6.2.2. Les écrits émanant de l'administration pénitentiaire, version nîmoise ou toulousaine

Ces écrits que je présente et commente ci-dessous représentent une palette assez large de ce que Christophe Dejours appelle la "ditorsion communicationnelle" 285 . Ils ne sont pas ouvertement mensongers mais témoignent d'une présentation très univoque des faits. Ce qui est une attitude d'une cohérence absolue pour une administration qui ne saurait tolérer que l'on discutât.

Les documents pp. 58 et 59 me mettent un peu plus en difficulté et la mémoire me fait défaut. Cela remonte à un peu plus de trois ans et je ne consignais pas tout ce qui m'arrivait par écrit. A la lecture de la lettre du directeur, j'aurais fait preuve d'incompétence ou de volonté délibérée, je suppose mauvaise volonté, quant aux renseignements à porter sur ce document. Peut-être les deux, je ne suis pas omniscient et peux avoir des mouvements d'humeur. Il me souvient néanmoins d'avoir, un brin en colère, ennuyé, je ne sais plus exactement, rendu une copie certes incomplète mais n'avoir pas rendu feuille blanche, ce qu'atteste la référence aux cases cerclées de rouge que je ne retrouve pas, forcément, dans la copie versée au dossier. Mais si j'ai fauté, je suis prêt et aurait été prêt à l'époque à le reconnaître et éventuellement, qui sait, à faire quelque chose pour y remédier. L'idée même de reconnaître d'éventuels torts est probablement étrangère à une institution fonctionnant exclusivement sur un principe féodal.

Les documents pp. 55, 56 et 57 évoquent une autre péripétie que j'ai longuement décrite dans le sous chapitre L'affaire des portes fermées. Je n'y reviendrai donc pas. Mais je suis néanmoins surpris de retrouver la lettre collective – et non la pétition – ainsi que la lettre que le directeur de la maison d'arrêt a rédigée pour l'accompagner. Je rappelle que cette lettre collective me valut une interdiction professionnelle d'un mois – je ne pouvais plus dans un premier temps me rendre auprès de "mes" élèves, puis dans un second ne pouvais même plus accéder à la prison – deux interdictions qui furent toutes les deux levées dans les deux heures suivant leurs significations écrites que j'avais mis une semaine à obtenir. Dans la mesure où ces deux interdictions avaient été signifiées puis effacées - même si je n'ai pas pu, sans motif écrit, exercer pendant une semaine – on pouvait considérer que l'affaire était close ou dit autrement que prévalait l'autorité de la chose jugée. Mais non. Pour une information plus complète, je joins, en annexe au présent dossier, les deux lettres d'interdiction, ainsi que celle, d'une urbanité exquise, de réadmission (annexe 12). Je prie le lecteur attentif de rechercher dans un vieil agenda la date du jeudi 7 novembre 2000. Il y a bien un jeudi, c'est le 9, il y a bien un 7 novembre, c'est un mardi, mais il y a surtout un mercredi 6 décembre, date à laquelle je remis la lettre collective. Si même le calendrier s'en mêle !

Les documents pp. 53 et 54, les derniers en date, un courrier du 24 mars 2003. Alors que je n'étais plus à la maison d'arrêt depuis la Toussaint 2002, l'U.P.R. et à travers elle la direction régionale essaie de s'assurer que je ne reviendrai pas en prison à la rentrée 2003-2004. Je ne faisais le conseiller pédagogique qu'à titre précaire et révocable. Je n'ai pas de commentaires particuliers à formuler, si ce n'est que, il y a certes une dizaine d'années, j'avais participé à tous les stages de formation destinés aux enseignants nouvellement nommés en milieu carcéral tout en n'étant pas moi-même titulaire du poste en question. Je n'avais pas le CAP adéquat, dit CAPSAIS, pour pouvoir prétendre à une titularisation sur un tel poste. Je risquais donc de ne pas y être reconduit, ce qui se serait produit si un enseignant possédant le CAP idoine l'avait demandé. Cela n'avait été en rien un frein à ma participation à ces stages.

Les documents pp. 50 et 51. Je les regroupe car ils ressortissent tous les deux à la demande de destitution de mes fonctions de R.L.E.. Ces documents sont assez étonnants, par la "mansuétude" dont ils semblent faire preuve à mon endroit. En effet, si depuis 1999, on doit me rappeler périodiquement "ce qu'il est attendu d'un Responsable Local de l'Enseignement (pp.50 et 51), il est somme toute surprenant que cette décision de destitution ait été mise en réserve jusqu'au 6 septembre 2001, soit deux bonnes années plus tard. La raison de cette destitution est toute autre. J'ai déjà montré combien, d'un point de vue chronologique, elle "s'expliquait" par la péripétie du colloque de Nîmes tardivement suspendu. Pour la toute petite histoire, le second enseignant à temps complet "bien intégré dans l'établissement : intervention au quartier des mineurs, Education Physique et Sportive, informatique" l'était certes, mais ni plus ni moins que moi et en tout état de cause grâce au système "partageux" que j'avais initié et mis en place à son arrivée. Il est des situations à l'ironie moindre que celle-ci.

Le document p. 52 mérite un détour : après ma destitution de R.L.E., en septembre 2001, j'avais demandé une audience à l'inspecteur d'académie du Gard, en tant qu'autorité ayant conjointement procédé à cette destitution. J'avais été reçu par l'inspecteur d'académie adjoint, puis par l'inspecteur d'académie en personne, mais seulement en juin 2002, une année scolaire plus tard, non pas pour qu'il me donne les raisons d'une telle décision mais pour m'expliquer et lui présenter les péripéties de la maison d'arrêt et la vision que j'en avais. A l'issue de cette entrevue, il m'avait dit qu'il demanderait à la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse de me rencontrer afin que me soient expliquées les raisons de cette destitution dont je n'avais pas eu connaissance. J'avais appris que j'étais destitué, point final. Nonobstant, je ne fus jamais reçu ni par le directeur régional ni par son adjoint, ayant été exfiltré de la maison d'arrêt à la Toussaint 2002.

Mais il y a autre chose : d'après ce texte, il m'avait été précisé, plusieurs fois, notamment "en présence de Monsieur Hirt, Inspecteur de l'Education Nationale chargé de l'AIS [ ] la liste des griefs formulés à [mon] encontre, ceux-ci n'autorisant plus que [me] soit confiée la responsabilité de l'unité locale d'enseignement :

Indépendamment du fait que je ne garde pas vraiment le même souvenir de la seule réunion à laquelle j'ai assisté en présence de l'inspecteur cité ci-dessus – elle clôturait, du moins le croyais-je l'affaire des portes fermées – qui se tint en décembre 2000, il me semble qu'avec un tel "dossier", atmosphère délétère, textes diffamatoires, diverses pétitions 286 , c'est dès ce moment-là que j'aurais dû être destitué voire "désagrémenté" et non neuf mois plus tard pour la destitution et deux ans et demi plus tard pour le retrait d'agrément. Ce n'est plus de la mansuétude, c'est de l'aveuglement.

Par ailleurs, je me permets de mettre en regard cette quasi mise en cause de l'inspecteur précité, en décembre 2000, et le rapport d'inspection du même inspecteur auquel j'ai fait référence au début de ce chapitre datant de juin 2001, soit seulement six mois plus tard. Etait-il administrativement "convenable" de m'évaluer, et plutôt positivement, après une telle litanie de griefs ?

Les documents pp. 48 et 49. Ce courrier fait référence à un "incident" dont traite également le courrier suivant (premier paragraphe du document p. 61) relatif à la "commission des listes" ayant vocation à préparer les activités de la semaine suivante. Toutes les semaines se tenait cette commission au cours de laquelle, en fonction des départs, des affectations aux ateliers, des arrivées des nouveaux détenus … étaient élaborées, en collaboration entre les différents services concernés – direction, services sociaux, service scolaire – les listes des participants aux activités de la semaine suivante. Le R.L.E. assistait ordinairement à cette commission au titre du service scolaire.

Mais comme nous le faisions depuis que ces commissions existaient, c'est l'autre enseignant à temps complet qui y participait, notamment, quand, en fonction de vacances décalées, le R.L.E. était absent de la maison d'arrêt. A partir des éléments fournis par les uns et par les autres, cette commission avait pour raison d'être, d'établir les listes nominatives des participants à ces activités de la semaine à venir. Ce qui veut très précisément dire, que les séries de noms plus ou moins préparées à l'avance par les uns et les autres avaient à être confrontées puis fondues en une seule pour établir la liste définitive, demi-journée par demi-journée, de ceux des détenus qui seraient appelés pour telle ou telle séance de classe, de formation professionnelle, d'activité socio-éducative.

C'est à l'issue de cette confrontation, tout à fait pacifique au demeurant, qu'étaient édités pour les différents étages de la détention notamment, les documents prévoyant la participation des détenus à ce qui leur était proposé cette semaine-là. Ce qui signifie aussi, contrairement à ce qui est écrit dans le document p.60 à propos "du surcroît de travail pour les personnels" que c'est le document établi à l'issue de cette "commission des listes" qui était reproduit à quelques exemplaires et non un document antérieur qui n'aurait pas, par exemple, été entériné par la direction. C'est pour cette raison que cette réunion se tenait le jeudi, permettant ainsi, dans la journée du vendredi de reproduire cette fameuse liste en quelques exemplaires qui étaient ensuite distribués le même jour dans les différents lieux prévus à cet effet afin que se prépare la semaine suivante.

Et si je participais à cette réunion, comme il se doit, c'est parce que jusqu'alors, le "partage" que j'avais initié quelques années auparavant n'avait pas été remis en question en ce mois de janvier 2002. Jusqu'alors, au nom de ce partage, hors de toute "délégation", le R.L.E. y allait et quand il ne le pouvait pas, c'est l'autre instituteur qui y assurait la présence du service scolaire. Je m'abstins après le courrier comminatoire du 21 janvier 2002. C'est à partir de ce moment-là, qu'en l'absence du R.L.E., c'est l'agent de justice, emploi jeune du ministère de la justice, certes affecté à temps complet auprès du service scolaire, qui représenta le service de l'éducation nationale de la maison d'arrêt au sein de cette commission comme au sein d'autres instances, le "rapport" hebdomadaire où se retrouvaient les différents chefs de service administratif par exemple. Je continue à penser que cet agent de justice, indépendamment de ses qualités personnelles, ne pouvait être, où que ce soit, le représentant de l'éducation nationale à laquelle il n'appartenait pas, fût ce de loin. Mais dans la mesure où ça arrangeait ! Il me semble que c'est aussi dans ce type de confusion des rôles, tout à fait structurelle, que peut se nicher ce que j'ai décrit comme une manifestation certaine d'un très solide sentiment d'impunité.

Les documents pp. 46 et 47. Indépendamment de la question de la "commission des listes" que je viens d'aborder ci-dessus, ce courrier est, pour la partie relative à l'incident du quartier d'isolement, un chef d'œuvre de demi vérité, ou de vérité non contradictoire, c'est à dire d'une représentation univoque d'un événement ayant mis en jeu plusieurs sujets. Voici, mot pour mot, la transcription que j'en fis dans mon cahier journal 287 : "Je passe au rez-de-chaussée demander comme d'hab. si je peux aller au quartier des isolés. Mme B., chef de détention, me fait savoir qu'il y a des travaux et qu'il serait préférable que je sursoie. J'ai des livres à remettre à l'un de mes élèves et je demande néanmoins si je peux aller au moins porter ces livres à mon étudiant. OK me dit-elle. Arrivé au QI, les deux surveillants (dont un premier surveillant dont la présence est nécessaire pour que je reçoive mes élèves) me dit : "ça gêne pas, tu peux rester". Arrive mon premier élève à qui je remets les livres, échange trois informations, parle un peu et dans les 10 minutes qui suivent le début de notre conversation, coup de téléphone de Mme B. au QI demandant ce que je fais. Les 2 surveillants m'appellent dans le couloir, me donnent la raison du coup de fil et je comprends : il faut que je parte, les travaux sont à l'étage, moi au rez-de-chaussée. Ca ne les dérange ni ne les gêne mais la chef a dit. Je cherche à voir mon autre élève pour lui dire que je ne peux le voir et m'en vais. Je passe voir Mme B. pour lui demander si je n'ai pas été trop long !!! Un brin gênée la dame !"

Par ailleurs, selon le deuxième paragraphe de cette lettre, je serais allé au quartier d'isolement contre l'avis du CSP 2 288 chef de détention alors que je ne pouvais me rendre dans ce quartier sans être accompagné d'un gradé, ce qui fait qu'il m'arriva plus souvent qu'à mon tour d'attendre que l'un d'entre eux soit disponible. Ce paragraphe qui, sans l'affirmer, sous-entend que j'ai outrepassé les ordres du CSP 2 est mensonger.

Pour ce qui concerne "l'échange de propos vifs" [ ] dans le couloir administratif, j'ai l'outrecuidance de m'interroger sur le point d'ancrage de la gravité de ce qui m'est reproché. Sont ce les "propos vifs" ou le fait qu'ils aient été échangés en la présence fortuite d'un magistrat visitant l'établissement, et qu'en conséquence ce dernier ait pu retirer de sa visite d'autres sentiments, d'autres impressions que ceux émanant d'un établissement bien tenu ? Je balance.

Pour en terminer sur un point de détail infime, je m'interroge aussi sur l'ultime paragraphe selon lequel "désormais chaque manquement de M. Blanc qui porterait atteinte au bon fonctionnement de l'établissement donnera lieu de ma part à un compte rendu écrit." alors que le seul dossier ci-joint comporte trois lettres antérieures dont il est difficile de soutenir qu'elles mettent en valeur mes activités. Ce "désormais" doit être à géométrie variable ! Et je ne prends pas en compte mes "lettres de licenciement", largement antérieures elles aussi.

Notes
285.

terme qu'il reconnaît avoir emprunté à Jürgen Habermas.

286.

En fait une et une seule, et non une pétition mais une lettre collective, ce n'est pas la même chose.

287.

Document pouvant être assimilé au journal de bord d'un enseignant, notant jour après jour, parfois heure après heure ce qu'il compte entreprendre ou a entrepris dans le cadre de la conduite de sa classe.

288.

CSP : chef de service pénitentiaire, le plus haut grade à la maison d'arrêt de Nîmes. C'est parmi les différents CSP qu'était choisi celui qui occuperait la fonction de chef de détention.