5.3.4. : Les modalités du contrôle administratif et pédagogique

Là est peut-être le nœud de la tentative partiellement inaboutie de la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral. Après les conditions de nomination, primordiales, les modalités du contrôle ou suivi, essentielles, vitales.

Ce sous-titre de la version 1 comprend trois alinéas dont on retrouve les deux derniers pratiquement en l'état dans la version définitive. 276 Seul l'alinéa 1 de la version 1 disparaît dès la deuxième version. Je cite in extenso ce chef d'œuvre englouti.

"Dans le cadre très spécifique du milieu carcéral, la régularité des temps d'enseignement constitue un repère essentiel pour les détenus. C'est pourquoi, le respect des obligations de ponctualité et d'assiduité de la part des enseignants revêt une importance particulière. Il convient donc que le chef d'établissement pénitentiaire se montre attentif en ce domaine. Le cas échéant, il informe le responsable de l'U.P.R. d'éventuels manquements à ces obligations. Si le responsable de l'U.P.R. constate des dysfonctionnements avérés, il porte ces faits à la connaissance, selon les cas, de l'IA-DSDEN ou du recteur concerné, qui prend toutes mesures utiles."

Et bien évidemment, il était regrettable à propos de la première version de cette circulaire de parler de "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral puisque "un enseignement pénitentiaire n'est pas plus souhaitable qu'une santé pénitentiaire".

Je me contenterai à propos de cet alinéa de reproduire ci-dessous 3 commentaires rédigés à l'époque par trois organisations syndicales différentes :

Dans la version 2, à la place du "chef d'œuvre" se trouve un innocent alinéa ainsi libellé : "Il appartient au responsable de l'U.P.R., en liaison avec le R.L.E., de s'assurer régulièrement du bon fonctionnement du service d'enseignement dans chacun des sites de l'U.P.R.." C'est quand même plus convivial !

Mais, l'impératif impérieux de la nécessité du "contrôle" devenu "suivi" dans la version 3 devait tarauder les rédacteurs et initiateurs de cette circulaire. Ils durent estimer que, décidément, il n'était pas possible d'accorder quelque forme de confiance à cette profession, il est vrai un brin particulière. Ainsi "l'opportunité" qu'aurait eue la commission de "proposer à l'enseignant un retour sur un lieu d'exercice hors du milieu pénitentiaire" (alinéa 6 du titre 1 Les conditions de nomination des personnels enseignants de la version 1), très légitimement dénoncé comme "en contradiction flagrante avec les textes régissant la nomination et la carrière des enseignants comme avec ceux régissant le contrôle et l'évaluation de leur activité" 279 refait surface dans ce titre 4 consacré au contrôle ou suivi. Certes, le ton a un peu baissé, mais il est néanmoins précisé que :

Avec ces extraits issus de la version définitive de la circulaire d'octobre 2000, on n'est vraiment pas très loin d'être revenu au "retour sur un lieu d'exercice hors du milieu pénitentiaire" qui avait disparu de la version 1 à la version 2. La formulation, pour alambiquée qu'elle soit, n'en est pas moins rude, même si cette proposition d'un "retour sur un emploi conforme [aux] compétences" émane cette fois des autorités académiques et non de la commission, mais "en relation avec le responsable de l'U.P.R." tout de même.

Mon propos, ma thèse étaient de montrer comment, cheminant de la convention de 1995 à celle de 2002 et des circulaires les accompagnant en passant par la circulaire d'organisation d'octobre 2000, s'était instaurée une forme de "pénitentiarisation" plus ou moins rampante de l'enseignement en milieu carcéral.

Cette "pénitentiarisation" était probablement à l'œuvre lors de la préparation puis de la publication de la convention de 1995, mais comme il n'y avait pas d'angles trop saillants, d'aspérités trop répulsives, elle passa "comme une lettre à la poste". Ce qui n'empêcha pas certains des enseignants concernés de la remettre en cause à l'occasion du "mouvement" de 1999-2000 provoqué par la circulaire relative à l'organisation. Une renégociation de la convention de 1995 était même demandée, à corps et à cris. Je ne sais si une authentique négociation s'est tenue mais une autre convention accompagnée de sa circulaire d'application est parue. De mon point de vue, elle aggrave plutôt qu'elle ne ralentit ce glissement progressif d'un enseignement ordinaire dans un lieu qui ne l'est pas, vers un enseignement trop bien intégré au monde carcéral, qui par cette intégration même, au-delà des points accentuant le "contrôle" pénitentiaire, rend son exercice éthique de plus en plus délicat. Dit autrement, il se pourrait que ces textes puissent être les symboles d'une "reprise en mains" d'un îlot d'exercice possible d'une certaine liberté au profit, au nom d'un professionnalisme non contestable en principe mais à l'efficacité discutable, d'une immersion dans un monde, le monde carcéral, pour lequel la partie "insertion" de son programme officiel ne peut être au mieux qu'un alibi, au pire un mal nécessaire. Et dans un tel contexte, je crains que l'immersion à défaut d'entraîner la noyade ne devienne très vite une inféodation.

Que cela soit le fait, l'ambition de l'administration pénitentiaire peut se comprendre. Que l'éducation nationale ait cautionné voire initié une telle entreprise continue de m'étonner au plus haut point.

Cet étonnement est cependant à moduler, car il n'est pas totalement certain que l'éducation nationale ait, au sens strict, vraiment initié cette entreprise de "pénitentiarisation". Le conseiller pédagogique national "détaché par l'éducation nationale [ ] à la direction de l'administration pénitentiaire" confie au cours d'un entretien que parmi ses fonctions multiples figure "l'élaboration de textes conjoints aux deux ministères" 280 . J'ai évoqué précédemment une trop grande proximité, au sens géographique du terme, entre les responsables des unités pédagogiques régionales et les directions régionales des services pénitentiaires dans lesquelles se trouvent leurs bureaux. Mais ils restent néanmoins fonctionnaires de l'éducation nationale, ce qui n'est pas exactement le cas d'un personnel détaché, en tant que tel rémunéré en plus d'être "hébergé" dans l'administration qui l'accueille, la "tentiaire" en l'occurrence.

Notes
276.

Ce sont dans cette version définitive qui compte cinq paragraphes, les alinéas 2 (correspondant à l'alinéa 2 de la version 1), le début de l'alinéa 3 (correspondant au début de l'alinéa 3 de la version 1) et l'alinéa 5 (correspondant à la fin de l'alinéa 3 de la version 1).

277.

Cette mise au point a suscité la réponse ainsi rédigée (par le Sgen-CFDT) de la part des interlocuteurs du ministère : "Le ministère a reconnu que la formulation pouvait être blessante mais tient à ce que soit posé un cadre clair de contrôle administratif, compte tenu des dérives signalées ou des rumeurs qui entourent le fonctionnement dans certains établissements." Si des "dérives signalées ou des rumeurs" peuvent justifier la rédaction de circulaires à portée générale et applicables sur l'ensemble du territoire …

278.

Le rédacteur du compte rendu établi pour le SNUipp crut nécessaire de préciser que Mme M. [du ministère] a expliqué qu'il [le texte de la circulaire] avait été rédigé à la demande de divers partenaires, internes au ministère comme externes (le ministère de la justice notamment), et qu'il était destiné à favoriser le développement de l'enseignement dans les prisons et à assurer l'indépendance des enseignants vis à vis de l'administration pénitentiaire." Si c'est le ministère qui le dit !

279.

Lettre du SNUipp à propos de cette circulaire.

280.

La nouvelle revue de l'AIS, numéro 20 du quatrième trimestre 2002, p 89.