Troisième partie : Les territoires de la coproduction : une Transylvanie en commun ?

Afin de répondre à ces nouveaux questionnements, je suis partie à la recherche des initiatives qui laissent entrevoir des actions de mise en commun entre les élites et la construction de liens entre ces espaces symboliques souvent juxtaposés de la Transylvanie.

Dans cette entreprise de recherche, j’ai identifié dans un premier temps quelques associations qui rassemblent des Roumains et des Hongrois. J’ai remarqué que les domaines privilégiés de ces associations, qui transgressent les clivages ethniques, se concentrent autour du travail social (assistance sociale, associations de volontariat) et des initiatives menées dans le domaine artistique. Outre ces domaines, les associations qui regroupent de manière systématique Roumains et Hongrois sont plutôt rares. Comme l’observe aussi Claude Karnoouh348, dans le domaine des associations étudiantes, hormis les clubs sportifs, il n’existe guère d’associations syndicales, culturelles ou civiques communes.

Dans un second temps, j’ai découvert l’existence d’initiatives réunissant des élites diverses du point de vue ethnique qui se proposaient d’apporter sur la scène publique  un nouveau discours sur la Transylvanie, discours qui diverge de la vision classique de la Transylvanie conflictuelle et segmentée. Compte tenu de mes questionnements dès le début de mon travail, c’est ce type d’initiative collective qui a attiré mon attention. Les entreprises de mise en commun des Roumains et des Hongrois afin de redéfinir ensemble cet espace symbolique controversé étaient tellement rares dans l’histoire de cette région, que l’occasion d’étudier une telle action ne devait pas être perdue.

Je propose ici de retracer le parcours d’un mouvement qui a émergé dans les années 90 et qui perdure encore aujourd’hui, mouvement qui a comme principaux acteurs le Groupe Provincia, la Ligue ProEuropa et un ancien journaliste roumain, Sabin Gherman. A partir de ces exemples de terrain, je tenterai de saisir ce qui fait lien dans ces entreprises de mise en commun des élites et sur quels éléments s’appuient ce nouveau discours sur la Transylvanie. Une autre question qui se pose concerne le contexte dans lequel s’affirment ce discours et une nouvelle conception de la Transylvanie. Il sera plus largement question d’analyser la conception du territoire qui est en jeu et les dynamiques identitaires qui organisent les relations entre les élites roumaines et hongroises à Cluj.

Je dois préciser que mon travail de terrain auprès de ces personnes a commencé durant l’été 2003, alors que quelques actions importantes suscitant de forts débats sur la scène publique roumaine venaient d’avoir lieu.

Les analyses que je vais proposer ici sont issues des entretiens menés avec les membres de ces groupes, des observations portées tout au long de leurs différentes actions, de l’analyse des documents internes à chaque organisme et de l’analyse de la presse. Je dois rajouter que les différentes situations de terrain m’ont posé de nombreuses difficultés vis à vis de mon positionnement par rapport à ces initiatives, surtout dans les situations d’observation participante.

Comme je l’ai déjà mentionné au début de ce travail, le terrain au sein de ces groupes m’a amené à sortir de la ville de Cluj et à multiplier mes lieux de recherche, en suivant mes interlocuteurs dans d’autres villes ou villages de Transylvanie.

Notes
348.

Karnoouh C., « Un logos sans ethos », 1998, p. 31.