Conclusions

J’ai essayé dans cette partie de rendre compte de la dynamique des pratiques muséales au sein d’un des plus importants musées de la Transylvanie, afin de saisir la conception qu’il met en avant de ce territoire. Au cours des quelques années durant lesquelles j’ai mené des recherches dans cette institution (de 2001 à 2004), j’ai pu identifié les moments forts qui ont été des moteurs de changement dans cette lecture du territoire.

Suite à une analyse détaillée de la mise en exposition des objets, des cartes du territoire, de la toponymie utilisée dans ces cartes ou des inscriptions dans l’exposition, mais également suite à une analyse de certaines politiques de recrutement du personnel, des diverses actions ou des autres pratiques muséales, je peux émettre quelques conclusions.

L’impression principale qui se dégage de l’exposition permanente du musée est celle d’une histoire de la Transylvanie qui reprend les principes de rédaction des manuels scolaires d’histoire des Roumains : une histoire qui relate dans tous ces moments, des origines à nos jours, l’unité du peuple roumain. En quelque sorte, même le nom de Musée National d’Histoire de la Transylvanie exprime l’idée que cette région est vue comme une province essentiellement roumaine depuis toujours. Au côté des deux autres provinces de la Roumanie, sa spécificité se fond dans un tout national monolithique. Dans ce contexte, la diversité culturelle de la région et l’histoire des autres communautés de la Transylvanie ne sont pas vues comme des parties organiques de ce territoire ; ils ne sont qu’une pièce rattachée, une annexe ou une dimension proportionnelle d’un tout unitaire.

J’ai pu observer que les objets représentatifs de la vie des différentes communautés aujourd’hui numériquement minoritaires, ne sont pas totalement absents. La présence de ces objets dans le musée et des membres de ces communautés servaient même d’instrument de contrôle au régime communiste afin d’empêcher toute opposition à ce dernier. Ces objets étaient utilisés dans des discours ou dans des mises en scènes qui ne faisaient que souligner encore une fois l’unité du peuple roumain.

Les histoires de la Transylvanie se racontent autour de ces objets et de leur mise en exposition. Cependant, au MNHT, une présentation lacunaire des objets, en dehors de leur contexte social d’utilisation, laisse ces derniers dans un anonymat à partir duquel tout récit amené à s’en emparer peut trouver sa place. Finalement, muséographes et public, construisent autant de Transylvanies désirées que de récits inventés autour des objets. De plus, un objet peut être conçu et mis en circulation comme un patrimoine ou n’être qu’un objet laissé dans les réserves. Dans ce dernier cas le musée est l’agent d’une institutionnalisation de l’oubli.

Ce glissement de l’objet entre plusieurs registres de valorisation est en lien étroit avec les usages que différents groupes font de lui. L’objet peut appuyer la construction et la célébration d’une conscience et d’une unité nationale (comme cela fut le cas dans des contextes différents à partir du XIXe siècle jusqu’à nos jours). Il peut jouer le rôle de preuve de la présence continue du groupe sur le territoire et de son antériorité (comme c’est le cas de 1963 jusqu’à aujourd’hui) ou il peut avoir d’autres divers usages.

Le statut de l’objet s’ajuste de manière permanente en fonction du contexte. En quête de reconnaissance institutionnelle et adoptant une politique de développement touristique principalement à l’égard du public hongrois, le musée commence, à partir de 2002, à repenser ses stratégies et pour cela il laisse timidement un peu de place à un autre discours sur l’objet. Les tentatives de mise en avant d’un patrimoine « hongrois » sont les premiers signes d’un nouveau cadre de pensée des rapports entre les différents groupes ethniques de Transylvanie et de leur rôle dans l’histoire locale. Le discours national, si longtemps reconnu comme le seul légitime, conservant encore de nos jours de forts partisans au sein du musée, sera concurrencé par de nouveaux discours et par des pratiques émergeantes de reconnaissance de l’autre. A l’interstice de tous ces discours et pratiques, une nouvelle Transylvanie est en cours de construction. Lors de mes recherches de terrain durant l’été 2004, j’ai pu observer le caractère inédit de ces nouvelles pratiques muséales de mise en scène de l’objet : l’exposition du musée semble devenir la scène de présentation et d’affrontement des deux versions de l’histoire qui, métaphoriquement, par l’intermédiaire des objets, sont pour une première fois présentes dans la même vitrine. L’exposition est de fait l’espace de compétition des muséographes roumains et hongrois et, plus largement, des deux communautés imaginaires (les Roumains et les Hongrois) dont les liens et les séparations sont renégociés par l’intermédiaire de cet objet muséal.

Mon terrain prend fin en plein processus de renégociation de l’histoire et, par son biais, de cette catégorie symbolique qui est le territoire de la Transylvanie. Ce processus de renégociation laisse entrevoir au niveau de la pratique des formes de participation en commun à la construction d’un nouveau « vivre ensemble ».