3.3.3. Rigidité ou fluidité des frontières ethniques : entre discours et pratiques

Pour caractériser la complexité des relations qui se tissent dans la rencontre et la négociation entre les cultures, Rico Lie427 distinguait : l’ « état de coexistence », que j’ai évoquée à d’autres occasions, l’ « état de la négociation interculturelle », et la « transformation interculturelle ». Si cet auteur présente la « coexistence » comme une forme passive de communication dans laquelle les éléments culturels n’entrent pas en contact, la « négociation » est une forme active d’interaction. Selon l’auteur, cette interaction serait dirigée vers une forme dynamique de l’hybridité, sans que cet « état » soit encore accompli. La « négociation » est définie comme un mouvement, un « mouvement vers le dialogue, l’acceptation et le respect mutuel »428. Le troisième cas, la « transformation interculturelle », implique une « transculturalité hybride ». Dans cet état, il est question des espaces transformés, des « espaces culturels hybrides de négociation participative », car « l’enchevêtrement » a produit une nouvelle culture. L’auteur précise que cette culture n’est pas comprise ici dans un sens classique d’ensemble de similarités partagées par une culture. Il est plutôt question d’un espace transculturel hybride dont les différences internes s’affirment à l’intérieur d’un tout intégratif. R. Lie fait une différence entre une « transculturalité hybride » et une « transculturalité homogénéisée ». Cette dernière supposerait qu’un espace de négociation ne serait plus possible, car il convergerait vers un espace de la similarité et l’homogénéité culturelle.

Mon terrain sur la ville de Cluj m’a amenée à élargir le schéma de R. Lie et à apporter un changement de perspective. Tout d’abord, j’avais introduit une distinction entre d’une part les situations d’enfermement identitaire et de repli sur soi (comprenant aussi l’exclusion de l’autre) que j’avais désignées par l’entre-soi et d’autre part la coexistence. Cette dernière implique une acceptation de l’autre, une tolérance vis-à-vis de lui, sans que les groupes soient réellement en contact. Cette nuance entre ces deux types de relation entre les groupes est importante car permettant d’analyser de manière plus nuancée les pratiques nationalistes d’exclusion de l’autre et les situations de « tolérance comme non-interférence », plus récurrentes à Cluj.

De plus, au-delà de sa capacité à saisir trois processus différents dans la rencontre entre les cultures, cette distinction part d’un postulat essentialiste des groupes ou des cultures. Il serait ainsi question de cultures plus ou moins « pures » ou en tout cas bien délimitées, qui ensuite entreraient en « négociation » pour enfin se « transformer ». Par conséquent, pour me distancer de l’approche de R. Lie, j’utiliserai le mot « négociation » comme un processus d’interaction tout d’abord entre individus, mais aussi entre des groupes en tenant compte que ces derniers se produisent et se redéfinissent dans l’action même de négociation et dans une situation.

Ce postulat d’existence préalable des cultures qui par la suite entrent en contact et se transforment est également présent dans l’idée de « transculturalité hybride ». Cette dernière suggère que des cultures d’origine deviennent « hybrides » par le contact avec d’autres cultures. Dans ces conditions, je me joins davantage à la remarque de Renato Rosaldo qui souligne que le terme d’ « hybridation » ne devrait pas être compris comme un « espace se trouvant entre deux zones de pureté », mais plutôt comme « une condition perpétuelle de toutes les cultures humaines qui ne contiennent aucune pureté, car elles subissent un processus continu de transculturation »429. Dans ce refus de l’idée d’existence des entités historiquement premières qui par leur rencontre produiraient du dérivé, se situe aussi la pensée du « métissage », selon l’acception donnée par des auteurs comme François Laplantine et Alexis Nouss430. La rencontre métisse est irréductible à ses composantes qui n’existent pas d’ailleurs comme origines « pures ». Le métissage advient quand ce qui va se produire dans la rencontre l’emporte sur les origines d’où on vient.

J’ajouterai encore un aspect par rapport à l’approche de R. Lie. Si l’auteur fait référence à différents « états » interculturels afin de décrire la complexité des relations résultant des contacts entre les groupes ou les cultures, personnellement j’utiliserai le terme de « situation » interculturelle. L’auteur affirmait que ces différents « états » qu’il distinguait pouvaient être « des phases dans un sens chronologique, mais pas nécessairement. Nous pouvons arriver à un ‘’état de négociation’’ sans passer par la coexistence. Les trois « états » peuvent être aussi conçues comme un continuum, de la non-négociation (coexistence) à la négociation idéale (transculturalité hybride) »431. Le passage de « l’état » à la « situation » marque justement un passage à une approche dynamique. Si la « négociation » caractérise peut-être le mieux l’espace de rencontre créé au sein de Provincia, elle doit être pensée dans une perspective mouvante car cette « négociation » glisse parfois vers des phénomènes de passage d’une langue à une autre, d’un univers culturel à un autre, donc vers des formes de cosmopolitisme.

Il convient de noter que s’il existe du mouvement dans cette négociation qui ne créent jamais de groupes stables, mais toujours fluides, il existe aussi une certaine crispation dans ces relations qui fait que les situations de « transformations culturelles », dans le sens discuté précédemment, sont presque inexistantes (au moins dans le cas de Provincia).

Ce type de transformation réciproque des cultures est manifeste au niveau de certaines pratiques culturelles, que cela soit dans la musique et la danse traditionnelle, dans la gastronomie, dans la poterie, la broderie, etc. A titre d’exemple, sous l’influence d’une logique de commerce, les artisans ruraux reprennent des motifs répandus dans d’autres cultures, lorsque ils ont plus de succès. Il est inutile de rajouter que ces motifs ne sont pas « purs », résultant eux aussi des influences réciproques, même s’il est reconnu que certaines écoles de céramique ont développé des spécificités locales et ethniques. Aujourd’hui, la céramique transylvaine est un des domaines où peuvent être observés des phénomènes de transformation interculturelle.

De tels phénomènes sont moins présents dans l’univers des élites (avec des exceptions dans la musique, dans l’art). Cela s’explique en grande partie par le fait que les groupes sont souvent en relation de coexistence.

Avec Provincia, nous sommes dans le cas où la négociation ne provoque pas forcément de formes de transculturalité hybride. Faisant référence à la notion de tiers-espace (third space) introduite par Homi Bhabha432, notion liée à celle de l’hybridité, Alexis Nouss notait : « Le tiers-espace n’est pas l’entre-deux comme l’indique le changement numérique dans la terminologie. L’entre-deux existe par la tension que provoque, à partir des frontières, la rencontre de deux entités alors que le tiers-espace accueille, hors-frontières, le déplacement de ces forces »433.

Bien que la négociation (l’entre-deux) caractérise l’espace d’interaction au sein de Provincia, la période relativement courte de publication de la revue, l’éloignement dans l’espace et les rencontres moins fréquentes, ont permis l’interconnaissance mais rarement d’aller au-delà de la négociation. Dans un autre temps, ce type d’initiative qui encourage la mise en commun bénéficie, comme je l’ai déjà mentionné, uniquement de financements externes au pays. Quand ceux-ci prennent fin, les actions retombent parfois dans des préoccupations qui instaurent, temporairement, la coexistence. C’est en partie le cas de certains membres de Provincia, même s’il existe une suite à leurs actions, les membres du groupe continuant encore à se rencontrer à certaines occasions. Un autre exemple est le cas de la Fondation Transit qui avait mis en place de nombreux projets interculturels avec des financements européens et américains. A une certaine période, sans bénéficier de cet argent, de nouveaux financements venant de Hongrie ont orienté les programmes uniquement vers la valorisation de la culture hongroise. Ultérieurement, de nouveaux financements ont relancé les programmes interculturels.

Une certaine immobilité et crispation dans les relations au sein de Provincia sont ressenties aussi à un autre niveau. Si les frontières identitaires sont fluides, oscillant entre un « transylvanisme » et des identifications ethniques, les passages d’une catégorie ethnique à l’autre sont moins récurrents ou presque inexistants. J’ai pu observer que même dans les situations où les individus sont bilingues ou quand ils ont fait l’expérience de socialisation dans des univers socio-culturels mixtes, la double identification en tant que « Roumain » et « Hongrois » est absente. Il convient aussi de remarquer l’existence d’un décalage important entre le discours des membres du groupe et leurs pratiques au sein de Provincia. Si le bilinguisme roumain-hongrois et une facilité à se déplacer d’un univers culturel à un autre se manifestent dans la pratique de certains membres du groupe, même au sein de ces personnes les identifications ethniques prennent le dessus au niveau déclaratif. Les exemples sont multiples ici et parfois déconcertants. Un de mes interlocuteurs, né d’un couple mixte roumain-hongrois, ayant comme langue maternelle le hongrois, parlant uniquement en hongrois chez soi avec sa femme (se disant elle-même hongroise), ayant vécu des années à Budapest en compagnie de Hongrois de Transylvanie, se déclare « Roumain ». Ayant suivi le lycée et l’université en langue roumaine, il estime que son éducation l’a approché davantage de la culture roumaine (et en particulier de la littérature roumaine434). Par rapport aux catégories qui lui sont attribuées de l’extérieur, dans le cadre de son travail à Bucarest, il est intéressant de remarquer que ses collègues l’appellent « le Hongrois ». De manière similaire, le leader plus ou moins formel de Provincia que j’ai toujours perçu comme étant à la recherche de la compagnie des Roumains, parlant sans faute en roumain, affirme :

‘« Tous ce qui est transnational me passionne. Mais tu sais, je ne suis pas un assimilé roumain, je suis 100% hongrois. Mais je suis aussi à moitié allemand… Je suis un calviniste réformé. »’

En lien avec cette incapacité que l’on avait (y compris moi) de raisonner selon plusieurs appartenances ethniques à la fois, je me souviens un autre moment passé avec les membres de Provincia, à un cocktail suivant un forum régional organisé à Cluj. Je retrouve quelques notes de terrains :

‘« J’étais assise à une table avec eux. Nous parlions en roumain. Je pensais que nous étions les Transylvains, non pas dans le sens d’une appartenance régionale, mais plutôt dans le sens de personnes qui souhaitent produire un tel discours. Je voyais ce qui nous liait, moi étant nolens volens, partie prenante… A un moment donné, je regarde à la table voisine et j’observe que l’on parle le hongrois. Une grande table…et tous parlent le hongrois. Même les « Roumains », me suis-je dit étonnée. Mais qui sont alors les « Roumains » et qui sont les « Hongrois » ? Les groupes se sont recomposés, les « Roumains » et les « Hongrois » ne sont plus ceux que je connaissais. J’avais l’intention d’aller à cette table mais j’ai renoncé. Je me rends compte des limites de mon terrain, la langue faisant ici obstacle. Je décide de rester avec les « Roumains », là où nous parlions le roumain. Mais quand je regarde plus attentivement, je constate que certains étaient aussi bilingues. Il aurait suffit de se déplacer à l’autre table pour qu’on les perçoive comme Hongrois. Les mêmes personnes constituent finalement des groupes différents. Des frontières mouvantes… »’

La façon de concevoir initialement ces phénomènes témoigne d’une impossibilité qui est très répandue dans mon pays de penser la double appartenance des autres. Si j’associais les personnes de la table voisine parlant le hongrois à des Hongrois, en discutant ultérieurement avec une de ces personnes, j’ai pu constaté qu’il déclinait son identité de « Roumain ». Lui aussi excluait l’idée de double appartenance.

Par conséquent, même dans les situations où la pratique sociale repose sur un principe cosmopolitique de la conjonction (et-et), celui-ci est doublé d’un discours qui fige ces identités fluides de la pratique, selon un principe disjonctif (ou bien - ou bien). Certains auteurs désignent le cosmopolitisme comme faisant référence à des pratiques lors desquelles l’individu « éprouve et vit plusieurs identités et plusieurs loyalismes apparemment contradictoires »435 ayant « la capacité d’agir dans des domaines sociaux et culturels différents, de maîtriser plusieurs langues, joindre des répertoires culturels et des styles de vie divers »436.

Si le cosmopolite se déplace facilement dans des univers culturels variés, il « tient par-dessus tout à son autonomie comme individu »437. Faisant appel aux idées de John Francis Burke, Michel Wieviorka fait la distinction entre le cosmopolite et le métisse culturel. L’auteur souligne que si les origines ou la trajectoire personnelle du premier sont de l’ordre du mélange, il n’est pas question pour autant d’un métissage, le cosmopolite combinant plutôt de manière stratégique les cultures au sein desquelles il se déplace, sans participer de l’intérieur à leur expérience. Dans le cas particulier de la Transylvanie, l’existence d’un cosmopolitisme laisserait entrevoir des pratiques tout au long desquelles les individus se penseraient successivement comme « Roumains », « Hongrois », « Transylvains », etc. et s’attacheraient à la fois à une Transylvanie « roumaine », « hongroise », « transylvaine », etc. Or si cela est encore visible dans la pratique, au niveau des appartenances identitaires assumées, les individus s’attachent à une catégorie ethnique ou à une autre.

Cependant, même dans la pratique, les passages d’une langue à l’autre et d’un univers culturel à un autre sont eux aussi des phénomènes de plus en plus rares, surtout parmi les élites. Même au sein de Provincia, le passage d’une langue à l’autre, comme lors de la séquence du cocktail, n’est pas un phénomène généralisé. En réalité, sur le total des membres permanents se déclarant « Roumains » (environ 10-15), seulement deux personnes sont bilingues. C’est pour cela que, comme le mentionne un membre hongrois du groupe :

‘« Provincia n’a pas réussi à réaliser intégralement son projet, car la communication dans le groupe devait être en grande partie en roumain ».’

Le bilinguisme au sein des élites et, en liaison avec lui, une certaine pratique de la cohabitation avec l’autre, sont aujourd’huides phénomènes plutôt isolés, qui rappellent une époque passée. Une femme solidaire des actions de Provincia, engagée à Cluj dans l’ « Association pour le dialogue interethnique »438, et avec laquelle j’ai mené des entretiens, issue d’une famille d’anciens militants pour les droits des Roumains en Transylvanie, me déclare :

‘« Ma grand-mère et mon arrière-grand-mère parlaient en allemand à la maison pour que ma mère et nous ne comprenions pas. Ma mère et ma grand-mère parlaient en hongrois pour que nous, les enfants, ne comprenions pas. Nous avions beaucoup d’amis hongrois. Mon grand-père était prêtre gréco-catholique, le troisième en rang après le cardinal Hossu. En 40 439 , mon grand-père est sorti dans la rue avec le tricolore roumain à la main pour que l’Ardeal soit restitué aux Roumains. Et les gardes hongroises, horthystes, l’ont arrêté et l’ont mis en garde à vue. Le soir-même, un ami à lui – car il avait des amis hongrois, maire, préfet, etc. – est venu et l’a aidé à sortir. C’était ça l’atmosphère à cette époque-là. » ’

Si un tel militantisme national roumain doublé d’une tolérance et d’une proximité avec l’autre peuvent paraître aujourd’hui contradictoires, ils semblaient ne pas l’être autrefois. Le nationalisme exacerbé des périodes successives n’avait pas encore détruit ces pratiques et cette manière de penser les relations inter-ethniques.

S’il existe, comme nous venons de l’observer, une difficulté à penser les appartenances ethniques multiples, il existe aussi une difficulté à concevoir une certaine mixité dans ce milieu multiethnique. Jamais au sein de Provincia, la question de la mixité ne fut posée ou analysée, excepté lors de l’intervention d’une personne, mais le débat ne s’est pas poursuivi après cette prise de parole. Un autre exemple : l’Académie Interculturelle Transsylvania organise ses cours selon trois modules culturels, roumain, hongrois et saxon, comme si en Transylvanie il n’aurait existé que des cultures ou des individus « purement » roumains, hongrois ou saxons. J’ai pu observer ce phénomène aussi au cours d’une discussion entre deux personnes de Provincia. L’un, s’affirmant hongrois, tentait de convaincre l’autre de modifier son nom. Le deuxième, artiste plastique, signait toujours Alexandru ANTIK, nom composé par un prénom roumain et un nom hongrois reprenant l’écriture roumaine, dans laquelle le prénom précède le nom. Devant cette écriture, l’autre personne essayait de convaincre l’artiste de « garder son identité hongroise » et de signer ANTIK Sándor, selon l’écriture hongroise et utilisant le prénom hongrois (traduit du prénom roumain). Mais rien ne pouvait convaincre celui-ci de changer son nom, qu’il portait avec fierté. Et il est intéressant de savoir que celui-ci n’était pas né d’un couple mixte.

J’ai rencontré le même phénomène dans le cas d’une autre personne, née toujours de parents hongrois (mais vivant aussi en couple mixte). Celui-ci participait parfois aux rencontres de Provincia et portait un nom construit de manière similaire : LÁSZLO Alexandru. Il refusait aussi bien le nom hongrois LÁSZLO Sándor, que l’écriture roumaine de son nom : Alexandru LÁSZLO. Ecrivain de langue roumaine, il se déclare être un minoritaire hongrois qui se prononce contre l’autonomie territoriale du Pays Sicule sur des critères ethniques.

Ces phénomènes de mixité ou du moins de son acceptation sont plutôt rares et, comme nous pouvons l’observer, ils suscitent des incompréhensions et des étonnements. Plus que cela, la « pureté » devient une idée normative et si elle n’est pas appliquée, elle doit susciter des corrections. Fredrik Barth le faisait remarquer déjà depuis longtemps : « Tout comme les deux sexes tournent en ridicule l’homme qui est efféminé, et comme toutes les classes punissent le prolétaire qui se donne des airs, ainsi les membres de tous les groupes ethniques dans une société poly-ethnique peuvent eux aussi agir de façon à maintenir des dichotomies et des différences. »440

Compte tenu de ma présence dans le groupe et conformément à ce principe disjonctif du « ou bien-ou bien », selon lequel tous les membres de Provincia étaient soit Roumains, soit Hongrois, j’étais censée moi-même rentrer dans une catégorie. Ce sont d’ailleurs les « Roumains » du groupe qui ont essayé de me convaincre d’adhérer à Provincia. Faisant référence à l’organisation de l’Université d’été Transsylvania, un d’entre eux me confie :

‘« On m’a invité à Ilieni. Ils ont davantage de Hongrois. Ils n’ont pas beaucoup de Roumains, car les Roumains disent que si tu te mélanges aux Hongrois, tu es un traître …Ca serait bien que tu viennes aussi ». (sociologue, 38 ans)’

Gardant une certaine distance vis-à-vis des actions et du projet du groupe, et sans faire réellement partie de Provincia 441 , je n’étais considérée ni comme « roumaine », ni comme « hongroise », mais plutôt comme venant de l’extérieur : « une doctorante étudiant en France ».

Cette pensée dans les termes des catégories ethniques disjonctives, ainsi que ce décalage entre le niveau discursif et la pratique des individus, montrent l’influence de l’idéologie nationaliste sur le discours des individus, même parmi ceux qui se proposent de sortir de cette logique. Cependant, il n’est pas question ici d’un phénomène de déterminisme de l’idéologie nationaliste sur l’individu. La preuve est que les pratiques sociales échappent souvent à ce principe. Par conséquent, il est également question d’une utilisation sélective de la part des individus de ces catégories ethniques réciproquement exclusives. Ainsi, même si la pratique transgresse souvent ces catégorisations, dans le discours les identifications ethniques peuvent s’affirmer fortement, comme un signe de différenciation sociale et culturelle. Parler de la Transylvanie est un tel terrain d’affirmation successive du lien et de la diversité, de la différenciation et de la compétition.

Si les individus utilisent ce principe disjonctif d’identification ethnique, l’idéologie nationaliste peut trouver à certains moments de la reconnaissance et parfois même du soutien auprès des individus. Cette pratique de différenciation peut être ainsi instrumentalisée à travers des discours et des pratiques d’exclusion de l’autre, surtout quand l’expérience de l’agir ensemble - qui permet les rapprochements, l’interconnaissance et la reconnaissance de l’autre - est absente dans la vie des populations locales. Quand ces lieux existent (et Provincia est ici un exemple), la différenciation peut difficilement prendre la forme de pratiques d’exclusion de l’autre.

Notes
427.

Lie R., Spaces of Intercultural Communication : An Interdisciplinary Introduction to Communication, Culture, and Globalizing/Localizing Identities, Hampton Press, 2003

428.

Lie R., Spaces of Intercultural Communication, Conference Paper, 23rd Conference IAMCR, Barcelona, 21-26 July 2002, p. 20.

429.

Rosaldo R., (1995) cité in Ballinger P. 2004. « ‘Authentic Hybrids’ in the Balkan Borderlands », in Current Anthropology, Volume 45, Number 1, February.

430.

Laplantine F., Nouss A., Le métissage, Flammarion, 1997. Pour la même question voir aussi Laplantine F., Nouss A., Métissages. De Arcimboldo à Zombi,Ed.Pauvert, 2001.

431.

Lie R., op. cit., p. 21.

432.

Bhabha H., The Location of Culture, Londres, New York, Routledge, 1994.

433.

Nouss A., « La Tour et la Muraille. De la frontière et du métissage », in Rue Descartes, nr. 37, PUF, 2002.

434.

En réalité, tous les auteurs qu’il évoque font partie du milieu juif de l’avant-garde « roumaine ».

435.

Beck U., Pouvoir et contre-pouvoir à l'ère de la mondialisation, Aubier, Paris, 2003.

436.

Driessen H., « Mediterranean port cities : Cosmopolitanism reconsidered », in Sant Cassia P., Schäfer I. (eds), Mediterranean Conundrums: Pluridisciplinary perspectives for research in the social sciences, History and Anthropology, Volume 16, Number 1 / March 2005, Routledge, p. 129-141.

437.

Wieviorka M., La différence, Editions Balland, 2001, p. 75.

438.

L’ « Association pour le dialogue interethnique » fut très active dans les années 90. En 94, lors des tensions inter-ethniques provoquées par la mise en place des fouilles archéologiques dans le centre-ville, l’association eut un rôle important dans le maintien d’un climat de tolérance dans la ville. Financée plusieurs années par des programmes américains, l’association est aujourd’hui en impossibilité de fonctionner par manque de financement.

439.

La référence faite ici est la période 1940-1944 quand la Transylvanie du nord était rattachée à la Hongrie.

440.

Barth F., op. cit., p. 218.

441.

Cependant, je fus acceptée dans leur liste de communication électronique, ce qui n’était pas chose sans importance. Je connaissais plusieurs personnes à avoir fait la même demande que moi, sans être acceptée. J’ai eu le soutien de certains membres qui se sont prononcés en faveur de mon entrée sur la liste. Cette dernière fonctionnait comme un cercle plutôt fermé, dont l’accès était basé sur le réseau de connaissances. Ce processus sélectif intervient comme réaction de défense face à toute tentative potentielle venue de l’extérieur de destruction de la communication dans le groupe ou du groupe lui-même.