6.1. Le contexte

J'ai été destitué de ma fonction de responsable local de l'enseignement (R.L.E.) en septembre 2001 par une lettre conjointe de la direction régionale des services pénitentiaires (D.R.S.P.) de Toulouse et de l'inspection académique du Gard en date du 14 septembre 2001.

Le directeur régional des services pénitentiaires de Toulouse avait, par un courrier du 6 septembre 2001, très peu de jours après la rentrée scolaire donc, sollicité l'inspecteur d'académie pour qu'un nouveau R.L.E. soit désigné à la maison d'arrêt de Nîmes à compter de la rentrée scolaire 2001-2002.

J'avais été inspecté fin juin 2001 par l'inspecteur de l'adaptation et de l'intégration scolaires dont je relève, mon supérieur hiérarchique naturel, et le rapport rédigé à l'issue de cette inspection m'encourageait vivement à poursuivre mes activités en tant qu'enseignant comme en tant que RLE.

Je me permets de citer le dernier paragraphe et la conclusion du rapport d'inspection : "Monsieur Blanc assure avec compétence les relations nécessaires avec les multiples partenaires associés à l'enseignement au sein de l'établissement pénitentiaire et à l'extérieur. Il organise avec soin les parcours d'apprentissage des élèves et la promotion de la scolarité très concurrencée par le travail rémunéré en ateliers.

Fortement investi dans une pratique de l'enseignement en milieu carcéral, que Monsieur Blanc maîtrise de longue date, il travaille avec compétence à l'aide scolaire aux détenus dans le contexte de la maison d'arrêt où les priorités ne sont pas toujours à la scolarité et à la déontologie de l'enseignement."

Histoire d'enfoncer le clou, et pour faire référence à une autre époque, je me permets de citer un extrait de mon précédent rapport d'inspection datant de 1993 : "Il convient, sur un autre plan, d'ajouter que depuis son arrivée à la maison d'arrêt, M. Blanc a très largement contribué à concevoir, organiser et mettre en œuvre un projet pédagogique des classes cohérent, adapté aux populations concernées, ambitieux, sans perdre de vue la spécificité de l'Ecole et de ses enseignants en milieu carcéral.

En résumé, je félicite M. Blanc pour son excellent travail comme pour l'excellence de la collaboration qu'il développe avec les partenaires de l'école et avec l'administration de l'éducation nationale."

Il est vrai que fin mai 2001, le responsable de l'unité pédagogique régionale (U.P.R.) de Toulouse était venu nous rendre visite à Nîmes, de façon informelle, et lors de cette réunion m'avait demandé de démissionner des fonctions de R.L.E.. Je lui demandai : "Pourquoi ?" et "Pourquoi maintenant ?" Je n'obtins aucune réponse si ce n'est que comme nous "partagions" (voir le sous chapitre 2.1. Du décloisonnement) peut-être que là aussi … Je lui fis savoir ainsi qu'à mon collègue présent lors de cette entrevue que je refusais de démissionner.

Juin 2001 se passa. Début juillet, le colloque de Nîmes était "suspendu". Tout début septembre, le 3, j'informais par courrier, après les en avoir avertis en juillet par téléphone, tous les intervenants pressentis (une bonne vingtaine) de cette "suspension". Le 6 septembre, un courrier de la direction régionale de Toulouse sollicitait auprès de l'inspection académique du Gard ma destitution du poste de R.L.E.

A défaut de pouvoir affirmer qu'il y a un lien de stricte causalité entre ces deux événements, je considère néanmoins que la corrélation, au moins du point de vue chronologique, est suffisamment évidente pour émettre l'hypothèse, que j'estime avérée, que c'est ce courrier insuffisamment gentil adressé à tous les "colloqueurs" (et par delà, l'organisation du colloque en elle-même) qui est la cause directe de cette demande de destitution. Comme je l'ai déjà écrit, je jure que je n'avais rien commis d'outrageant en juillet et août.

L'année 2001-2002 se passa, mal, mon collègue investi des fonctions de R.L.E. se chargeant de me rendre la vie impossible. J'en ai déjà fait état, je n'y reviendrai pas. 2002-2003 recommença sous les mêmes auspices, puis j'acceptai de faire le conseiller pédagogique et, l'expérience ayant été non concluante, envisageai de revenir à la maison d'arrêt occuper le poste dont j'étais toujours titulaire. L'inspecteur d'académie du Gard tenta de me convaincre d'accepter un autre poste (voir la partie 6.4. La chute) puis mon agrément pour enseigner en milieu pénitentiaire me fut retiré en mai 2003. Je demandai alors à l'administration pénitentiaire que me soient communiquées les raisons de ce "désagrément" – ce qu'elle ne fit pas - et ne les obtins qu'en allant consulter mon dossier administratif à l'inspection académique. C'est de ce dossier dont je vais parler maintenant à la lumière de l'hypothèse émise précédemment, à savoir : c'est la version pénitentiaire de l'éducation nationale qui pour raison de colloque intempestif demanda à la version gardoise de la même éducation nationale de prêter une oreille compréhensive à cette demande de destitution.

Je me dois d'avancer, au titre d'une deuxième hypothèse, néanmoins connexe de la première, qu'il est fort probable que l'administration pénitentiaire ne s'opposa pas à une telle démarche. En tout état de cause, elle étaya cette demande de désagrément, fournissant les pièces la justifiant, à ses yeux au moins.

La troisième hypothèse, qui devrait logiquement être plutôt la première, et qui en fait englobe les deux précédentes peut s'énoncer comme suit : la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral tient à la trop grande proximité des deux institutions, l'une, l'administration pénitentiaire, à la culture faite de culte du secret et d'un sentiment de totale impunité, l'autre, l'éducation nationale en sa version pénitentiaire ayant été peu à peu "contaminée" par une telle culture. Ce sentiment, cette profonde conviction de l'assurance de cette impunité se manifestent dans les deux institutions par un refus quasi viscéral du dialogue, de débats contradictoires ouverts dans lesquels l'autre est a priori disqualifié non pas pour ses supposées incompétences de quelque ordre que ce soit mais par ce qu'il est, ce qu'il représente éventuellement comme alternative à une forme de sujet, de personne plus commodément assimilables par la ou les institution(s). Mais sans doute que ce genre de "découverte" n'est pas spécifique au monde coercitif et à celui qui en est trop proche !

Ce dossier était accompagné d'une lettre en présentant le contenu de façon synthétique (annexe 8). Je n'en dirai pas grand-chose, les parties auxquelles il fait référence étant discutées par la suite, le classement en "annexes" n'étant pas évident dans le dossier tel que je l'ai trouvé. Quatre remarques cependant :

  • Ce courrier du 4 avril 2003 commence par me reprocher des "activités" datant de 1998 sans que me fut signifié quoi que ce soit alors. Les écrits à destination du comité de liaison pour l'alphabétisation et la promotion (C.L.A.P.) lui avaient probablement été envoyés, comme les années précédentes, par l'intermédiaire du responsable de l'U.P.R. de Toulouse par ailleurs membre du comité de lecture du dit C.L.A.P. au moins en 1997. ;
  • Je ne vois pas à quoi font référence, dans le paragraphe 5 : "démis de ses fonctions de directeur des études" ….. d'une façon "parfaitement arbitraire". Certains de mes collègues avaient jugé nécessaire de rédiger un courrier signé par plusieurs d'entre eux. L'un a écrit quelque chose de plus personnalisé. Ces deux documents sont en annexe ;
  • L'investigation à propos des portes fermées. Il est vrai que, manquant de cette information pour deux prisons de la région, j'ai téléphoné aux deux collègues concernés qui m'ont dit travailler, comme une grande majorité, (voir le sous chapitre 1.3. L'affaire des portes fermées) avec les portes ouvertes. Il me semble même que dans l'une des prisons, une mesure de fermeture des portes avait été reconsidérée quelque temps après. Par ailleurs, j'avais déjà travaillé plus de deux années scolaires dans des salles de classe aux portes fermées. Je n'avais pas approuvé cette mesure, mais comme d'habitude, m'y étais plié. J'aurais pu continuer. ;
  • Compte tenu des appréciations fournies à mon égard par l'inspecteur de l'éducation nationale qui m'avait évalué en juin 2001, je trouve très "savoureuse" la formulation "à la satisfaction de nos deux administrations".