pénitentiarisation".

Enfin, pour en terminer presque avec ces textes, je ne cesse de m'interroger sur ce qui semble bien être une répétition. Dans la convention 2002, le deuxième alinéa de l'article 14 précise : "Un fonctionnaire détaché par le ministère de l'éducation nationale auprès de la direction de l'administration pénitentiaire est chargé, au sein du bureau du travail, de l'emploi et de la formation, d'assurer l'articulation entre les deux ministères qui, par une lettre conjointe définissent ses missions."

La circulaire du même jour de la même année stipule dans le deuxième alinéa de l'article 4.1.1. : "Un fonctionnaire détaché par le ministère de l'Education nationale auprès de la direction de l'administration pénitentiaire est chargé d'assurer au sein du bureau du travail, de l'emploi et de la formation, l'articulation entre les deux ministères ; ses missions sont définies par une lettre conjointe des deux administrations."

Je ne doute pas que le poste de ce fonctionnaire soit de la plus haute importance, de même que ses missions. De là à l'écrire deux fois ! Sauf à réactualiser un exercice de style cher à Raymond Queneau ? Mystère !

Notes
267.

Je ferai un cas à part du quatrième, la référence au travail apparu comme faisant partie des activités à articuler au même titre que d'autres plus traditionnellement considérées comme socio-éducatives.

268.

Seule la partie en italiques est nouvelle dans la circulaire de 2002 par rapport à celle de 1995.

269.

mesure par la suite ramenée aux seuls "mineurs et adultes volontaires" (sic).