2.1.3 « Les Fêtes Transylvaines » : Le Festival de la Culture et des Traditions Populaires de Transylvanie

Introduction

Dans mon parcours de recherche pour repérer les lieux où la Transylvanie était donnée à voir dans la ville de Cluj-Napoca, je me suis arrêtée sur un événement particulier de cette ville : les « Fêtes Transylvaines ». Avec cet exemple, je continuerai l’analyse de la politique du musée d’ethnographie, qui était présent à cette manifestation, afin d’enrichir mes analyses sur la construction socio-politique du territoire de la Transylvanie.

Outre sa forte exposition liée à son déroulement sur une des places du centre-ville, cet événement a pour le chercheur un autre intérêt. Il réunit plusieurs acteurs institutionnels232 engagés dans le soutien de cette manifestation et offre ainsi un exemple d’événement culturel encouragé par les politiques culturelles, dans un contexte où de nombreuses associations et institutions publiques connaissent des difficultés financières. Le grand nombre d'organisateurs montre une large adhésion au niveau institutionnel au type de message promu par cette fête.

Cette manifestation est récente et se déroule chaque printemps (ou été) depuis 2001. N'ayant pas pu être sur le terrain lors de chaque édition du festival, mes observations concernent plutôt sa troisième édition (du 17 au 19 mai 2002). Cependant, les entretiens menés avec des organisateurs et des artisans présents à cette manifestation portent également sur d’autres éditions (2001, 2003). J’ai mené des entretiens plus particulièrement auprès des trois principales institutions organisatrices (la Fondation EtnoStar, le Musée d’Ethnographie de la Transylvanie et le Centre de Création et de Valorisation de la Tradition Populaire), ainsi qu’avec les artisans appelés à présenter leur productions matérielles lors de la fête.

Mon propos n’est pas de faire une ethnographie complète de cet événement, mais de m’arrêter sur quelques éléments qui m’ont semblé importants pour une analyse de la production sociale et politique du territoire.

Les « Fêtes Transylvaines » sont considérées comme la plus importante manifestation de folklore de Transylvanie. Pendant trois jours, les habitants de Cluj et les touristes assistent à des spectacles de chant et de danse traditionnels de différents groupes folkloriques, principalement de Transylvanie, et à une foire d’objets d’art populaire venant de tous les coins de la Roumanie. Pour offrir une image de l’ampleur de cette manifestation, elle a accueilli en 2002 vingt-sept groupes folkloriques et soixante-seize créateurs populaires (quatre-vingt huit en 2003).

Depuis 2002, la fête réunit deux événements qui auparavant avaient lieu séparément : le spectacle de danse et de chant folklorique et la « Foire des Créateurs Populaires ». Le premier, organisé par la Fondation EtnoStar, s’est tenu pour la première fois en 2001 sur la Place Avram Iancu. L’année suivante, il fut déplacé dans la Maison de la Culture des Etudiants. Quant à la foire, elle a débuté dans les années 80 dans la cour du musée d’ethnographie qui organisait cet événement et ensuite, pendant quelques années et jusqu’en 2002, elle s’est tenue sur la Place de l’Union (Piata Unirii). En 2002, avec la mise en commun de ces deux événements, le festival est déplacé sur la Place Avram Iancu, avec l’accord unanime des organisateurs. Je reviendrai sur les raisons de ce transfert.

Dans un premier lieu, j’ai pu remarquer le caractère d’exemplarité accordé à cette manifestation par les organisateurs. Le but de celle-ci est exposé par l'un des responsables de cette fête :

‘« Étant donné sa position centrale en Transylvanie et sa tradition universitaire et intellectuelle, la ville de Cluj mérite d'avoir quelques manifestations emblématiques, qui devraient dessiner une stratégie culturelle à mettre en place également dans d'autres villes de Transylvanie (...) Par cette fête nous nous proposons de souligner l’identité des habitants de cette région du pays et la spécificité de la création populaire transylvaine. » ’

Si les « Fêtes Transylvaines » se veulent un modèle pour toute la région, il reste à s’interroger sur le message qu’elles transmettent au public et sur la lecture du territoire de la Transylvanie qu’elles offrent aux habitants de Cluj et aux touristes.

Les objectifs des trois principales institutions organisatrices convergent vers une ethnographie de sauvetage par rapport à une « tradition populaire » qui serait mise en danger par l’urbanisation et la mondialisation (la question de l’élargissement européen revient souvent dans le discours).

Le directeur de la Fondation EtnoStar, celui qui a eu l’initiative de cette fête, affirme :

‘« L’idée initiale était de soutenir les groupes folkloriques provenant tant les villages que de la ville de Cluj. Les groupes venant de Cluj, de la ville, étaient en grande partie liés aux entreprises, selon le modèle de l’ancien régime. Après 1989, une fois en difficulté, ces entreprises ont tout d’abord renoncé à ces groupes folkloriques, à ces fanfares, clubs de théâtre ou équipes de foot. Ces groupes ne survivent que par l’enthousiasme de leurs danseurs, en attente d’un spectacle à l’étranger qui pourrait les sauver d’une année sur l’autre. »’

L’analyse de cette fête peut être alors intéressante d’un autre point de vue : elle pourrait rendre compte du sort de ces formes de folklorisation en ville, créations du régime Ceausescu. Par quels moyens réussissent-elles à survivre et de quel (nouveau) rôle sont elles investies ? Ces questions peuvent se poser d’autant plus que des travaux d’ethnomusicologie menés dans la ville de Cluj-Napoca233 ont montré que, parmi les types de musique inventoriés dans cette ville comme « patrimoine musical roumain », le genre folklorique est le plus répandu234.

Notes
232.

Les institutions organisatrices sont : Le Ministère de la Culture et des Cultes, Le Conseil Local du Département de Cluj-Napoca, Le Conseil Départemental, Le Ministère des Informations Publiques, La Préfecture du Département de Cluj-Napoca, La Direction Départementale pour la Culture, les Cultes et le Patrimoine Culturel National de Cluj-Napoca, Le Musée d’Ethnographie de la Transylvanie, La Fondation Culturelle EthnoStar et le Centre de Création et de Valorisation de la Tradition Populaire.

233.

Logeay F., « Les logiques de subsistance du patrimoine musical à Cluj-Napoca », in Cerclet D. (dir), op. cit.,Tome 1, p. 112-229.

234.

Les types de musique identifiés par Logeay F. sont : le revivalisme paysan, la musique traditionnelle (dont les acteurs viennent de l’extérieur de la ville et ont un fort ancrage dans la vie paysanne) et le folklore. Basé sur la musique traditionnelle, ce dernier en est une version urbaine, figée et formatée.