5.3.2. : les conditions d'exercice de l'enseignement en milieu carcéral

Ce titre 2 dans la version 1 comme dans la version définitive est ainsi subdivisé :

Après une phrase d'introduction inchangée de la version 1 à la version définitive, on entre dans le vif du sujet, à savoir :

La nécessité de scolariser "les détenus qui ont des activités rémunérées" 271 , formulation inchangée de la version 1 à la version définitive, ne pose pas de problème en soi, tant elle "ne mange pas de pain". La suite est plus cocasse.

Cette organisation du service prend en compte la nécessité "de répartir le volume annuel d'heures d'enseignement afin de permettre une permanence accrue des activités d'enseignement pendant les périodes de vacances scolaires. L'organisation du service est modulée en fonction du nombre d'enseignants intervenant sur un site. Elle ne peut être inférieure à 42 semaines. Lorsqu'un site bénéficie de l'équivalent d'au moins trois temps pleins d'enseignement, le service est assuré sur un minimum de 46 semaines, par roulement du service des enseignants. L'objectif est évidemment, lorsque le nombre d'enseignants affectés sur le même site l'autorise, d'accroître l'étalement du service au-delà de 46 semaines. Dans tous les cas de figure, l'organisation annuelle du service d'enseignement tient compte du projet pédagogique de l'établissement. Elle est soumise, pour approbation, au responsable de l'UPR."

Je ne suis pas le mieux placé pour m'insurger contre un allongement de l'année scolaire quand on travaille en milieu carcéral (voir la partie 2.2. Du calendrier scolaire). Je ne reviendrai pas sur les avantages que cela peut procurer, du point de vue des détenus scolarisés bien sûr et d'abord mais aussi du point de vue des enseignants retrouvant une autonomie dans la gestion de leur temps que l'on ne peut espérer trouver en milieu "ordinaire". Mais c'était notre choix, librement imaginé et mis en œuvre. Par ailleurs, en étant deux à temps complet, nous pouvions "ouvrir" le service 41 semaines voire plus dans l'année sans travailler pour autant au-delà des 36 semaines "réglementaires". Nous l'avons néanmoins fait pendant des années à raison d'une heure hebdomadaire de moins mais pendant deux semaines de plus soit 38 x 20 heures au lieu de 36 x 21.

Mais imposer 42 semaines au moins, hors toute discussion, aux nombreux services scolaires où un seul enseignant à temps complet exerçait (une bonne dizaine dans le ressort de la direction régionale de Toulouse) revenait de fait à imposer à cet enseignant une présence de 42 semaines au minimum, c'est à dire, par exemple, de travailler l'année scolaire ordinaire plus la semaine de vacances de Toussaint, une semaine à Noël, les deux semaines des vacances d'hiver ainsi que celles des vacances de printemps. Quant aux 46 semaines voire plus concernant les sites bénéficiant "de l'équivalent de trois temps plein d'enseignement", cela revenait à ne fermer qu'une semaine à Noël et 5 semaines pendant les vacances d'été.

La profession vit rouge, à juste titre, non de mon point de vue quant à l'objectif – bien que 46 semaines ou plus, cela fasse beaucoup – mais quant à la méthode employée, sans aucune concertation préalable, dans une "tradition" me semble-t-il assez étrangère à l'éducation nationale mais qu'a posteriori bien sûr, je ne trouve pas si étrange de la part de l'administration pénitentiaire. Et bien évidemment il était malséant à propos de la première version de cette circulaire de parler de "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral puisque "un enseignement pénitentiaire n'est pas plus souhaitable qu'une santé pénitentiaire".

Dès la version 2, il n'était plus question que d'une "organisation du service [pouvant] être modulée au-delà de 40 semaines en fonction du nombre d'enseignants intervenant sur un site, avec l'accord formel des intéressés." De 42 ou 46, on était passé à 40 semaines annuelles, étant entendu que ce nombre était le minimum en deçà duquel il n'était pas possible de se maintenir.

Dans la troisième version, plus de référence, dans cette partie au moins, à un quelconque nombre de semaines, la rédaction devenant avec cette version 3 celle que l'on retrouvera dans la version définitive. Une remarque toutefois : dans celle-ci, ce sous-titre se termine par : "l'organisation du service d'enseignement [ ] est soumise, pour approbation, au responsable de l'UPR." Où sont passés les supérieurs hiérarchiques "naturels" que sont les inspecteurs de l'éducation nationale ? Dans tous les départements de France, de nombreux enseignants du premier degré exercent dans des structures particulières, aux rythmes hebdomadaires et annuels non ordinaires – les établissements de type institut médico-pédagogique, institut médico-professionnel, institut de rééducation 272 … par exemple – et doivent en conséquence faire parvenir leurs emplois du temps potentiellement particuliers à leur hiérarchie en début d'année scolaire. Il est probable que cette transmission de l'emploi du temps à la hiérarchie de l'éducation nationale, pour ce qui concerne les enseignants en milieu carcéral, soit de la responsabilité du directeur de l'U.P.R., et donc d'une instance relevant du même ministère, de la même administration, et qu'il n'y a rien à redire à la présence de cette "interface" entre l'enseignant de base et l'inspecteur dont il relève. J'entends bien.

Mais je pense néanmoins, que l'avis de ce responsable d'U.P.R., "aspiré" par la hiérarchie pénitentiaire qu'il côtoie à longueur d'année, investi du quasi titre de conseiller technique du recteur, en charge de la réunion des inspecteurs de l'éducation nationale de la région qu'il pilote ne soit prévalant et s'impose à l'inspecteur de circonscription, "tranquillisé" par l'approbation de ce responsable de l'U.P.R., connaissant bien le dossier, la situation concrète et auquel il n'y a pas de raison de ne pas se fier. Bien sûr, mais insidieusement, vient se loger un autre coin de la "pénitentiarisation" élargissant la "fracture" déjà existante entre le monde enseignant œuvrant en milieu "ordinaire" et celui exerçant en milieu carcéral. La serrure a en quelque sorte été fermée d'un tour supplémentaire.

Cette partie, posant moins de problèmes dès la première version n'a pas vraiment évolué. Sur les cinq alinéas initiaux, trois sont reproduits à l'identique dans la version définitive : ce sont les alinéas 1, 2 et 4. L'alinéa 5 ne comporte plus de référence au nombre de détenus composant les groupes ("de 5 à 15 personnes généralement"). Les "heures d'enseignement proprement dit" peuvent ainsi recouvrer une activité en face à face, fût - ce avec un seul élève, par exemple dans le cas d'un détenu étudiant inscrit à des cours par correspondance. Cette évolution se fit de la version 2 à la version 3.

Les modifications mineures de l'alinéa 3 témoignent, de façon tout à fait modérée j'en conviens, du souhait de s'éloigner un peu du terrain pénitentiaire. Il n'est plus question de "s'adapter au flux de la population concernée" mais de s'adapter "aux besoins des détenus et à la durée de leur peine". Le flux est une notion parfaitement administrative, carcérale en l'occurrence ; s'y adapter suppose une prise en compte au premier chef des besoins de la "machine" qui gère les flux ainsi considérés.

Se préoccuper des "besoins des détenus", de "la durée de leur peine", afin de s'y adapter introduit une dimension personnelle, une relation qui pourra devenir éducative peut-être mais sans laquelle une action éducative ne peut s'installer. Qui plus est, cette attention aux besoins des personnes considérées en tant que telles est dans le droit fil de l'individualisation de la peine, toujours proclamée, mais dont on peut craindre qu'elle ne soit pas toujours prise en compte de façon effective.

Enfin, la préconisation d'une "organisation en modules courts" se transforma dès la deuxième version en "organisation en modules bien définis dans le temps". La différence n'est pas très grande mais comme le faisait remarquer un des responsables syndicaux, "les modules courts sont une technique pédagogique adaptée à certaines situations ; il n'y a aucune raison de les imposer à tous ; en tout état de cause le choix relève de la responsabilité de l'équipe pédagogique."

Mais cette circulaire, dans sa version initiale surtout, n'avait comme objectif que de "bordurer", brider voire brimer, de tout prévoir afin que ses rédacteurs, ses initiateurs soient assurés – belle naïveté – du bon ordonnancement, de la bonne marche, au pas, de la communauté enseignante en prison.

Le premier paragraphe est inchangé de la version 1 à la version définitive à la restriction concernant le rappel, dans la dernière version, de la nécessité de prendre comme base de calcul les fameuses 36 semaines de l'année scolaire ordinaire. Ce rappel intervint dans le passage de la version 2 à la version 3.

Pour ce qui est de la suite, les évolutions sont plus marquantes. La version 1 stipulait que "le service des enseignants du premier et du second degré est étalé sur un minimum de 42 semaines. Leur service se détermine annuellement, en multipliant le nombre de semaines de l'année scolaire (soit 36) par leur service hebdomadaire. Les heures d'enseignement sont réparties au minimum sur sept demi-journées hebdomadaires."

Là aussi, la profession vit rouge, et rouge vif. En effet, si dans le titre 2.1. "l'organisation du service", on pouvait imaginer, dans un service scolaire comprenant au moins deux enseignants, de les voir se relayer pour assurer l'ouverture de l'école pendant 42 semaines, il n'en va pas de même avec celui-ci. Là, c'est "le service de enseignants du premier et du second degré [qui] est étalé sur 42 semaines et sur sept demi-journées hebdomadaires. Prenons un exemple. Soit un enseignant du premier degré devant effectuer 21 heures hebdomadaires pendant 36 semaines, c'est à dire 756 heures pendant l'année. Réparties sur 42 semaines, l'horaire hebdomadaire devient donc de 18 heures (756 : 42). Sur 7 demi-journées, celles-ci ne sont plus de 3 heures ("tarif" ordinaire en prison) mais de 2 heures et 35 minutes (18 : 7). L'enseignant du second degré, dont le service hebdomadaire est de 18 heures se voyait proposer au terme d'un calcul similaire de n'avoir des plages horaires que de 2 et 12 minutes. Et selon la version 1, 42 semaines représentaient "un minimum". Cette disposition revenait concrètement à parcelliser un peu plus le travail au quotidien, en réduisant l'amplitude des séquences.

En prison, en maison d'arrêt surtout, la durée utile qui peut être consacrée à des activités est de trois heures le matin, de 8 à 11, et l'après-midi de 14 à 17. Dans les établissements pour peine, c'est différent, la journée y étant généralement plus "longue". En effet, compte tenu des exigences carcérales concernant l'arrivée et le départ des élèves (les fameux mouvements) qui se font ensemble pour les différentes activités, il aurait été plus que délicat de demander avec une demi-journée réduite à 2 heures 12 minutes par exemple de recevoir les élèves à 8 H 24 pour les "relâcher" à 10 H 36 ou de les recevoir à 8 H mais les inviter à partir à 10 H 12.

Sauf à espérer que malgré un horaire officiel de 2 heures 12 minutes, rien n'aurait été changé pour autant, l'enseignant consciencieux, il y en a, arrivant à 8 H – parfois même avant – pour ne repartir qu'à 11 H, parfois même après. Ce qui signifiait très précisément un allongement du temps de travail d'un mois et demi au minimum (6 semaines en plus) sans aucune contrepartie. Bref la quintessence de l'annualisation dans une forme dont même la frange la plus rétrograde du patronat n'aurait pas osé rêver ! Et bien évidemment, il n'était pas bienséant à propos de la première version de cette circulaire de parler de "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral puisque "un enseignement pénitentiaire n'est pas plus souhaitable qu'une santé pénitentiaire".

Cette rédaction ne pouvait rester en l'état. Dès la deuxième version, on était revenu aux 40 semaines, toujours "au minimum". Dans la troisième, rien de changé, sauf que travailler plus de 40 semaines devient possible avec "l'accord formel des intéressés". Dans la quatrième est introduit un tout petit bémol ainsi libellé : "Cette organisation du service sur 40 semaines est mise en œuvre progressivement dans les sites pénitentiaires où n'est affecté qu'un seul enseignant à temps plein pour tenir compte des contraintes particulières de ces ULE. 273 " La version publiée précisait quant à elle que "l'organisation du service d'enseignement est assurée partout où cela est possible sur 40 semaines, dans le respect des obligations de service des enseignants, et avec l'accord formel des intéressés" suggérant dans le même alinéa que cette organisation sur 40 semaines pouvait se réaliser "par roulements de service, péréquation des horaires hebdomadaires, utilisation des moyens prévus dans la dotation de l'unité locale d'enseignement" 274 . Le bon sens en somme et ce que par ailleurs nous faisions depuis des années à Nîmes comme d'autres collègues en d'autres endroits.

Les changements intervenus entre la version 1 et la version définitive ne sont probablement pas majeurs. Mais la nature des parties retirées de l'une à l'autre, engage, pour ce qui concerne la première version, une conception générale de l'enseignement en prison tout à fait particulière. En effet, disparaissent de ces tâches de coordination et de concertation des activités qui relèvent à l'évidence du registre pédagogique mais que la première version demandait de considérer comme n'étant pas strictement pédagogiques et donc de les effectuer en plus des heures d'enseignement proprement dit. Ce qui était encore une occasion de "charger la barque".

Ces retraits concernent la "participation à l'accueil", les "pratiques de bilan", "l'information et suivi pédagogique des détenus suivant des cours d'enseignement à distance". Je continue à trouver piquant qu'un texte signé du seul ministère de l'éducation nationale puisse énoncer que "l'information et le suivi des détenus suivant des cours d'enseignement à distance" ne sont pas à l'évidence d'ordre pédagogique. Et pourtant, ce sont bien ces détenus-là, et de leurs réussites aux examens en particulier – il y en a peu, trop peu – dont se gargarisait et se gargarise encore l'administration pénitentiaire 275 quand il s'agit, en fin d'année, de "quantifier" la pertinence du travail d'insertion ou de réinsertion.

Pour en terminer avec ce sous-titre 2, ne pas vouloir considérer la "participation à l'accueil" comme une partie non seulement pédagogique mais à l'évidence stratégique relève d'une méconnaissance absolue du "public carcéral", au moins celui des maisons d'arrêt. Dans des établissements dont la population peut être renouvelée plusieurs fois dans l'année, il est de la plus haute importance, pour rencontrer d'éventuels futurs élèves, pour les convaincre qu'en dépit de tout il est possible de "faire quelque chose", pour les inciter à se confronter à nouveau et malgré leur passé scolaire souvent chaotique, à des questionnements mathématiques, grammaticaux …qui peuvent les aider à advenir, que soit particulièrement soigné l'accueil des nouveaux arrivants, de ceux qui ont entendu parler de l'école, de ceux qui s'y sont aventurés sur la pointe des pieds parce qu'un camarade d'infortune les en a convaincus, etc.

Et même si cette séance d'accueil n'est pas une leçon de pédagogie – au sens étroit du terme – elle en est probablement une, et de la plus haute qualité, si elle est réussie bien sûr, du point de vue de la possible humanité qui peut s'en dégager et qui permettra la suite, le reste. Quand dans une partie précédente de ce travail, je parle du "caractère d'extraterritorialité" que, j'avais réussi à conférer à "ma" salle de classe, le travail qui pouvait s'y effectuer tenait pour une partie à cette phase d'accueil, bien sûr non suffisante pour s'inscrire dans la durée mais ô combien nécessaire pour que cette durée puisse commencer.

Notes
271.

dont on a vu la difficulté précédemment. A ce sujet, des collègues du Finistère écrivaient : "De plus, l'administration pénitentiaire s'est actuellement fixé comme objectif d'accroître le travail pénal. Main d'œuvre pas chère pour les patrons et paix sociale car les détenus pourront cantiner à des prix parfois étonnants, mais ça c'est peut-être une autre histoire. Envisager de permettre aux travailleurs d'avoir accès à l'enseignement dépend donc bien plus d'une réforme, de la part de l'administration pénitentiaire, de la journée de détention. On peut aussi envisager de répartir le travail sur deux équipes de détenus pour répartir les rémunérations…"

272.

IMP, IMPRO, IR : établissements recevant des enfants, adolescents ou jeunes adultes souffrant de handicaps divers et variés.

273.

On peut légitimement se demander à quoi fait référence la "mise en œuvre progressive" de cette organisation sur 40 semaines dans les prisons où il n'y a qu'un seul enseignant, sauf à ce que cette partie du texte ne soit là que pour "calmer le jeu" ou dans l'attente de nominations massives dans ces prisons-là. L'espoir fait vivre !

274.

Il me faut reconnaître que ces propositions pour arriver aux 40 semaines étaient déjà évoquées dans la version 3 de la circulaire.

275.

Et avec elle la partie de l'éducation nationale qui y est rattachée, celle-ci voyant à juste titre dans les réussites aux examens un des critères de son action.