Quelques données concernant les Hongrois de Transylvanie

Les habitants de la Roumanie qui se sont déclarés Hongrois au dernier recensement de 2002 sont en nombre de 1.431.807, représentant environ 6.6 % de la population totale du pays. En Transylvanie vivent 98.9% du total des Hongrois du pays, c’est-à-dire 1.415.718 personnes. Les Hongrois représentent dans cette région 19.6 % du total de la population.

Concernant la distribution de la population hongroise en Transylvanie, on distingue plusieurs types de régions : une zone à forte majorité hongroise comme c’est le cas du sud-est de la Transylvanie où les Hongrois représentent plus de 70% de population (judetul Covasna et Harghita ) ; des zones où ils sont à égalité ou faiblement minoritaires face aux Roumains, représentant entre environ 20% et 50% ( c’est le cas du judet Mures et des judete du nord-ouest du pays frontalier avec la Hongrie : Satu-Mare, Bihor, Salaj) ; enfin, des régions qui enregistrent moins de 20% de Hongrois sur le total du judet ( judetul Cluj, qui compte encore un nombre important de population hongroise, le nord de la Transylvanie, le Banat et tout le sud de la région). Pour un tableau détaillé de cette distribution sur les judete de Transylvanie, nous pourrions consulter l’annexe 10.

Distribution de la population hongroise en Transylvanie
Distribution de la population hongroise en Transylvanie

(Source : UDMR (auteurs : Sebők László et Kiss Tamás))

Concernant la répartition ethnique, roumaine et hongroise, selon l’occupation des villes et des villages, nous pouvons observer que le milieu rural présente généralement des villages monoethniques à 80-90%. Les villes à majorité hongroise ne sont pas des grandes villes comme Oradea ou Satu-Mare (où les politiques d’homogénéisation ont fait disparaître la majorité hongroise), mais plutôt des villes moyennes. Elles se trouvent au Pays Sicule qui a été moins soumis à l’arrivée massive des Roumains. Ces villes moyennes et les villages sont finalement devenus un refuge pour les Hongrois de Transylvanie, face aux grandes villes où les besoins industriels et tertiaires ont attiré une nombreuse population (entre autre roumaine).

La configuration démographique actuelle de la carte de la Roumanie, et de la Transylvanie en particulier, porte évidemment les empreintes des politiques de l’Etat roumain de l’entre-deux-guerres et de la période du communisme. Nous avons vu que, dès les années 30, l’élite politique roumaine a mené une politique d’assimilation de la population hongroise, adaptée aux particularités des régions du pays. Ainsi, le Pays Sicule a été confronté à des stratégies d’assimilation moins violentes que le nord-ouest de la Transylvanie. Dans ce traitement différencié des régions de la Transylvanie de l’entre-deux-guerres, les Sicules étaient considérés par les hommes politiques de Bucarest comme des Roumains « dénationalisés » ou des Roumains « cachés »243 car vivant en plein milieu du pays. Par rapport à cette région, la partie du nord-ouest du pays était habitée par des « vrais » Hongrois. De plus, sa position stratégique à la frontière de la Hongrie faisait attribuer à cette dernière région un possible danger d’irrédentisme. C’est pour cela que des politiques d’assimilation plus fortes ont été préconisées ici, allant même jusqu’à la volonté de colonisater ce territoire par une population roumaine rapatriée de Hongrie244.

Comme je l’ai déjà souligné, les politiques d’homogénéisation du pays ont continué plus violemment pendant le communisme, avec les différents découpages administratifs mis en place par le régime ou avec les politiques de migration interne et d’industrialisation forcée. Le Pays Sicule a été moins touché par la politique de déplacement des populations et donc par des changements importants dans la structure ethnique des populations. Il a été cependant confronté à une politique d’isolement devenant ainsi une zone tenue sous contrôle par le pouvoir. Le régime communiste avait créé en 1952 la Région Autonome Hongroise comprenant les départements (judete) actuels de Mures, Harghita, Covasna. Ce territoire répondait au modèle stalinien d’ « autogouvernement » des minorités imposé par les soviétiques, sans diminuer le contrôle de cette région par les instances du parti. La Région Autonome Hongroise a fonctionné jusqu’en 1968, quand le régime impose des nouveaux découpages administratifs restés en place jusqu’à nos jours.

Confrontés aux pressions de plus en plus fortes à partir des années 80, de nombreux Hongrois de Roumanie essaient de quitter le pays pour émigrer en Hongrie ou plus loin. Entre 1985 et 1989, la Transylvanie a vu partir environ 50 000 Hongrois (soit 2,5 à 3% de la population hongroise de la Roumanie245). A cette époque, la possibilité de départ était conditionnée par deux choses : une autorisation de voyage à l’étranger en principe tous les deux ans, mais en fait acquise de manière très aléatoire246 et l’obtention d’un visa.

Ayant à affronter la fuite des Hongrois, le pouvoir se mit à délivrer des passeports selon le statut des demandeurs. Ainsi, on laissait partir les intellectuels, ceux qui faisaient survivre la culture hongroise en Transylvanie, ajoutant ainsi à la déculturation de la population magyare. Par contre, le pouvoir hésitait à abandonner les ouvriers qualifiés qui « donnaient du charbon au pays » ou faisaient tourner les machines dans les grandes usines. Luttant contre l’intelligentsia hongroise qui aurait pu être revendicative, le pouvoir a fermé les écoles hongroises et laissé aux Hongrois les métiers manuels basiques (à la fin des années 80, 70% des écoliers qui étudiaient en langue hongroise ne dépassaient pas l’école primaire247). La société hongroise s’est alors bipolarisée : une masse populaire plutôt pauvre et une intelligentsia décapitée, dont une petite classe formait l’élite. Depuis 1989, les Hongrois ont réactivé un fort réseau d’enseignement censé reformer les élites et diversifier d’un point de vue socio-professionnel leur communauté.

Après 1989, la migration des Hongrois s’est estompée, mais elle est encore très présente (aussi bien parmi les Roumains que parmi les Hongrois) principalement à cause des raisons économiques.

Notes
243.

Livezeanu I., Cultura si Nationalism in Romania Mare, 1918-1930, Bucuresti, Editura Humanitas, 1998, p. 170.

244.

Sur les stratégies d’assimilation culturelles préconisées pour le « Pays des Sicules » et pour la région frontalière avec la Hongrie, pour la période de l’entre-deux-guerres, voir Livezeanu I., op. cit.

245.

Cf. Dankovics L., op. cit., p. 37.

246.

Parfois, l’obtention de cette autorisation était interdite aux Hongrois pour la simple raison de leur identité (déclarée). Je garde des souvenirs des années 80 lorsque ma famille a voulu aller pour deux semaines en Hongrie avec un couple d’amis hongrois. Ces amis nous ont aidé à faire notre demande (qui nécessitait des connaissances en langue hongroise) et ont sollicité des personnes de leur famille de Hongrie qui, en plus de nous héberger, ont accepté de figurer sur les formulaires administratifs pour l’obtention de notre visa. Au final, le visa a été refusé au couple hongrois et donné à ma famille. Je garde le souvenir de la forte discrimination ressentie par nos amis et celui d’un profond malaise ressenti par ma famille. Un an plus tard, après plusieurs sollicitations, nous réussirons à partir ensemble.

247.

Dankovics L., op. cit., p. 36.