Quel renouveau dans le Musée d’Ethnographie de la Transylvanie ?

Tenant compte de la volonté du musée de renouveler son exposition permanente, une question pourrait se poser : quels sont ces changements prévus par l’équipe muséale ? Pourquoi ce besoin de changement dans l’exposition permanente n’a pas été ressenti tout de suite après la chute du communisme ?

Un muséographe me déclare :

‘« Nous n’avons pas eu dans notre exposition permanente des objets qui politisaient le discours. Donc en 1990 nous n’avions pas des raisons pour changer l’exposition car nous n’avions pas de citations de Ceausescu, ni d’objets créés par la période socialiste. » (T. I., 58 ans)’

D’autres muséographes argumentent sur le fait que les objets représentatifs pour les diverses communautés de Transylvanie étaient déjà présents avant 1989. Selon eux, un des problèmes posés par la censure communiste était moins la présence de tel ou tel objet dans le musée que sa dénomination. Ainsi, même des objets religieux (comme les icônes ou les objets de rituels pendant les fêtes religieuses) pouvaient apparemment être exposés, malgré les restrictions du régime par rapport à l’affirmation de toute identité ou sentiment religieux ; cependant, ces objets devaient s’appeler des objets d’« art populaire ». De la même manière, les publications ethnographiques devaient remplacer les termes qui faisaient référence aux fêtes religieuses : par exemple, les fêtes de Noël devenaient « les fêtes d’hiver » et les fêtes de Pâques « les fêtes de printemps ». Mes interlocuteurs affirment que la censure s’opérait plutôt au niveau des dénominations et moins au niveau des objets eux-mêmes. Cela justifierait selon eux que le renouvellement de l’exposition après 1989, au niveau de sa conception, n’a pas été un objectif prioritaire.

Dans ces conditions, nous pouvons aussi comprendre que les nouveaux changements prévus depuis quelques années ne concerneront ni cette conception générale de l’exposition ni la conception du territoire de la Transylvanie. A part la restauration du bâtiment et le fait d’accorder un espace plus grand pour l’exposition permanente, les muséographes ont deux objectifs majeurs. Dans un premier temps, l’accent est mis sur une nouvelle mise en scène qui permettrait aux publics la compréhension des usages de l’objet et de leur façon de fonctionner:

‘« Surtout en Occident, mais cela est valable également pour les jeunes d’ici, il y en a qui n’ont pas vu de leur vie un araire en bois. Ils ne savent rien d’une chose pareille. » (S. M., 42 ans)’

Si, effectivement, l’exposition antérieure ne permettait pas de comprendre les usages d’un objet, cette nouvelle proposition du musée s’inscrit toujours dans la direction d’une ethnographie de sauvetage.

Dans un second temps, l’équipe muséale souhaite illustrer par de nouveaux objets les thèmes qui sont insuffisamment représentés, et ajouter de nouveaux thèmes :

‘« Nous avons décidé de garder toujours l’ancienne organisation évolutive 231 . On commence avec la cueillette en nature et ici il faut qu’on rajoute des thèmes car nous n’avons que la chasse et la pêche. On veut introduire l’apiculture car elle était une occupation très importante dans le village roumain…Donc en grande partie nous gardons la même structure, car notre exposition était une sorte de panorama de toute l’ethnographie roumaine, et nous compléterons certains thèmes ». (D. S., 39 ans)’

En conséquence, il est question d’un changement plutôt en extension, car sinon cette organisation thématique du simple au complexe, de la cueillette en nature jusqu’aux coutumes « spirituelles » et culturelles suit la direction d’un même et vieux principe chronologique et de l’évolution.

Rien de neuf non plus quant à la mise en valeur de la diversité culturelle de la région. Jusqu’à l’été 2004, je n’avais aperçu aucune intention de changement au niveau du message du musée, c’est-à-dire l’intention de diffuser un message destiné avant tout à une population locale. La Transylvanie se perdait derrière la rhétorique bien connue du « village roumain » et d’une ethnographie mise au service de l’idéologie nationale. Cependant, par ces caractéristiques d’espace multiethnique et multiconfessionnel, la Transylvanie permettrait davantage qu’un autre espace, de remettre en question les bases mêmes de cette discipline et de réfléchir sur son instrumentalisation idéologique jusqu’à nos jours.

Lors de mon dernier passage dans la ville, en mai 2005, j’ai pu remarquer que de nouvelles discussions ont été portées sur l’organisation de l’exposition permanente et sur son titre. Si la succession des thèmes reste identique à l’exposition antérieure, deux courants d’idées différents se sont manifestés parmi les muséographes par rapport à l’intitulé de cette nouvelle exposition permanente. Ainsi, certains ont opté pour « La culture traditionnelle transylvaine dans les années de l’entre-deux-guerres », d’autres pour « La civilisation rurale transylvaine entre 1600-1950 ». La solution choisie fut la première. Il semble que ce choix a eu deux arguments principaux : d’une part, les acquisitions les plus importantes sont faites à cette époque, d’autre part, l’arrivée du communisme aurait affecté l’image du village « traditionnel » avec les transformations imposées par le régime communiste. Mon court passage dans la ville ne m’a pas permis d’avoir des informations supplémentaires sur ces deux positions, relatives à l’intitulé de l’exposition. C’est la raison pour laquelle je me limite ici à quelques remarques qui les concernent. Ces options témoignent d’une conception statique selon laquelle le « village traditionnel » est une construction muséographique figée, cantonnée à l’image idéalisée du village de l’entre-deux-guerres. Autrement dit, depuis environ soixante ans, le paysan de Transylvanie ne vivait plus dans l’authenticité, donc le vrai paysan n’existait presque plus. Concernant la période communiste, nous avons pu observer que même plus de quinze ans après la fin de ce régime, les employés des deux musées ont du mal à faire un travail muséographique sur cette période. Bien que ce travail ait débuté il y a des années déjà dans le musée d’histoire, il est pour l’instant mis de côté dans le musée d’ethnographie. Malgré l’intitulé de l’exposition qui fait appel dans les deux cas à la « culture transylvaine », cette dernière fait toujours référence au paysan « roumain » de Transylvanie.

Je souhaite mettre en évidence une autre dimension de cette mise en exposition de la diversité culturelle, laquelle a connu quelques variations après 1989, cependant pas jusqu’au point de modifier le cadre muséologique de référence. La politique muséale concernant l’exposition de la diversité ethnique en Transylvanie a connu quelques petites fluctuations dues à un contexte national particulier. Sous la pression de l’Union Européenne, l’Etat a dû montrer qu’il était apte à remplir un des critères de l’adhésion, à savoir sa bonne relation avec les minorités ethniques. Les musées ont bénéficié de cette préoccupation ponctuelle de l’Etat qui s’est traduite par quelques financements destinés à la mise en valeur du patrimoine des communautés ethniques minoritaires.

Ces financements ont permis l’organisation de quelques expositions temporaires qui ont tenté de mettre en lumière la culture matérielle des différentes communautés de Transylvanie, et en particulier la communauté saxonne. Nous remarquons ici une analogie avec le musée d’histoire qui organisait lui aussi une exposition sur « Les présences allemandes dans l’histoire de la ville de Cluj ». Cependant, aucune exposition similaire sur la communauté hongroise n’a été réalisée.

Après 1996, lorsque le musée passe sous la subordination du Conseil Départemental (judetean), et une fois passée la vague des financements pour la mise en valeur du patrimoine des groupes ethniques, ces projets deviennent plus rares, au gré des financements ponctuels. Un exemple est le projet de publication de deux volumes sur le « costume populaire » de la région de Cluj (un volume sur le costume « roumain » et un autre sur le costume « hongrois »). Malgré la qualité extérieure de la publication (seul révélateur d’un financement conséquent), sa qualité scientifique est assez contestée même au sein de la communauté scientifique roumaine, comme me le montre les critiques d’un ancien employé du musée d’ethnographie que j’ai rencontré. Il met en doute le professionnalisme des auteurs de ces publications. Un aspect important à mentionner est aussi le fait que ces volumes ne bénéficient pas de la reconnaissance des ethnographes hongrois. Ce type particulier d’action du musée renvoie aux paroles d’un représentant de la communauté hongroise :

‘« Certains sont très fiers de la multiculturalité de la Transylvanie. Mais dans leur tête cela veut dire une culture dominante et quand il faut démontrer qu’ils respectent la démocratie ils font un petit coin d’exposition en sortant vite quelque chose…Mais ensuite ça disparaît de nouveau, n’est pas étudié, on n’en fait pas de ça un thème de recherche » (représentant du département de culture, Union Démocratique des Magyars de Roumanie).’

Pour résumer, ces financements irréguliers – provenant d’ailleurs souvent des institutions européennes - ne reflètent qu’une fois de plus une conception de ces communautés minoritaires en termes d’annexe à l’histoire et à la culture de la Transylvanie. Ces financements ont été utilisés pour la réalisation des expositions consacrées presque exclusivement aux patrimoines de ces groupes, sans rendre compte d’une conception dans laquelle les communautés sont pensées ensemble dans un même temps et un même espace, et en relation ou en interaction les unes avec les autres. Il est inutile de rajouter que les expositions du musée d’ethnographie n’ont pas réussi, au moins jusqu’à présent, à rapprocher les communautés ethniques vivant sur ce territoire et à concevoir une Transylvanie commune à toutes ces populations. L’usage dans des projets locaux de ces financements européens destinés à mettre en valeur la « diversité ethnique », n’a fait qu’essentialiser, une fois de plus, ces groupes ethniques.

Notes
231.

Je souligne.