2.2.2 Erdély  ou la Transylvanie « hongroise »

Nous avons vu jusqu’à présent des aspects du fonctionnement de la « société ethno-civile » hongroise et de l’univers de ses relations avec d’autres institutions publiques ou civiques. Nous avons pu remarquer un phénomène d’institutionnalisation de la minorité nationale et de nationalising minority dont parlait Kántor Z., par la création d’un système institutionnel propre, sur des bases ethno-culturelles. La langue est l’élément central dans cette construction sociale de la différence culturelle, considérée par les Hongrois de Transylvanie comme le premier signe distinctif de l’appartenance au groupe. Elle est en même temps l’élément principal autour duquel se construit à Cluj, de nos jours, un monde fragmenté du point de vue ethnique (notamment au niveau des élites).

Le processus d’institutionnalisation de cette minorité nationale et les mécanismes de construction sociale de l’ethnicité sont des éléments fondamentaux dans la compréhension du fonctionnement de la communauté hongroise de Transylvanie. Cependant, si ces éléments sont nécessaires à cette compréhension, ils ne sont pas pour autant suffisants. Il est intéressant de remarquer que, selon les résultats de l’enquête Etnobrometru 2001292, 43% du total des Hongrois de Transylvanie se déclarent en premier choix « Transylvains », ceux qui se déclarent en premier « Hongrois » étant 42%. Une des premières choses que nous pouvons retirer de ces chiffres est une très forte identification à la Transylvanie, qui semble être selon ces sondages même plus importante que l’identification ethnique. Je montrerai dans la troisième partie de ce travail que ces dimensions d’identifications sont mouvantes et qu’elles se construisent dans la relation avec d’autres groupes, ce qui fait que dans certaines situations une dimension apparaît comme dominante par rapport à l’autre. Pour le moment, je reste au constat que ces données des sondages nous obligent à analyser, en plus des processus de construction ethnique (Roumains »/« Hongrois »), la signification des catégories comme « Transylvanie » et « Transylvains ». La centralité de la notion de « Transylvanie » dans l’imaginaire hongrois transylvain ressort aussi par une mise en comparaison avec les réponses données par les Roumains de cette région. Nous pouvons observer que 24 % du total des Roumains se déclarent d’abord « Transylvains », tandis que 62 % se considère premièrement des « Roumains ».

Les différences observées entre les deux populations ne doivent pas être interprétées dans le sens où les Roumains n’auraient pas un attachement fort à ce territoire. Mais si eux ont aussi un autre espace référentiel, le cadre politique de la Roumanie, les Hongrois se reconnaissent beaucoup moins dans cet espace. De plus, dans l’imaginaire hongrois, c’est plutôt la Transylvanie qui est investie de cette qualité d’entité politique. Les différences entre les données du sondage pourraient aussi mettre en évidence le fait que le besoin de différenciation des Roumains Transylvains par rapport aux autres Roumains de Roumanie apparaît comme moins important que celui des Hongrois de Transylvanie face à leur confrères de Hongrie. Cette différence pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs. Dans un premier temps, il est question de la force des politiques étatiques d’homogénéisation culturelle et du nationalisme commencés dès l’entre-deux-guerres et ayant comme objectif la destruction des différences régionales et, implicitement, des sentiments liés à cet attachement régional. Ce phénomène a atteint notamment les Roumains, car les Hongrois ont opposé plus de résistance à toutes les politiques homogénéisantes venant de la part de l’Etat. Dans le cas de ces derniers, les politiques de l’Etat de déconcentration et de dispersion des Hongrois par des migrations en dehors de la Transylvanie, n’a annulé en rien la valeur symbolique de ce lieu. Elle n’a fait, au contraire, que la renforcer confortant cette population dans la croyance que l’on veut annuler le lien ancien de cette population à sa terre natale.

Les sondages nous offrent des données quantitatives sur un comportement général de la population, nous indiquant par exemple que 43% des interviewés s’identifient comme « Transylvains ». Mais ces enquêtes ne nous informent ni sur ce que les catégories de « Transylvanie » et de « transylvain » signifient aux yeux des individus, ni sur ce que cet attachement à ce territoire suppose. Si 43% des Hongrois et 24% des Roumains se considèrent comme des « Transylvains », nous verrons que la « Transylvanie » ne veut guère dire la même chose pour les uns et les autres. Il est donc temps maintenant de voir comment les Hongrois de la région comprennent, eux, la « Transylvanie ».

Avant d’analyser le contenu de cette catégorie symbolique, la Transylvanie, à travers les discours et les pratiques des associations hongroises, je m’arrêterai sur quelques éléments de l’imaginaire social de ce territoire en Hongrie. J’interrogerai brièvement la lecture de la Transylvanie que la Hongrie renvoie de l’autre côté de la frontière, en Roumanie, pour regarder ensuite si les Hongrois de Transylvanie se reconnaissent dans cette lecture du territoire ? Il est également important de saisir quels sont les éléments relevant de l’imaginaire national hongrois dans la construction sociale de ce territoire et quelles sont les particularités « transylvaines », les éléments apportés par les Hongrois de Transylvanie à cette conception?

Notes
292.

Barometrul Relatiilor Etnice, réalisé en novembre 2001par Metro Media Transilvania. La question posée aux enquêtés fut la suivante : « Selon vous, quelles sont les catégories qui décrivent le mieux votre identité ? ».