6.4.1. Un rien de "pathos"

J'ai donc fait le conseiller pédagogique au cours de l'année 2002 – 2003 à partir des vacances de Toussaint 2002. Quand j'ai accepté cette proposition, qui pouvait passer pour une forme de reconnaissance à la fois professionnelle et symbolique, il était évident que c'était à l'essai, terme que j'employai expressément lors de mon entretien "d'embauche", tant je n'étais pas totalement persuadé d'avoir les qualités requises pour remplir ce type de mission.

Ce changement de poste en cours d'année scolaire, un rien "sauvage" ne pouvait avoir lieu qu'à titre provisoire, précaire, ne serait - ce que parce que je n'étais pas titulaire du diplôme adéquat, ce qui signifiait très précisément, que bien que commençant un nouveau métier, je restai titulaire de mon poste d'enseignant à la maison d'arrêt de Nîmes 303 , fonctions dans lesquelles je continue à penser que je n'avais pas démérité. Quoi qu'on pense par ailleurs du rite de l'inspection des enseignants, leur évaluation par la hiérarchie, les deux que j'avais subies dans le cadre carcéral, la dernière en date de juin 2001, en attestaient.

Selon les termes mêmes de mes deux rapports d'inspection, j'étais un enseignant "fortement investi dans une pratique d'enseignement en milieu carcéral" où je "travaille avec compétence" et dans lequel j' "assure avec compétence les relations nécessaires avec les multiples partenaires associés à l'enseignement au sein de l'établissement pénitentiaire et à l'extérieur".

Mais l'administration pénitentiaire est au-delà de ces considérations. De son point de vue, j'avais fauté et devais donc être puni, comme le signalait un formateur de la maison d'arrêt de Nîmes à propos de la signature de la lettre collective relative à la fermeture des portes des salles de classe (voir le sous chapitre 1.3. L'affaire des portes fermées).

La vie des enseignants est rythmée par un certain nombre de rites parmi lesquels se trouve en bonne place le "mouvement", soit en français non jargonnant la lourde opération bureaucratique qui consiste à organiser les changements de postes souhaités par les enseignants du premier degré.

En gros, ils doivent faire savoir vers février si, comme on dit, ils souhaitent participer au mouvement, c'est à dire s'ils manifestent l'envie de changer d'affectation. Un peu plus tard, fin mai début juin, a lieu le fameux mouvement. Entre ces deux moments, ceux qui ont décidé de franchir vraiment le pas remplissent des fiches de vœux au vu des postes dits vacants ou susceptibles de l'être et dont la liste a été publiée, classant ainsi par ordre préférentiel les affectations qu'ils souhaitent obtenir. Pour pouvoir participer à cette deuxième phase, il faut en avoir impérativement manifesté le souhait au bon moment, en février. Mais bien évidemment, il y a des exceptions.

J'avais délibérément refusé de participer au mouvement, dans la mesure où, étant "à l'essai", si je ne faisais pas l'affaire ou si je ne souhaitais pas poursuivre cette expérience plus avant, je retournerais enseigner à la maison d'arrêt.

Début avril 2003, l'inspectrice de l'éducation nationale qui m'avait "choisi" pour les compétences que me valaient mes études universitaires en Sciences de l'éducation, me signifia que je n'avais pas vraiment transformé l'essai, et qu'en conséquence, il me fallait envisager autre chose. Je lui répliquai alors que, comme prévu, je reprendrais mon enseignement à la maison d'arrêt puisqu'il y avait alors belle lurette que les délais étaient échus pour participer au mouvement et que ne pas avoir effectué cette démarche n'était pas un oubli de ma part. Je ne sais pas exactement ce que cette posture mit en mouvement.

Toujours est-il que fin avril, l'inspecteur d'académie du Gard me convoqua à un entretien pour examiner ma situation administrative. Au cours de cette rencontre, il m'est confirmé qu'en tant que conseiller pédagogique, je ne fais pas l'affaire et il m'est donné lecture de courriers de la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse à l'inspection académique au terme desquels je comprends que mon retour à la maison d'arrêt de Nîmes n'est pas souhaité.

Prenant acte de ce "souhait", il m'est proposé de participer au mouvement, fût - ce avec un grand retard, et l'on me fait miroiter un poste "fait pour moi", correspondant à mes compétences … air connu. Nous sommes à la veille des vacances de printemps 2003 et nous convenons que je donnerai une réponse à cette ostensible invitation au retour de ces vacances, début mai. Ce que je fis. Je refusai.

Par un courrier en date du 13 mai 2003, l'administration pénitentiaire me signifiait qu'elle me retirait l'agrément que j'avais obtenu une douzaine d'années auparavant. Je ne pouvais donc plus enseigner en prison. Je demandai alors à cette administration que me soient communiquées les raisons justifiant une telle sanction. Je les attends encore.

Il aurait été agréable pour les deux administrations concernées que je quitte de moi-même le poste que j'occupais depuis plus d'une décennie. Une fois de plus, la vertu cardinale d'une "bonne" administration des choses humaines aurait été préservée : pas de vagues.

Mais cette solution quiète avait un inconvénient majeur, à mes yeux au moins : partant de mon plein gré, l'administration pénitentiaire n'aurait pu que se réjouir de me voir demander mon changement, se trouvant ainsi exonérée d'avoir à justifier ce retrait d'agrément équivalant à une exclusion, qu'elle a dû au contraire fournir. J'ai donc demandé une nouvelle fois à consulter mon dossier administratif, et contre la modique somme de cinq euros, je me suis procuré la vingtaine de pages que l'administration pénitentiaire, en grand seigneur, avait refusé de me faire parvenir.

Je conteste bien sûr tant la légitimité que la légalité de ce retrait d'agrément. La légitimité peut être affaire de point de vue, de position. La légalité, c'est autre chose.

Notes
303.

Et bien entendu, qu'en toute bonne logique administrative, je devais récupérer à l'issue de mon "essai" en tant que conseiller pédagogique si celui-ci n'était pas concluant ; sauf à demander moi-même à être nommé ailleurs.