Dans le sillage des groupes ”Echanges et dialogue”, le statut du prêtre constitue une préoccupation majeure de l'épiscopat. L'échec de l'épiscopat français au synode romain de 1971 a imposé le règlement des conflits en cours 19 . La presse catholique voit émerger Claude Dagens et la génération Communio 20 . ”Nous n'avons pas besoin de critiques et de soupçons. Il nous faut la contribution et souvent la patience de toute l'Église” résume le père Dagens 21 . Le 30 octobre 1978, l'assemblée plénière adopte la charte des études dans les séminaires à une large majorité (109 oui, 2 non et 1 blanc). Mgr Fretellière, résume ainsi les objectifs de la réforme 22 :
‘Le but de la formation doctrinale est de donner aux élèves, en même temps qu'une culture générale accordée aux nécessités du temps, des connaissances larges et solides dans le domaine des sciences sacrées, en sorte que, avec une foi trouvant là son fondement et sa nourriture, ils soient capables d'annoncer dignement aux hommes de notre temps la doctrine de l'évangile et de l'insérer dans l'ambiance culturelle d'aujourd'hui.’Tandis que le conseil permanent publie un document sur l'appel au sacerdoce en février 1979 23 , la charte des études pour les séminaires parachève la loi-cadre de 1975 - ”Aux éducateurs, pour une pratique de la préparation au ministère presbytéral”. Mgr Daloz a coordonné les travaux autour de quatre priorités : connaissance et intelligence de la Révélation dans son contenu objectif ; cohérence et solidité de la pensée ; formation à une pensée critique capable de rendre compte de la foi ; apprentissage de la communication en vue d'une annonce à la fois fidèle et intelligible à l'homme contemporain. La formation intellectuelle ne doit pas être sacrifiée à la visée pastorale de l'enseignement. Ainsi le cardinal Garrone se félicite-t-il de la place faite à ”l'enseignement de la philosophie si fortement requis par le Concile mais toujours en danger d'être sacrifié, soit dans sa spécificité, soit dans sa durée” 24 . Reste que La Croix s'étonne de la place marginale faite à la pensée contemporaine. Supprimée, la distinction entre théologie et philosophie noie les sciences humaines dans une formation généraliste. Le père Daloz justifie ce choix 25 :
‘Il ne s'est jamais agi de supprimer cette distinction ! Ce qui est vrai, c'est qu'il n'y a plus, comme autrefois, deux années de philosophie, suivies de la théologie. Le décret Optatam totius a demandé que philosophie et théologie soient mises ”en meilleur rapport”. Il a réclamé que, dès le début des études, soit donnée une proposition du mystère du salut.’Les deux premières années ne sont plus exclusivement consacrées à la philosophie. Premier et deuxième cycle mêlent désormais enseignements théologiques et philosophiques. ”Pour aboutir à un jugement moral selon l'Évangile, tout parcours devra intégrer des éléments indispensables : une analyse aussi sérieuse que possible de la réalité grâce en particulier aux sciences humaines”, indique la ratio studiorum évoquant la méthode qui prévaudra désormais dans l'appréhension de la théologie morale pour les trois cycles de formation 26 .”Le problème des sciences humaines est plus délicat. Les questions qu'elles posent, leur influence - plus souvent diffuse qu'explicitement perçue - sur les modes de pensée et d'action des hommes d'aujourd'hui, imposaient qu'on y soit attentif. Mais le séminaire n'a pas pour but de faire des spécialistes en psychologie, en sociologie, en économie, en linguistique…” avance l'évêque de Langres 27 .
”Le but qui a été recherché, c'est de rendre les séminaires capables de percevoir les interrogations, de saisir les divers modes d'approche de la réalité et aussi de garder un jugement critique par rapport à la prétention que pourrait avoir telle ou telle science humaine d'être l'explication dernière de toute réalité et de tout comportement”, conclut Mgr Daloz, ressaisissant les difficultés de l'Église conciliaire à dialoguer avec le monde 28 . Le traumatisme du mouvement ”Echanges et dialogue”est gravé dans la mémoire épiscopale. La désertion des séminaires continue d'interroger un épiscopat majoritairement marqué par la pastorale d'ensemble du père Boulard 29 et mal à l'aise avec l'option d'une pastorale éclatée prise lors de l'assemblée plénière de 1967.
En novembre 1977, l'épiscopat français ouvre le dossier de la catéchèse sous la direction de Mgr Orchampt, président de la commission épiscopale de l'enseignement religieux 30 . ”Nous avons à passer au crible de la foi les développements de l'intelligence humaine” déclare Mgr Etchegaray en ouverture de la réunion lourdaise suivante tandis que Mgr Matagrin tente de ressaisir une culture contemporaine éclatée 31 . En novembre 1978, Mgr Gilson dénonce, dans la revue Présence et dialogue, l'abus des méthodes inductives de l'éducation religieuse 32 . ”Les Ecritures sont-elles révélation ou simple référence ?”. Réduite à sa seule dimension culturelle, l'Ecriture risque la réification 33 . Comment concilier intelligence de la foi et subjectivité de l'expérience intellectuelle ? Mgr Coffy, président du bureau d'études doctrinales, s'interroge au lendemain du synode romain de 1977 : ”si la vérité est devant nous, quel rôle attribuer à l'Ecriture ? Est-elle encore normative?… Que devient l'exercice du magistère ? L'Église peut-elle supporter en même temps, un pluralisme d'expression de la foi, de rite et de pratique ?” 34 . Dans un exposé sur la vérité, le père Coffy critique, devant l'assemblée de Lourdes 1978, les abus du retour à l'Ecriture suggéré au concile 35 . La Bible est ”davantage référence que source de révélation et de vie, de moins en moins accueil d'une vérité pour féconder l'existence quotidienne et transformer le monde”, regrette-t-il. Catéchèse, liturgie et pratique des mouvements apostoliques postconciliaires sont soumis à la critique tandis que la contestation intégriste prend de l'ampleur. Or le dossier de la catéchèse révèle des clivages épiscopaux, indique Mgr Saudreau 36 . Mgr Elchinger entretient le soupçon gallican 37 et ironise sur le dialogue avec la culture contemporaine. ”Acceptera-t-on, un langage privilégié de la foi ou changera-t-on de ”mots” chaque année, laissant persister le flou actuel ?”, demande-t-il 38 .
Des délégations épiscopales, sous forme de mandats aux laïcs, sont envisagées. Cette responsabilisation des laïcs nécessite formation et réaffirmation de l'identité catholique. Mgrs Renard et Pézeril, du bureau d'études doctrinales, Mgrs Motte et Quélen, de la commission de l'enseignement religieux, rédigent un exposé théologique sur la vérité chrétienne, Il est grand le mystère de la foi. La prière revient au centre des préoccupations tandis qu'est réaffirmée l'option christocentrique des assemblées 1968 39 et 1975 40 . Le document recueille une large majorité de 111 voix sur 114 votants. Les oppositions entre ”doctrine et vie”, ”institution et événement”, ”rite et expérience” ou encore ”doctrinal et pastoral” s'épuisent 41 . Une nouvelle ère intellectuelle s'ouvre pour le catholicisme français avec des évêques situant leur magistère comme œuvre de vérité :
‘Dans ce qu'on est convenu d'appeler la rencontre de la foi et des nouvelles cultures, la foi a été critiquée et souvent de façon assez radicale. […] Il faut reconnaître qu'il y a eu parfois un peu de masochisme et d'auto-accusation trop condescendante dans notre façon d'accueillir ces critiques. Nous avons écouté, c'était nécessaire. Mais nous ne devons pas oublier que la foi est aussi instance critique des cultures. Nous n'avons pas à nous laisser terroriser par ce que disent les sciences de l'homme.’Fondé le 3 novembre 1968, le mouvement Echanges et dialogue est dissout depuis le 1er mars 1975. La contestation n'est cependant pas totalement éteinte. Le 23 mai 1979, Le Monde publie un appel de quatre vingt sept prêtres français pour la création d'une organisation de prêtres engagés dans la lutte contre toutes formes de ”répression” dans l'Église et la société. Parmi les signataires, se trouvent quelques fondateurs d'Echanges et dialogue Le texte se veut représentatif de diverses situations ecclésiales, allant de prêtres mandatés par leurs diocèses mais s'estimant toutefois ”refoulés dans les marges de l'Église”, jusqu'aux prêtres n'ayant plus de lien organique avec l'Église parmi lesquels se trouvent des hommes désormais mariés. Cette démarche collective veut introduire un rapport de force dans la relation aux autorités ecclésiales. Des démarches de concertation et des espaces de débat et de relecture critique des expériences doivent permettre l'ouverture de discussions au sein de l'Église. Etienne Gau, ”87 prêtres français veulent créer un mouvement contre toute forme d'oppression”, La Croix, 25 mai 1979
P. Claude Dagens, ”Des séminaires et des séminaristes”, La Croix, 25 octobre 1978
Diplômé de l'école normale supérieure, le père Dagens est à ce moment là professeur au grand séminaire de Bordeaux. Il fait, par ailleurs, partie du comité de rédaction de la revue Communio. Claude Dagens, ”Des séminaires et des séminaristes”, La Croix, 25 octobre 1978
DC, 1762, 15 avril 1979, p. 372
Anonyme, ”Pour la vie du monde, parmi les serviteurs de l'Evangile, des prêtres”, La Croix, 22 février 1979
Lettre à Mgr Etchegaray en date du 18 décembre 1978. DC, 1762, 15 avril 1979, p. 373. L'appui de Rome permet à l'épiscopat de publier la ratio studiorum dès le 23 février 1979.
Mgr Daloz, ”La charte des études dans les séminaires ne sacrifie pas la formation intellectuelle à la pastorale”, La Croix, 13 mars 1979
Ibid
Ibid
Ibid
Ainsi le document statistique présenté le 28 mars 1979 par messeigneurs Bardonne, Kuehn et Motte lors d'une conférence de presse préparatoire à la journée des vocations du 6 mai 1979 est-il significatif des préoccupations épiscopales. Félix Lacambre, ”Les prêtres français de la fin du siècle : Un dossier réaliste”, La Croix, 30 novembre 1978. DC, 1762, 15 avril 1979, pp.369-373
Dans l'appel au ministère des prêtres qu'ils adressent à leurs diocésains en février 1979, Mgr Maziers et son auxiliaire Mgr Fretellière, par ailleurs président de la commission épiscopale du clergé et des séminaires, fondent pour partie leur démarche sur un examen quantitatif des séminaires français. ”Il n'y aura vraisemblablement pas 70 prêtres de moins de cinquante ans dans le diocèse de Bordeaux en 1985 pour plus de 1 500 000 habitants. En France, il y avait 34 065 prêtres de moins de soixante ans en 1965, 27 131 en 1975. Si la tendance actuelle ne se modifie pas, ils seront 18 000 en 1985 et de 8 600 à 9 500 en 1995. Il est urgent de réagir”. Mgr Maziers & Fretellière, ”Appeler au ministère de prêtre”, L'Aquitaine, 23 février 1979
Mgr Orchampt propose la mise en chantier de deux textes : La Proposition de la Foi présente ”de manière claire, vivante et cohérente l'essentiel du mystère chrétien en prenant appui sur les sources traditionnelles de la foi, sur son expression sacramentelle et liturgique, sur les textes récents du magistère”, le Texte de référence fait office de cahier des charges pour un renouvellement des manuels de catéchèse. Brigitte André, ”Lourdes : les rapports difficiles entre la foi et l'engagement”, ICI, 521, décembre 1977
Brigitte André, ”Lourdes : l'Église de l'an 2000 en chantier”, Informations catholiques Internationales, n°532, novembre 1978
Mgr Gilson, ”Les Ecritures sont-elles révélation ou simple référence ?”, Présence et dialogue, 23 septembre 1978. L'exposé de Mgr Coffy ignore sciemment cet aspect du débat, l'évêque d'Albi confiant son incompétence en la matière.
Brigitte André, ”Lourdes : l'Église de l'an 2000 en chantier”, op. cit. L'exposé de Mgr Coffy ignore sciemment cet aspect du débat, l'évêque d'Albi confiant son incompétence en la matière.
Ibid
Mgr Coffy, ”Intelligence de la foi dans la situation présente”, Temps de la foi, temps de l'espérance, Paris, Le Centurion, 1978, pp. 23-44
La Proposition de la foi réunit 105 voix pour sur 121 votants - dont huit avec réserve - contre quatorze votes négatifs et deux votes blancs. Le texte de référence est adopté par 112 voix pour, 3 contre et 4 votes blancs pour 119 votants. Par ailleurs, l'assemblée confirmait les résolutions de l'assemblée plénière des 17-22 novembre 1966 concernant l'autorité épiscopale en matière de catéchèse alors qu'était abandonné le catéchisme national. Ainsi se remodèle l'exercice de l'autorité épiscopale. Celle-ci s'exerce à deux niveaux : au plan de la conférence épiscopale d'une part, par l'acceptation d'un fond obligatoire commun, par la délégation du nihil obstat à la commission épiscopale de l'enseignement religieux, par l'acceptation de solutions financières pour faire vivre le centre national d'enseignement religieux (CNER) et les directions diocésaines. Au plan local d'autre part, le choix des instruments pour l'éducation à la foi sont à la discrétion de l'évêque résident.
De la génération épiscopale ayant connue le concile; l’évêque de Strasbourg marque une attention particulière à la fidélité au Vatican. Entre autre bons mots du père Elchinger, Témoignage chrétien relève ceux dispensés sur RTL dans le cadre du ”journal inattendu”, le 3 novembre 1979 : ”certains théologiens parlent au pape comme des instituteurs n’osent plus le faire à des élèves de CM1”. Anonyme, ”Des noms !”, Témoignage chrétien, 1844, 12 novembre 1979
Brigitte André, ”Lourdes : les rapports difficiles entre la foi et l'engagement”, Informations catholiques Internationales, n°521, décembre 1978
Jésus-Christ, sauveur, espérance des hommes aujourd'hui, Paris, Le Centurion, 1968, 174 pages
Chercheurs et témoins de Dieu, Paris, Le Centurion, 1975, 191 pages
Mgr Coffy, ”L'intelligence de la foi dans la situation présente”, Temps de la foi, temps de l'espérance, Paris, Le Centurion, 1978, page 40