6.2.1. Les écrits qui me sont reprochés en tant que tels

Les 8 dernières pages (pp. 62 à 70) sont une partie, la moitié, de ce que je proposai pour le numéro 13 de L'Ombre du zèbre qui ne vit jamais le jour. Je ne m'attarderai pas outre mesure sur cette partie du dossier. Une remarque cependant : dans la lettre qui accompagne ces 8 pages, (p. 61) le directeur de la maison d'arrêt de Nîmes motive son refus de laisser paraître ce treizième numéro par la "noirceur" par exemple [de] l'article sur le soldat français dans le désert". Il ajoute plus loin : "Je ne pense pas que ce soit le rôle d'un journal intra-muros de publier de tels articles incitant notamment au suicide et renfermant l'esprit sur la prison". Pour ce qui est de la supposée "noirceur", je m'en explique dans l'éditorial de ce numéro reproduit dans le sous chapitre 3.2.1. L'Ombre du zèbre.

Mais surtout, et c'est là que le bât blesse, je raconte la suspension du journal suite à la parution du numéro 12, dûment autorisé par la hiérarchie de la prison mais dans lequel certains surveillants avaient trouvé un texte attentatoire à leur dignité. Je fais l'hypothèse que c'est plus la narration de cet épisode et de ce que je fis pour franchir cet obstacle qui valut au journal les trois refus successifs de paraître que la présence de tel ou tel autre tel article.

En rédigeant cet éditorial, je me situais en tant qu'enseignant incitant ses élèves à écrire "pour de vrai" et essayai, à ma manière de contribuer à une certaine forme d'ouverture, de transparence, ce qui, on en conviendra aisément, ne participe pas vraiment de la culture du secret non plus que de celle de l'impunité. J'assumai mon erreur de lecture sans revenir, volontairement, sur l'autorisation de publication donnée par la direction dont je ne suis pas certain qu'elle assumât ce pas de clerc, autorisation puis suspension. Quand L'Ombre du zèbre fut suspendu, le responsable de l'U.P.R. me fit, en substance, cette remarque, frappée du coin du bon sens : si le journal est un outil pédagogique (ce qui était et est encore encouragé par les textes officiels), l'interdire revient à interdire l'utilisation de l'encyclopédie ou du dictionnaire.

Par ailleurs, et de façon certes tout à fait secondaire, déduire qu'un texte de fiction sous titré Nouvelle puisse être considéré comme un appel au suicide équivaut à considérer Le petit chaperon rouge par exemple,comme porteur d'un appel au meurtre. D'autre part, si je présentai plusieurs fois le même projet de numéro 13 de L'Ombre du zèbre, c'est que je n'eus aucun retour, aucune réponse autre que "refus global". Si l'on m'avait dit que la nouvelle Contact était "noire", il aurait peut-être été possible d'en débattre. Mais, c'est probablement l'idée même de discussion, de confrontation qui était gênante ou mieux encore qu'un document destiné à l'extérieur puisse faire état d'une sanction destinée à un objet, le numéro 12 du journal, qui une fois encore avait franchi la barrière de la censure. Le secret et l'impunité dont j'ai fait état ne pouvaient le supporter.

Enfin, dans un autre courrier du 7 décembre 2000, pp.55 et 56, le directeur de la maison d'arrêt de Nîmes affirme ne pas intervenir "dans le contenu pédagogique des cours de M. Blanc". Il me semble que l'enseignant que je suis est au moins aussi apte qu'un directeur de prison à juger de la qualité, de l'intérêt, y compris pédagogique, d'un texte. Et j'ose penser que cette nouvelle est un bel et bon texte, envoyé par un ancien élève de Nîmes après qu'il ait été transféré, comme cela fut le cas en nombre d'autres occasions. L'Ombre du zèbre pouvait aussi remplir cet office : recueillir des écrits d'anciens élèves que j'avais croisés et qui, de loin, continuaient à éprouver quelque plaisir à me communiquer leurs écrits et ainsi garder un lien avec cette entreprise à laquelle ils avaient, pendant leur incarcération à Nîmes, momentanément prêté leur concours.

Le document p 60 : deux courts textes élaborés en classe, fruit d'un long voire très long travail d'écriture avec des "écrivants" en grande difficulté – leur style en atteste – de réécriture, que j'avais envoyés, avec d'autres, au titre d'un concours d'écriture auquel ma classe participait régulièrement. Ces deux textes, - mal reproduit pour le premier, on y trouve la conclusion du second qui n'a rien à y faire 281 - ont été publiés dans L'Ombre du zèbre n° 9 de novembre 1998, autorisé par la direction. Mais le "problème" que posent ces deux textes est probablement ailleurs ; il se trouve que ce journal était publié, public presque, ô modestement, 200 exemplaires en gros étant adressés à l'extérieur. Et il se trouve aussi que, quelque temps plus tard, je lus dans deux ouvrages des extraits du dossier sur le travail en prison parus dans ce numéro 9. L'un dans Prison : un état des lieux 282 , document remis à la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur la situation dans les prisons françaises lors de l'audition par cette dernière de l'Observatoire International des Prisons 283 . L'autre dans Paroles de détenus 284 , celui-ci se contentant de citer une partie de l'extrait paru dans celui-là. Le secret dont j'ai fait état ne pouvait que fort mal s'accommoder de telles "révélations" qui avaient pour principal inconvénient d'être irréfutables.

Notes
281.

Pour ceux qui iraient jusqu'à pousser la conscience professionnelle jusqu'à lire ces extraits, je tiens à préciser que dans la version du Zèbre, le pécule est libérable et non libidinale. Mais c'est joli comme ça aussi.

282.

Observatoire International des Prisons, Editions L'esprit frappeur, Paris, 2000, 315 p.

283.

Qui plus est, circonstance probablement aggravante, une partie de ces informations a été reproduite dans le rapport de l'Assemblée Nationale La France face à ses prisons, tome 2, p 60.

284.

Sous la direction de Jean Pierre Guéno, Librio, Paris, 2000, 188 p.