Introduction

Ce travail de recherche se fonde sur le constat d'une relative absence de l'épiscopat dans la société française à l'orée des années 2000. Il trouve également sa source dans une suggestion des professeurs Claude Prudhomme et Denis Pelletier au terme de ma soutenance de DEA : pourquoi ne pas s'intéresser à l'épiscopat français des années 1980 ?

A cette époque, Denis Pelletier finalise son travail sur ”les belles années de crise du catholicisme français” 1 et dégage les grandes lignes d'un champ de recherche pour une histoire du temps présent du catholicisme français dans son mémoire pour l'habilitation à diriger des recherches 2 . La reconnaissance de dette à l'égard de ce dernier ne serait pas complète s'il n'était pas fait mention de sa notice du Dictionnaire des intellectuels français dirigé par Michel Winock et Jacques Juillard : ”évêques : un magistère intellectuel ?” 3 . Sa lecture laisse dubitatif. L'article marque la distance sensible entre le potentiel du magistère épiscopal suggéré par le titre ambitieux et une réalité plus délicate pour les évêques. ”Le ”magistère intellectuel” des évêques, bien contesté si même il existe, n'est peut-être que l'avatar d'un magistère pastoral que le déclin de la pratique et l'individualisation des croyances ont réduit comme peau de chagrin”, peut-on lire 4 . Cette hypothèse d'une option épiscopale pour un ”magistère faible” constitue l'un des points de départ de mon travail. Elle en constitue également une ligne de fuite décrite en ces termes par Denis Pelletier 5 :

‘C'est là ce que je propose de désigner sous le nom de ”magistère faible”. Non pas un magistère qui renoncerait à la rigueur de l'analyse et du contenu dans l'espoir de mieux se faire entendre. Non pas un magistère qui refuserait le dissensus et mettrait en sourdine l'écart entre l'héritage chrétien et l'opinion commune. Mais un magistère qui, prenant acte de l'impuissance d'une parole normative, tire sa légitimité de se mettre à l'écoute des interrogations des individus. Un magistère qui, dans sa mise en scène même, affirme ne pas vouloir s'arroger de portée définitive, au risque de l'écart avec Rome. Une parole offerte au nom d'une tradition, et qui se désigne moins, elle-même, sous l'autorité d'une compétence, que comme la sagesse venue d'une longue histoire, à charge pour chacun d'en faire son miel.’

Si les noms des pères Lustiger et Decourtray raisonnent un tant soit peu aux oreilles de nos contemporains, il est plus délicat celui d'un autre de leurs confrères dans l’épiscopat, fut-il cardinal. Les évêques français sont, au mieux, confinés à la discrétion, au pire, à l'anonymat. Aujourd'hui, l'Église catholique tend à s'incarner dans la seule personnalité de Jean-Paul II dont le pontificat embrasse une génération au sens strict du terme - soit ”un espace de temps correspondant à l'intervalle qui sépare chacun des degrés d'une filiation (évalué à une trentaine d'années)”, selon le dictionnaire Robert 6 .

Le début de ma recherche coïncide par ailleurs avec la publication du Chêne et la futaie 7 par Mgr Matagrin dont j'avais auparavant étudié le rapport Pour une pratique chrétienne de la politique à l'occasion de mon DEA 8 . La lecture de ce livre-entretien révèle des différences sensibles entre Jean-Paul II et Mgr Matagrin concernant la lecture du concile Vatican II et sa mise en œuvre. Furtivement, l'évêque émérite de Grenoble évoque une de ses contributions à la revue dominicaine Lumière et vie, ”l'expérience du dissentiment” 9 . ”Dans cet article, je me limitais à mon expérience d'évêque durant le pontificat de Paul VI”, précise le père Matagrin. Or, mes rencontres avec l'auteur de ces lignes m’ont convaincu d'un dissentiment autrement plus fort à l'endroit du cardinal Wojtyla devenu pape 10 .

Au lendemain des visites ad limina de l'épiscopat en 1977, l'Église de France est fragilisée tandis que le Vatican consacre une pensée et un homme vigoureux en la personne de l'archevêque de Cracovie, le cardinal Karol Wojtyla. Traumatisés par ce que Denis Pelletier a sobrement appelé ”la crise catholique”, les évêques français se trouvent dans l'obligation d'opérer une réévaluation théologique et pastorale de leur magistère. L'Église de France et son épiscopat subissent une véritable crise de l'intelligence catholique. Les évêques sont sommés de se ressaisir de leur mission d'enseignement conformément aux souhaits exprimés par Paul VI. Intellectuellement et culturellement relativement homogène, l'épiscopat français doit penser collectivement le changement 11 .

Notes
1.

DenisPelletier, Les belles années de crise du catholicisme français (1968-1978), centre André Latreille, Université Lumière - Lyon II, 2000, 371 pages

2.

Denis Pelletier , Regards historiques sur le catholicisme contemporain. Pour une histoire religieuse du temps présent, centre André Latreille, Université Lumière - Lyon II, 2000, 326 pages

3.

DenisPelletier, ”Evêques : un magistère intellectuel ?” in Michel Winock & Jacques Juillard (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Seuil, 1996, pp. 460-462

4.

Ibid

5.

Denis Pelletier , Regards historiques sur le catholicisme contemporain, op. cit. Interrogé à la veille de son départ à la retraite en 1986, Mgr Lebourgeois semble valider l'intuition. Claude Goure, ”Mgr Le Bourgeois. Avant un départ…”, Panorama, décembre 1986 :

[Que l'Église] soit de plus en plus modeste. Ferme dans ce qu'elle croit, mais ne prétendant pas tout savoir ni tout dicter et acceptant qu'elle peut s'être trompée parfois. Humble, finalement, dans l'annonce de la Bonne Nouvelle. Au service des droits de l'homme et de la justice comme l'y invite tellement Jean-Paul II. Qu'elle ne le fait encore. Parce qu'elle ne le fait pas partout.

6.

Le grand Robert de la langue française, Paris, Robert, 2001

7.

Mgr Matagrin, Le chêne et la futaie, Paris, Bayard, 2000, 447 pages

8.

Martial Busuttil, L'Église, les jeunes et la politique sous Vatican II (1965-1997), mémoire de DEA en histoire contemporaine, université Lumière - Lyon II, septembre 2000, 86 pages

9.

Mgr Matagrin, ”Une expérience de dissentiment”, Lumière et vie, 229

10.

Mgr Matagrin, Le chêne et la futaie, op. cit., page 410. Plus largement, l'expérience conciliaire puis les synodes de 1971 puis 1975 auront fini de convaincre les évêques conciliaires hexagonaux des divergences qui les opposent au cardinal Wojtyla.

11.

Jean-Claude Eschaffit, ”Lourdes : Foi et cultures, études des futurs prêtres”, La Croix, 8 et 9 octobre 1978