Conclusion

J'ai essayé tout au long de ce travail de montrer comment s'était mise en place une forme plus ou moins rampante, plus ou moins violente selon les situations particulières, de "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu pénitentiaire.

Cette "pénitentiarisation" signifie très précisément que les travers consubstantiels à l'administration pénitentiaire – et ce depuis des siècles – que sont "la culture du secret" 305 et ce qui va avec, l'assurance de l'impunité, le refus du dialogue, ont peu à peu contaminé les autres institutions qui, suite à des évolutions plus ou moins récentes ont été amenées à travailler avec elle. Et ce n'est pas une vision univoque, uniquement induite par les aventures qui ont été les miennes à la maison d'arrêt de Nîmes, même si celle-là a été exacerbée par des circonstances locales.

Nicolas Frize, après bien d'autres, souligne "le refus viscéral de l'institution pénitentiaire de collaborer avec toute instance publique de contrôle, a fortiori de s'y soumettre" 306 puis traite de la prison comme du "lieu du déni du droit et du dialogue" 307 . Avant lui, Michel Foucault écrivait déjà : "Tout cet "arbitraire" qui, dans l'ancien régime pénal, permettait aux juges de moduler la peine et aux princes d'y mettre fin éventuellement, tout cet arbitraire que les codes modernes ont retiré au pouvoir judiciaire, on le voit se reconstituer, progressivement, du côté du pouvoir qui gère et contrôle la punition." 308 C'est ce qu'il nomme quelques lignes plus loin la Déclaration d'indépendance carcérale.

Pour ce qui concerne le milieu professionnel qui est le mien, l'enseignement, ce que j'ai appelé l'éducation nationale en sa version pénitentiaire me paraît assez gravement atteinte.

Au titre de l'impunité et du culte du secret consubstantiels à l'administration pénitentiaire, et pour mémoire, je me contenterai de rappeler : l'épisode du journal L'Ombre du zèbre suspendu par une direction qui l'avait au préalable dûment autorisé, celui des lettres à destination de la direction régionale des services pénitentiaires "m'avertissant" et dont je découvris fortuitement l'existence au cours de l'affaire des portes fermées – les lettres de cachet dans l'esprit sinon dans leur finalité ne sont pas loin – et celui de l'inspection de l'administration centrale diligentée à la maison d'arrêt de Nîmes suite à "l'affaire de la psychologue" et dont aucun retour de quelque nature que ce soit ne fut communiqué. 309

La matérialité la plus objective de cette "pénitentiarisation" me semble se tapir dans les textes réglementaires que j'ai longuement analysés dans un précédent chapitre mais aussi dans des comportements, des façons de faire qui, considérés isolément pourraient passer pour anodins, mais qui, ensemble font système. Je les ai mis en évidence tout au long des pages qui précèdent. Je me contenterai ici d'en dresser la liste, qui a très peu de chances d'être exhaustive. Au titre du glissement progressif de cette impunité et de ce même culte du secret, je me contenterai aussi, pour en terminer avec la "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral de rappeler quelques uns des épisodes, des péripéties déjà traités.

Le plus probant, parce que le plus facilement objectivable, est bien sûr celui que je développe longuement dans le chapitre 5 Des textes réglementaires. Il y est à l'œuvre, globalement, une préoccupation constante cherchant à autonomiser le monde de l'enseignement en prison de son environnement "naturel" et dont il est issu, celui de l'éducation nationale. Et cela passe par la création d'instances, unités locales d'enseignement et autres unités pédagogiques régionales n'ayant d'autres réalités que celles que veut bien lui concéder l'administration pénitentiaire, par une tentative, largement inaboutie du fait de l'action déterminée des enseignants de base, d'opérer un dessaisissement au profit de "commissions maison" – relevant de fait sinon de droit de l'administration pénitentiaire – des instances ordinaires de l'éducation nationale régissant la vie institutionnelle ordinaire des enseignants ordinaires que sont aussi ceux d'entre eux qui travaillent en prison.

Pour m'en tenir à un seul exemple, emblématique, le quasi transfert de l'autorité en charge des enseignants de leur supérieur hiérarchique naturel au responsable de l'unité pédagogique régionale, membre de l'éducation nationale certes mais beaucoup trop "courtement" attaché à l'administration pénitentiaire est particulièrement éclairant. Sa promotion en tant que conseiller du recteur comme sa responsabilité quant à l'organisation annuelle d'une "réunion des inspecteurs pour réfléchir aux conditions de mise en œuvre des projets pédagogiques" me semblent en la matière largement suffisantes.

De façon tout aussi emblématique elle aussi, voire franchement caricaturale, la circulaire d'octobre 2000 relative à l'organisation de l'enseignement en milieu pénitentiaire mérite un rapide rappel. Il a été question, dans des projets de textes officiels, généraux, de créer des commissions devant lesquelles les enseignants demandant à travailler en prison auraient vu leur candidature soumise, puis à la fin de leur première année afin que ladite commission émette un avis transmis à l'autorité hiérarchique compétente de l'éducation nationale puis, tous les trois ans, les instances académiques s'assuraient toujours auprès de cette commission de "l'opportunité éventuelle de proposer à l'enseignant un retour sur un lieu d'exercice hors du milieu pénitentiaire". Fermez le ban ! Bref, c'était la "Déclaration d'indépendance de l'enseignement en milieu carcéral". Et ce texte, ces textes n'étaient censés relever que de la seule éducation nationale ! Il est vrai qu'ils avaient été rédigés "à la demande de divers partenaires, internes au ministère comme externes (le ministère de la justice notamment)".

Les péripéties plus anodines ou moins facilement objectivables :

Il me semble, à la fin de ce parcours mixant des exemples de nature très diverse j'en conviens, et au risque de me répéter, qu'à défaut d'une authentique, vérifiable et reproductible démonstration de l'existence réelle et avérée de cette "pénitentiarisation" de l'enseignement en milieu carcéral, j'aurai réussi à tout le moins, à en débusquer non pas l'existence, la réalité mais des éléments épars, diffus qui, à défaut de la cerner dans son ensemble en auront éclairé quelques unes des facettes.

Quittant ce registre, je vais maintenant essayer, dans une perspective plus large, d'un point de vue plus éloigné, plus élevé de m'extraire du monde de l'enseignement en milieu pénitentiaire pour embrasser celui de la prison dans son ensemble.

Renversant la problématique éculée bientôt deux fois centenaire de "l'échec de la prison" quant à ses prétentions correctrices sinon éducatives, quant à son utilité sociale au sens humaniste du terme, Michel Foucault assure qu'il faut l'envisager comme une réussite certaine sinon exemplaire : "Mais peut-être faut-il retourner le problème et se demander à quoi sert l'échec de la prison ; à quoi sont utiles ces différents phénomènes que la critique, continûment, dénonce : maintien de la délinquance, induction de la récidive, transformation de l'infracteur d'occasion en délinquant d'habitude, organisation d'un milieu fermé de délinquance." 310

Pour faire court, Michel Foucault avance qu'il "faut concevoir un système pénal comme un appareil pour gérer différentiellement les illégalismes, et non point pour les supprimer tous" 311 , ces illégalismes, réprimés ou non, évoluant avec le temps, au gré des dispositions politiques générales, des orientations politiques dominantes à tel ou tel moment historique. Ce système pénal, dont la prison est le bras séculier et ignoré pour l'administration de ce châtiment qu'est la peine à temps et qui a très rapidement remplacé tous les autres à l'orée du XIX siècle, a pour fonction sociale ultime et première d'assurer la domination d'une classe sur l'autre ou les autres, en déterminant les illégalismes qui "mériteront" d'être poursuivis, sanctionnés de ceux qui ne le seront pas ou moins. Ainsi, au cours du XIX siècle seront poursuivies les manifestations collectives de refus des ouvriers de se plier aux "règles" mises en place pour favoriser l'essor industriel, contribuant ainsi à assurer la domination de la classe bourgeoise, des industriels.

Mais au-delà du jugement, la grande réussite du système carcéral est la création du délinquant quand le système juridique ne connaît que l'infracteur. Entre les deux, s'insère la biographie comme faisceau d'indices ne pouvant que conduire à l'infraction. D'où la récidive toujours dénoncée, toujours stigmatisée comme "preuve" de l'échec de la prison, mais selon Michel Foucault, quasi produite par le système carcéral, ces délinquants récidivistes, repérés, connus voire infiltrés, non dangereux pour la société dans son économie générale pouvant servir de point de fixation des illégalismes poursuivis en laissant d'autres, économiques par exemple, se développer librement voire prospérer. Et ces faisceaux d'indices, ces biographies seront construits à partir des "techniques disciplinaires" fondées notamment sur la collecte de données, classées, triées, sur l'examen – au sens médical du terme, l'observation – des comportements, ceux-ci pénétrant en même temps l'ensemble des institutions de normalisation comme l'école, l'hôpital.

Pour le dire en d'autres termes que les siens, s'il n'est pas question de la pénitentiarisation de l'enseignement en milieu carcéral, il est question tout au long de Surveiller et punir de la "carcéralisation" de l'ensemble de la société, de sa normalisation par l'imposition de modes de contrôle, de domination issus du dressage des corps et par delà des âmes par l'intermédiaire des disciplines sériant, fragmentant, classant les individus dans un continuum réputé observable, scandé par des examens en continu produisant la documentation fine, toujours plus fine permettant de les enfermer dans un cheminement normalisé, sans trop de déviance. Ce qui revient à dire que "l'échec de la prison" est sa plus belle victoire, le signe de sa réussite, de son assomption comme mode opératoire d'une domination d'autant plus implacable que camouflée derrière les constats, souhaits voire propositions de loi déclarant de loin en loin l'urgente nécessité de la réformer. 312

De façon voisine, peut-être plus psycho - sociologique, Patrick Declerk a parfaitement résumé la fonction sociale que l'on peut attribuer à la déviance, aux déviants. Qu'on me pardonne cette longue citation :

"Le clochard, comme le criminel, le toxicomane et la prostituée, est une des grandes figures de la transgression sociale. Il est la figure emblématique de l'envers ricanant de la normalité et de l'ordre social. Il en est le bouffon et le négatif. Il en est, de par son existence même, le radical critique. De plus, il présente l'apparence d'être libre, sans attaches et sans obligations. En cela, il est séducteur. En cela, il est dangereux. Séduction et dangerosité, dont se protège l'ordre social, en condamnant les clochards, comme les autres marginaux transgressifs, à une souffrance minimale, mais structurelle. Supportable, mais visible.

Il est nécessaire à l'ordre social que la vie des clochards soit structurellement difficile. Il faut que leur "choix" se paie. Tout comme il faut que la vie des prisonniers reste pénible au-delà des simples contraintes de l'enfermement ; que les prostituées aient une vie infernale (proxénètes, violences, absence de protection sociale, etc.) ; que les toxicomanes ne soient pas seulement traités comme des malades, mais comme des délinquants … Ces souffrances visibles infligées aux transgressifs ont pour fonction de les stigmatiser et, par là, de décourager les vocations, que les fantasmes qu'ils font naître en nous pourraient susciter.

Si ces souffrances ne doivent pas dépasser un certain seuil de tolérance – seuil au-delà duquel elles risqueraient de devenir scandaleuses et de finir, en éveillant la sympathie et la pitié, par avoir alors l'effet inverse de celui primitivement escompté -, il est néanmoins nécessaire à l'homéostasie de l'ordre social que la marginalité continue d'apparaître comme une alternative, sinon impossible, du moins difficile, hasardeuse et douloureuse, à la normalité. Il est essentiel au bien-être psychique des esclaves volontaires que nous sommes, nous autres laborieux, nous autres chargés de famille, nous autres normaux, que nous puissions, au spectacle de la marginalité souffrante, nous féliciter de notre bonne fortune. L'illusion doit à tout prix être maintenue qu'il n'existe en dehors de la société, de la normalité, de l'emprise de l'Etat, aucune alternative viable, aucun aménagement sérieux. Sérieux, voilà le mot. Sérieux soyons. Sérieux restons. Baissons la tête. Travaillons surtout." 313

Plus simplement, plus rapidement surtout, Nicolas Frize ne dit pas vraiment autre chose quand il écrit : "le coupable est un sujet de désir… Plus tard, le prisonnier sera un écrou, sujet d'oubli et de crainte : pourvu que sa souffrance nous fasse oublier ce désir" 314

Vouloir réformer la prison serait donc un leurre. Qu'elle soit utile ou inutile, ou plutôt quelle que soit son utilité, la preuve est faite, et depuis longtemps, qu'elle est figée, immobile, immuable. Espérer pouvoir la changer, à défaut de l'abolir, suppose non pas de lui appliquer telle ou telle réforme, en fait toujours la même et toujours aussi vaine 315 , mais peut-être de traiter autrement les différents illégalismes, de les différencier d'une autre manière.

Avant d'en terminer sur une note un peu plus espérante, une dernière anecdote. Une loi assez récente a criminalisé, pénalisé tout au moins, les rassemblements gênant la circulation au pied des immeubles. Il faut entendre "rassemblement de jeunes en difficulté" en bas d'immeubles de "quartiers difficiles".

Mes grands-parents maternels habitaient une maison à étage située à l'entrée du petit bourg où ils vivaient. L'été venu, ils allaient fréquemment "prendre le frais" en bas de chez eux. Ils s'installaient confortablement sur des chaises qu'ils avaient descendues de leur logement, et rencontrant là des voisins venus se livrer à la même occupation éminemment sociale, il n'était pas rare que se forme une espèce de cercle de "palabreurs" occupant sans aucun scrupule une portion de trottoir quand ce n'était pas aussi une portion de la chaussée s'il s'avérait nécessaire de par trop agrandir le cercle. Et, si d'aventure, un passant, avec ou sans poussette, entendait franchir cet "obstacle", il devait le contourner, en empruntant plus ou moins largement selon les cas de figure, la partie de la rue ordinairement réservée aux véhicules. Bref, mes grands-parents et leurs voisins gênaient grandement la circulation en bas de leur immeuble, et ce sans aucune discussion possible. Il me plaît de penser que cette bande de sexagénaires et de septuagénaires commettaient un grave illégalisme, qui, heureusement pour eux, n'était pas poursuivi ni sanctionné. Il est même possible que si l'Estafette Renault de la brigade de gendarmerie locale passait par là, ils en saluaient les occupants qui, probablement devaient leur rendre le bonsoir.

Par l'intermédiaire d'un micro – exemple supplémentaire à la signification très limitée, j'ai voulu illustrer de façon non socialement trop marquée, l'évolution, relevant de choix éminemment politiques, de la qualification et au-delà de la poursuite de tel ou tel illégalisme.

Changeons d'échelle et cap au nord : la Finlande. Ce pays 316 a connu, du point de vue du taux d'incarcération 317 une évolution très contrastée au cours du vingtième siècle et non conforme à celle constatée dans les autres pays scandinaves, Norvège, Suède et Danemark. Si jusqu'en 1918 les taux d'incarcération sont à peu près similaires – la Finlande étant un pays qui incarcère néanmoins un peu plus que ses voisins – à partir de cette date se produit un "décrochage", le taux d'incarcération finlandais montant jusqu'à 250 alors que dans les trois autres pays, les taux se maintiennent entre 50 et 100. Les histoires politiques différentes expliquent ce brusque décrochage. C'est la "guerre civile incroyablement brutale" 318 et les 100 000 prisonniers qui en furent une des conséquences qui rend compte de cette énorme différence. Par la suite, le taux finlandais connaîtra des hauts et des bas, plus de hauts que de bas, toujours sans aucune mesure avec ceux des autres pays nordiques. Ainsi, aux environs de 1970, la Finlande incarcérait plus de 150 personnes pour 100 000 habitants alors que les trois autres pays se contentaient de n'en mettre à l'ombre que 50 environ, un peu plus pour la Suède et la Norvège, un peu moins pour le Danemark.

Puis, à partir de 1976, le taux d'incarcération finlandais va peu à peu décroître passant de 120 à cette date à 50 environ en 1998, c'est à dire en surpassant "les autres pays nordiques dans sa limitation du recours à l'emprisonnement". 319

Comment cela peut-il s'expliquer ? "La législation nous a fait nous habituer à un niveau punitif élevé, avec de lourdes peines pour les différentes infractions […] Pendant les années 1970 la Finlande avait trois fois plus de détenus que la Norvège." 320 Mais si en 1970 tel était le cas, cela a changé, la Finlande étant devenu, au moins du point de vue du taux d'incarcération, un pays scandinave comme les autres. Selon K. J. Lang, "le nombre de détenus n'a que peu de rapports avec la criminalité. Le nombre de détenus est plutôt lié à une situation générale de confiance dans la société et à un équilibre politique." 321 Si c'est un ancien directeur général du système pénitentiaire, fût - il finlandais, qui le dit ! Ainsi, si dans les années 1970 la Finlande avait trois fois plus de détenus que la Norvège, ce n'était pas "parce que la Finlande mettait trois fois plus de personnes en prison, mais parce que chaque détenu passait trois fois plus de temps en prison en Finlande qu'en Norvège." 322

Il s'est trouvé alors un certain nombre d'hommes, de responsables, d'experts partageant "la conviction presque unanime que le niveau élevé d'incarcération en Finlande était une honte et qu'il serait possible de réduire de façon appréciable le nombre et la longueur des peines de prison sans répercussions sérieuses sur la criminalité." 323 Dit autrement, les Finlandais n'ont plus voulu, du point de vue du taux d'incarcération que leur pays ressemble plus longtemps à leur voisin de l'est, l'URSS à l'époque, mais ont au contraire décidé de se rapprocher de leurs voisins de l'ouest, les autres pays scandinaves. Ils avaient en quelque sorte décidé qu'assez était assez. Pour cela, "Grâce aux efforts d'un groupe d'individus clefs il est devenu possible d'établir que le degré d'incarcération en Finlande posait un problème, et la formulation du problème, à son tour, a produit un certain nombre de décisions, allant des réformes légales à des décisions journalières prosaïques, qui toutes ont contribué au résultat final." 324

C'est ainsi que ces responsables et autres experts "parvinrent à une réduction du taux d'admission dans les prisons ; certaines lois furent modifiées, les amendes furent infligées plus souvent, les peines de prison se firent moins fréquentes. Les chiffres de l'emprisonnement ne sont pas des artifices ; ils ont été transmis par des acteurs importants, qui expriment des valeurs et des objectifs essentiels de leur temps." 325 Ce sont ces faits qui étayent l'assertion suivante : "L'histoire pénale de la Finlande montre que les chiffres de l'emprisonnement ne sont pas déterminés par la criminalité, mais par des décisions culturelles et politiques. Ils sont basés sur des décisions portant sur le genre de société à laquelle nous voulons appartenir." 326

La décision quant à la société à laquelle nous voulons appartenir considérée en la circonstance à l'aune du taux d'incarcération est évidemment et éminemment politique. Voulons-nous, comme en de très, trop nombreux autres domaines "ressembler" en matière de "carcéralisation" aux U.S.A. où, en 1997 le taux d'incarcération était de 648 alors qu'il n'était que de 90 pour la France et 54 pour la Grèce 327 , histoire de ne pas me référer uniquement aux pays nordiques ?

Pour revenir en France, en 1891 une loi qui "permet aux juges d’accorder un sursis aux délinquants primaires qui encombrent les prisons départementales [entraîne] une décrue spectaculaire des effectifs des prisons (125 000 en 1891, 78 722 en 1901, 20 260 en 1907) et des flux annuels d’incarcération." 328 Auparavant une "loi sur la libération conditionnelle contribue à une diminution de la population des centrales qui passe de 16 497 détenus en 1885 à 12 443 en 1890." 329 Ce sont là, bien sûr des décisions éminemment politiques !

"Au 1erfévrier 2004, la population détenue en métropole et outre-mer s'élève à 60 905 personnes soit, à la même date, 4 135 personnes de plus qu'en 2003 (+ 7,3 %), 10 595 personnes de plus qu'en 2002 (+21 %) et 12 913 personnes de plus qu'en 2001 (+ 27 %). 56 528 personnes sont détenues en métropole et 4 008 en outre-mer." 330 Ce qui donne un taux d'incarcération de l'ordre de 100 ! "Au 1er mai, l’administration pénitentiaire dénombrait 62 900 détenus, auxquels s’ajoutent 900 personnes qui, bénéficiant d’un placement à l’extérieur ou effectuant leur peine sous surveillance électronique, étaient hébergées hors les murs. [ ] Cet été, les prisons devraient compter environ 64 000 détenus, et l’année 2004 devrait s’achever avec une population d’environ 66 000 personnes." 331

Quand déciderons-nous que "assez est assez" ?

Notes
305.

N. Frize, Le sens de la peine Etat de l'idéologie carcérale, p 48.

306.

ibid. p 61.

307.

ibid. p 85.

308.

M. Foucault, Surveiller et punir, p 250.

309.

Un lecteur attentif aura en mémoire les autres occurrences de ce phénomène développées précédemment.

310.

M. Foucault, op. cit. p 277.

311.

ibid. p 91.

312.

J'assume cette approche de Surveiller et punir dont je ne contesterai pas la présentation "à la serpe" que l'on pourrait me reprocher.

313.

P. Declerck, op. cit. p 347, 348 et 349.

314.

N. Frize, Le sens de la peine, p 35.

315.

"Depuis un siècle et demi, la prison a toujours été donnée comme son propre remède ; la réactivation des techniques pénitentiaires comme le seul moyen de réparer leur perpétuel échec ; la réalisation du projet correctif comme la seule méthode pour surmonter l'impossibilité de le faire passer dans les faits." M. Foucault, op. cit. p 273 et 274.

316.

Sauf indication contraire, tous les renseignements dont je vais faire état dans cette partie proviennent du livre de Nils Christie, L'industrie de la punition Prison et politique pénale en Occident.

317.

Le taux d'incarcération est le nombre de détenus pour 100 000 habitants.

318.

N. Christie, op. cit. p 55.

319.

ibid. p 54.

320.

K. J. Lang, directeur général du système pénitentiaire finlandais, cité par N. Christie, op. cit. p 55 et 56.

321.

ibid. p 55.

322.

ibid. p 56.

323.

P. Tornudd, cité par N. Christie, op. cit. p 57.

324.

P. Tornudd, cité par N. Christie, op. cit.57.

325.

N. Christie, op. cit. p 58.

326.

ibid. p 57.

327.

L. Wacquant, Les prisons de la misère, p 73.

328.

J.-C. Vimont, La prison A l’ombre des hauts murs, p 48.

329.

ibid., p 47.

330.

Dedans Dehors, revue de l'Observatoire International des Prisons, n° 41, p 10.

331.

Le Monde daté du mardi 1er juin 2004, p 10.